Quel rôle pour les branches contre la prolifération des contrats courts ?

Cette publication provient du site de l’organisation d’employeurs CFDT

 

L’un des objectifs principaux de la négociation assurance chômage, qui a débuté il y a quelques semaines et est pour l’heure suspendue, s’avère la lutte contre la précarité. Cela implique, entre autres, de rechercher des mesures permettant de lutter contre l’utilisation des contrats courts. Ce sujet, qui revient à traiter de la qualité de l’emploi, a fait l’objet, ces dernières années, d’un encadrement spécifique, avec pour objectif d’assigner à la branche un rôle particulier. 

Les accords assurance chômage de 2017 et de 2018 contiennent des dispositions relatives aux négociations dans les branches sur la lutte contre la précarité et aux moyens de favoriser l’installation durable dans l’emploi. Ces négociations sont souvent qualifiées de négociations sur la qualité de l’emploi. 

Les ordonnances Macron de septembre 2017 ont prévu la possibilité, pour les branches, de déterminer certaines mesures relatives au recours aux CDD, aux CTT et aux contrats de chantier. 

Si cette dernière possibilité offerte à la branche peut être analysée comme une opportunité de se saisir de la problématique de la qualité de l’emploi, elle ne doit pas être vue comme étant la seule réponse possible à la lutte contre la précarité et à l’amélioration de la durabilité de l’emploi. 

C’est l’occasion de revenir sur le contenu précis de ces différents textes, et d’alerter sur les contours de la notion de qualité de l’emploi… 

  • Les contrats courts et CDI de chantier après les ordonnances Macron

C’est dans l’objectif de renforcer son rôle régulateur et son pouvoir d’influer sur la qualité de l’emploi du secteur que la branche s’est vue dotée d’une primauté dans la détermination de mesures encadrant le recours aux CDD, aux contrats de travail temporaire (CTT, intérim) et aux contrats de chantier (ou d’opération).  

CETTE DÉCENTRALISATION DE LA DÉTERMINATION DE LA NORME AU NIVEAU DE LA BRANCHE DOIT PERMETTRE D’ADAPTER LES CONDITIONS D’EXÉCUTION DE CES CONTRATS AUX RÉALITÉS DE CHACUN DES SECTEURS D’ACTIVITÉ TOUT EN LUTTANT CONTRE LA PRÉCARITÉ ET EN AMÉLIORANT LA DURABILITÉ DE L’EMPLOI. 

 

S’agissant des contrats courts (CDD/CTT) 

Les ordonnances Macron donnent priorité à l’accord de branche étendu pour déterminer, « sous réserve qu’ils n’aient ni pour objet, ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise », les éléments suivants, jusqu’alors fixés par la loi : 

la durée totale (renouvellement compris) du CDD ou du contrat de mission (sauf pour les contrats à objet défini, pour les contrats aidés ou ceux qui assurent un complément de formation) ; 

le nombre maximal de renouvellements possibles d’un même contrat (sauf pour les contrats aidés ou qui assurent un complément de formation) ; 

les modalités de calcul du délai de carence (la durée) à respecter entre 2 contrats conclus pour pourvoir un même poste de travail ; 

les cas où ce délai de carence ne s’applique pas. 

Pour la détermination de tous ces éléments, la loi ne fixe pas de plafond à respecter par la branche. 

 

C’est seulement à défaut de dispositions conventionnelles que les règles légales, qui étaient jusqu’ici applicables, retrouvent à s’appliquer. Auquel cas : 

– la durée maximale des CDD ou CTT est de 18 mois (ou 9, 24 ou 36 mois selon les cas) ; 

– le nombre de renouvellements est limité à 2 ; 

– le délai de carence à respecter entre 2 contrats successifs sur le même poste de travail dépend de la durée du contrat initial renouvellement compris (1/3 de la durée du contrat pour un contrat de 14 jours ou plus ; ½ de la durée du contrat initial si celui-ci est inférieur à 14 jours) ; 

– la loi définit une série limitée de cas dans lesquels le délai de carence ne s’applique pas. 

