Cet article a été initialement publié sur le site du syndicat de salariés CFDT.
A l’heure où les formations de management en distanciel et de contrôle par logiciel de tracking du temps de travail des salariés sont en plein boum, la Cnil nous rappelle un principe élémentaire : le système de contrôle du temps de travail utilisé par l’employeur doit être le moins intrusif possible, sans quoi il méconnaît le principe de “minimisation des données”. Est donc considéré comme excessif, selon la Cnil, le recours à des badgeuses photographiant les salariés pour contrôler leurs horaires. (Cnil, décision n°MED-2020 du 27.08.20).
- Une mise en demeure de la Cnil à la suite de plaintes de travailleurs
Saisie de plusieurs plaintes de salariés et d’agents publics dénonçant la mise en place par leurs employeurs de badgeuses les photographiant, la Cnil a opéré des contrôles en 2019. Elle constate que ces dispositifs d’accès par badge intégrant une prise de photographie systématique à chaque pointage s’avèrent excessifs quant à leur finalité de contrôle du temps de travail. Ce à quoi elle met en demeure les employeurs « de rendre leurs dispositifs de contrôle des horaires conforme au RGPD dans un délai de trois mois ».
A défaut de respecter la mise en demeure de la Cnil, l’employeur violant le RGPD s’expose à une amende pouvant aller jusqu’à 20 millions d’euros ou 4 % de son chiffre d’affaire (1).
- Excessif, le recours aux badgeuses photographiques l’est-il au regard de plusieurs textes :
Il contrevient au principe de minimisation des données du RGPD (2). En effet, la collecte des données personnelles des travailleurs doit être adéquate, pertinente et limitée à ce qui est nécessaire au regard de la finalité, à savoir le contrôle du temps de travail.
C’est également le cas au regard de l’article L.1121-1 du Code du travail, en ce que ce dispositif apporterait « au droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».
Dans ces conditions, les badgeuses photographiques ne pourraient être licites, tout comme l’avait estimé la Cour de cassation pour la géolocalisation, « que lorsque ce contrôle [des horaires de travail] ne peut pas être fait par un autre moyen, fût-il moins efficace » (3).
Le CSE doit être préalablement informé et consulté avant la mise en place de tout dispositif de contrôle numérique du temps de travail ou de surveillance des salariés. A fortiori dans le cas d’un système de pointage par badgeuses (4). A défaut, cela rendrait illicite la mobilisation du système de contrôle comme preuve des fautes commises par le salarié (5).
- Un dispositif de captation photographique des salariés à chaque pointage est excessif et disproportionné pour contrôler le temps de travail !
Excessif, il l’était, comme le relève la Cnil relativement à la collecte « obligatoire 2 à 4 fois par jour de la photographie de l’employé à chacun de ses pointages ». Le dispositif apparaissait d’autant plus disproportionné qu’une « pointeuse à badge classique » enregistrant le jour ou l’heure du pointage du salarié permet tout aussi bien de contrôler ses horaires de travail. Plus encore, il s’avère dénué de pertinence en pratique : la Commission a en effet pu constater la quasi-absence d’accès à ces photographies.
Dans les faits, ces éléments de preuve n’ont jamais été utilisés pour une éventuelle procédure contentieuse.
Dernier levier juridique soulevé par la présidente de la Cnil : l’obligation d’exécution de bonne foi du contrat de travail impose à l’employeur une véritable transparence sur ce procédé.
Il ne faut pas pour autant en conclure que les badgeuses photos sont nécessairement illicites ! A l’employeur de justifier des « circonstances particulières et dument étayées » et de démontrer de son impossibilité d’utiliser un système moins intrusif, fût-il moins efficace.
La Cnil avait déjà pu estimer que si l’utilisation du dispositif vidéo à des fins de prévention des atteintes aux biens et aux personnes peut être considéré comme légitime, tel n’est pas le cas d’une surveillance permanente des salariés à des fins de localisation.
En bien des façons, les capteurs numériques ne peuvent remplacer l’humain dans la relation de travail. C’est la dernière recommandation de la présidente, privilégiant le personnel encadrant (managers) au recours à des dispositifs de contrôle reposant sur des technologies intrusives. Evitons, comme nous enjoignait le philosophe Bernard Stiegler, que ces « puissances technologiques qui sont entre nos mains comme autant de progrès de la civilisation deviennent des armes de destruction par où cette civilisation relève de la barbarie qu’elle contient ».
(1) Art. 20. Loi n° 78-17. 06.01.78 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.
(2) Art. 5. (1.c) RGPD. (UE) 2016/679.
(3) Cass.soc.19.12.18, n°17-14.631.
(4) Art. L2312-38 C.trav.
(5) Cass.soc. 11.12.19, n°18-11.792.
(6) Cnil, décision n°MED-2019-025 du 5.11.19.