Le représentant du personnel peut-il faire ce qu’il veut pendant ses heures de délégation ?

Cette publication provient du site du syndicat de salariés CFDT.

Pour les représentants du personnel, il est courant d’admettre que seuls les manquements à des obligations professionnelles peuvent être sanctionnés par l’employeur, au risque sinon de commettre une entrave à leurs fonctions. C’est oublier la possibilité d’une sanction disciplinaire en cas d’abus dans l’exercice du mandat, comme vient le rappeler la Cour de cassation à propos de l’utilisation des heures de délégation (Cass. soc., 13.02.21, n°19-20781). 

L’affaire ici résumée permet de rappeler que le représentant du personnel ne bénéficie pas d’une protection particulière pour les sanctions disciplinaires autres que le licenciement. Il peut donc recevoir par exemple un avertissement pour un manquement à ses obligations professionnelles, mais également dans certains cas, pour des faits en lien avec l’utilisation de son mandat.  

Résumé des faits et procédure

Un délégué syndical, également représentant syndical au CHSCT, fait l’objet de sanctions disciplinaires liées à l’utilisation de ses heures de délégation. En mai 2014, il écope d’un rappel à l’ordre après avoir rempli un bon de délégation 15 jours après leur utilisation et également pour avoir, 10 jours après leur utilisation, réparti différemment l’affectation d’heures de délégation entre ses mandats. Puis, en octobre 2014, il reçoit une sanction plus importante : une mise à pied disciplinaire de 3 jours pour avoir utilisé son crédit d’heures à des fins personnelles, à savoir pour rechercher son perroquet en fuite… 

Il demande l’annulation de ces différentes sanctions devant le conseil de prud’hommes. Débouté en appel, il se pourvoi en cassation. Au soutien de son pourvoi, le demandeur affirme qu’« aucune sanction disciplinaire ne peut être prononcée à l’encontre d’un délégué syndical en raison de l’exercice de son mandat, seuls pouvant donner lieu à sanction les faits constituant un manquement du salarié à ses obligations professionnelles envers l’employeur ». 

La réponse de la Cour de cassation

La Cour de cassation rejette le pourvoi, les sanctions étant valables dans la mesure où la cour d’appel a bien caractérisé l’abus commis par le salarié dans l’exercice de son mandat et le manquement à ses obligations professionnelles. 

A bien lire la solution de l’arrêt, l’on peut se demander si la Cour de cassation considère que l’abus dans l’exercice du mandat caractérise nécessairement un manquement aux obligations professionnelles, ou si au contraire les deux notions sont à distinguer. Selon nous, la Cour aurait plutôt eu tendance a distinguer entre les deux griefs ayant donné lieu à sanction. 

Ainsi, l’information tardive de l’employeur ayant donné lieu au rappel à l’ordre relève-t-il de la qualification d’abus dans l’exercice du mandat, le représentant du personnel n’ayant pas respecté les dispositions issues d’un accord collectif organisant la prise des délégations. Dans le même sens, la Cour de cassation a déjà pu dire par le passé que le refus d’utiliser les bons de délégation est un abus justifiant une sanction (1). 

En revanche, la sanction de l’utilisation à des fins personnelles des heures de délégation par une mise à pied est fondée sur l’abandon de poste, autrement dit sur un manquement aux obligations professionnelles. Ce manquement aurait pu selon nous être sanctionné sur le fondement de l’abus dans l’exercice du mandat, mais il semble que l’employeur se soit placé sur le terrain du contrat de travail, peut être faute d’avoir rémunéré les heures de délégation (2).  

Même si cette qualification interroge, cela illustre qu’un abus dans l’utilisation du mandat, qui est la faute initiale, peut aussi être qualifié de manquement professionnel au regard de ses conséquences, c’est-à-dire l’absence injustifiée au poste de travail. 

Précisons que toutes les irrégularités liées au mandat ne peuvent pas faire l’objet d’une sanction. La Cour de cassation fait une distinction entre la simple irrégularité dans l’exercice normal du mandat, qui n’est pas sanctionnable (3), et l’exercice abusif du mandat, comme dans notre espèce. 

Mais en pratique, la distinction peut s’avérer complexe, il faut alors se reporter à la jurisprudence qui fait une appréciation au cas par cas… 

 

 

[1] Cass. crim., 31.03.81, n° 80-90.962. 

[2] Comme le laisse penser le premier moyen de cassation : « est nulle la sanction prononcée à l’encontre d’un salarié, délégué syndical, pour utilisation non conforme à la loi de ses heures de délégation, dès lors que l’employeur n’a pas payé les heures de délégation préalablement à la saisine du juge en contestation de leur utilisation non conforme au mandat ». 

[3] Par exemple, le simple défaut de transmission à la direction des communications syndicales, Cass. crim., 25.05.82, n° 81-93.443. 

 

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