En revanche, relèvent toujours de la loi : 

les motifs de recours aux contrats courts ; 

l’ensemble des autres règles régissant ces contrats : conditions de travail, période d’essai, forme du contrat, possibilité de fixer un terme précis ou imprécis, modalités de rupture du contrat, indemnités de fin de contrat. 

Attention : le droit de l’Union Européenne fixe également des règles en vue de prévenir l’utilisation abusive de ces contrats ! 

 

Concernant le recours aux CDD, les Etats membres doivent introduire l’une des trois mesures suivantes (1) : 

les raisons objectives justifiant le renouvellement de tels contrats.(ex : l’existence d’éléments concrets tenant notamment à l’activité en cause et aux conditions de son exercice) ; 

la durée maximale totale de CDD successifs (ex : la durée a été jugée « inhabituellement longue », le renouvellement de CDD successifs allant jusqu’à 8 ans…) ; 

– le nombre de renouvellements des CDD (ex : une réglementation nationale ne peut pas autoriser le renouvellement de CDD pour couvrir des besoins provisoires de l’employeur, alors que ces besoins sont en réalité permanents et durables). 

De plus, les Etats membres doivent déterminer sous quelles conditions les CDD sont considérés comme « successifs » et réputés conclus pour une durée indéterminée (par exemple : une réglementation nationale qui considère comme successifs les seuls CDD qui ne sont pas séparés les uns des autres par un laps de temps inférieur ou égal à 20 jours ouvrables dans le cadre d’une chaîne de contrats le liant à son employeur n’est pas conforme au droit de l’UE). 

Concernant le recours au travail intérimaire, les Etats membres doivent lister leurs restrictions ou interdictions de recours à l’intérim et les justifient sur des critères précis (2). Les dispositions de l’UE s’attachent aussi à réduire la précarité de la situation des travailleurs intérimaires en favorisant leur passage en emploi stable (3). 

En France, les règles posées par l’ordonnance relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail semblent répondre aux exigences définies par le droit de l’Union européenne. Toutefois, dans le cadre des négociations de branche, il conviendra de redoubler de vigilance pour que ces règles n’aient pas pour effet de précariser davantage ces salariés et ne prévoient pas de mesures excessives. 

S’agissant des CDI de chantier ou d’opération (CDIC) 

Définition : le contrat de chantier est un CDI par lequel un employeur engage un salarié pour réaliser un ouvrage ou des travaux précis dont la date de fin ne peut pas être définie à l’avance. La fin du chantier ou de l’opération constitue en elle-même une cause réelle et sérieuse de licenciement à condition qu’elle soit réelle et que le licenciement intervienne rapidement. L’employeur doit pour cela respecter la procédure de licenciement pour motif personnel. Dès lors qu’il a au moins 8 mois d’ancienneté, et sauf faute grave ou lourde, le salarié perçoit une indemnité de licenciement dont le montant aura été défini par l’accord de branche et qui sera dans tous les cas au moins égal à l’indemnité légale de licenciement. 

Pour rappel : jusqu’ici, toute entreprise pouvait conclure directement et en dehors de tout accord de branche, un CDI de chantier dès lors qu’elle appartenait à un secteur qui connaissait une activité sous forme de chantiers. 

Les ordonnances ont créé un véritable cadre légal au CDI chantier et ont désormais renvoyé à l’accord de branche étendu le soin de déterminer : 

les conditions dans lesquelles il est possible de recourir aux CDI de chantier. Depuis le 24/09/17, toute entreprise peut conclure un CDIC dès lors qu’un accord de branche étendu le prévoit

Les entreprises qui y recouraient déjà au 1er janvier 2017 pourront continuer à y recourir même sans accord de branche. De fait, ces entreprises échappent à la négociation impérative des règles de recours au CDIC par leur branche. 

 

– les modalités d’exécution de ces contrats : l’accord de branche étendu devra obligatoirement préciser la taille des entreprises concernées, les activités concernées, les mesures d’information du salarié sur la nature de son contrat, les contreparties en termes de rémunération, d’indemnités de licenciement et de formation, les modalités de rupture du contrat dans le cas où le chantier se termine de manière anticipée. 

