Requalification d’un contrat de travail en CDI : le ton se durcit

Cette publication provient du site du syndicat de salariés FO

Trois ans, 107 CDD successifs de remplacement, l’affaire est classique. 

La salariée saisit le conseil de prud’hommes d’une demande en requalification en CDI. Le conseil de prud’hommes, puis la cour d’appel, accueillent tour à tour les demandes de la salariée. 

Conformément à une jurisprudence établie (Cass. soc., 4-12-96, n° 93-41891, Cass. soc., 11-10-06, n°05-42632, Cass. soc., 2-6-10, n°08-44630), les juges du fond prononcent la requalification des CDD en un CDI au motif que la mise œuvre de CDD successifs pour remplacer des salariés absents ne peut avoir ni pour objet, ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise. Le positionnement du juge du fond apparaissait logique puisque la jurisprudence avait tendance à estimer que la seule succession de nombreux CDD sur une longue période était révélatrice d’une violation de cette règle et engendrait la requalification en CDI. 

L’employeur se pourvoit alors en cassation. C’est ici, qu’un tournant s’opère : la Cour de cassation casse et annule la décision des juges du fond (Cass. soc., 14-2-18, n°16-17966). 

Pour quel motif ? C’est ce qu’il convient de comprendre. 

La Cour de cassation, dans cet arrêt, commence par rappeler les règles en vigueur. 

Si un CDD peut être conclu pour le remplacement d’un salarié en cas d’absence ou de suspension du contrat de travail (art. L 1242-2 du code du travail), il ne peut, quel que soit le motif, avoir ni pour effet, ni pour objet de pouvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise (art. L 1242-1 du code du travail). 

La Cour de cassation, en sus de ses références législatives, se réfère aussi à une décision rendue par le Cour de Justice de l’Union européenne le 26 janvier 2012, (CJUE, 26-1-12, Bianca Kücük c/Land Nordrhein-Westfalen, aff. C-586/10). Dans cet arrêt, la Cour de justice interprète de façon souple les dispositions de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée. Elle donne trois règles : 

  • 1) Le besoin temporaire en personnel de remplacement peut en principe constituer une raison objective de recours au CDD.
  • 2) Le seul fait qu’un employeur soit obligé de recourir à des remplacements temporaires de manière récurrente, voire permanente, et que ces remplacements puissent également être couverts par l’embauche de salariés en vertu de contrats de travail à durée indéterminée n’implique pas l’absence d’une raison objective de recours au CDD ni l’existence d’un abus.
  • 3) Lors de l’appréciation de la question de savoir si le recours aux CDD est justifié par une raison objective, le juge doit prendre en compte toutes les circonstances de la cause, y compris le nombre et la durée cumulée des contrats ou des relations de travail à durée déterminée conclus dans le passé avec le même employeur.

En outre, la CJUE précise que le remplacement de salariés en raison de congés maladie, de congés maternité ou de congé parentaux est susceptible de constituer une raison objective de recours au CDD et ce, d’autant plus si la réglementation nationale poursuit également des objectifs reconnus comme étant des objectifs légitimes de politique sociale telles que des mesures visant à protéger la grossesse et la maternité. 

La Cour de cassation déduit de cet arrêt que : le seul fait pour l’employeur, qui est tenu de garantir aux salariés le bénéfice des droits à congés maladie ou maternité, à congés payés ou repos que leur accorde la loi, de recourir à des contrats à durée déterminée de remplacement de manière récurrente, voire permanente, ne saurait suffire à caractériser un recours systématique aux contrats à durée déterminée pour faire face à un besoin structurel de main d’œuvre et pourvoir ainsi durablement un emploi durable lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise

Aussi, elle reproche à la cour d’appel d’avoir « seulement » retenu – pour dire que les CDD successifs avaient pour effet de pouvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise – que les CDD de remplacement étaient récurrents voire permanents. 

En somme, le recours récurrent voire permanent au CDD de remplacement d’un salarié n’entraine plus automatiquement la requalification en CDI. Le juge doit désormais apporter davantage de précisions et expliquer pourquoi selon lui le recours au CDD n’est pas justifié par une raison objective et a pour objet ou pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise. 

La Cour de cassation durcit donc malheureusement ses exigences pour qu’un salarié voit son contrat requalifié en CDI… 

Espérons que le degré de précisions exigé par le juge ne sera pas trop élevé, la protection des salariés en dépend. 

 

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