Il est toutefois possible d’enrichir ce contenu : priorité de réembauchage, obligation de reclassement, information/consultation des IRP quant au recours ou aux modalités de rupture du CDIC, indemnités conventionnelles spécifiques, etc. 

Le CDIC permet de répondre aux fluctuations de l’activité de l’entreprise en adaptant en souplesse la durée du contrat à la durée et aux besoins réels du chantier ou des éventuels contretemps (aléas climatiques, retards de livraison, etc). L’idée étant d’adapter le CDI de chantier aux besoins du secteur tout en évitant sa généralisation. 

 

  • La qualité de l’emploi vu par les accords assurance chômage

-Rappel des obligations découlant de l’ANI de février 2018 (article 3 page 8) 

L’accord assurance chômage de février 2018 précise que les branches peuvent ouvrir des négociations dont l’objectif principal est de déterminer les moyens de développer l’installation durable dans l’emploi et d’éviter les risques d’enfermement dans des situations de précarité. 

Ces négociations doivent se dérouler dans le cadre suivant : les organisations de salariés et d’employeurs de chaque branche établissent dans un premier temps un diagnostic quantitatif et qualitatif des situations de recours aux contrats courts sous toutes leurs formes. 

Sur la base du diagnostic partagé et des spécificités propres à chaque branche, les organisations de salariés et d’employeurs de branche traitent les sujets suivants : 

– les mesures permettant de modérer le recours aux contrats courts et d’allonger les durées d’emploi ; 

– les mesures relatives à l’organisation du travail et à la gestion de l’emploi. 

Elles peuvent également choisir d’aborder les thèmes suivants : 

– les moyens d’accompagner le développement des compétences des salariés, 

– les moyens de favoriser l’accès à l’emploi durable pour les populations les plus éloignées de l’emploi, 

– les thèmes relatifs aux nouveaux domaines pour lesquels les branches ont une compétence prioritaire de négociation, et notamment les mesures relatives aux contrats à durée déterminée et aux contrats de travail temporaires. 

Sur chacun des thèmes abordés, les organisations d’employeurs et de salariés de branches conviennent, lorsque cela est possible, d’objectifs quantitatifs et qualitatifs mesurables. Elles peuvent proposer des évolutions d’ordre législatif et/ou réglementaire permettant d’atteindre ces objectifs. 

Le résultat des négociations dans les branches devait être apprécié au plus tard le 31 décembre 2018, qu’elles aient abouti ou non, avec la mise en place d’un groupe de suivi paritaire au niveau interprofessionnel. 

  • La convention assurance chômage du 14 avril 2017

A noter également que la convention assurance chômage du 14 avril 2017 a prévu la mise en place d’une contribution exceptionnelle temporaire pour la durée de la convention et au plus tard, jusqu’au 30 septembre 2020 (à hauteur de 0,05 % à la charge exclusive des employeurs). 

La convention précisait également qu’un avenant puisse prévoir que cette contribution cesse de s’appliquer à l’issue du bilan d’un comité de pilotage. En parallèle, la convention avait également prévu la suppression de la majoration de la part de la contribution à la charge de l’employeur pour CDD d’une durée inférieure ou égale à 3 mois, à l’exception de celle prévue pour les CDD d’usage. 

La convention a créé un comité de pilotage interprofessionnel, composé des représentants des organisations de salariés et d’employeurs représentatives au niveau national interprofessionnel. Celui-ci a notamment pour mission de dresser un bilan : 

– des négociations de branches, notamment de celles relatives aux incitations sectorielles qui tendent à limiter le recours aux contrats de travail courts et à définir des mesures de régulation du recours aux contrats à durée déterminée d’usage ; 

– des accords de branche existants, 

– des résultats des mesures pour la sécurisation des parcours professionnels des salariés. 

Au vu notamment de cette évaluation, la convention avait prévu que toutes les dispositions nécessaires pourraient être prises par les organisations de salariés et d’employeurs représentatives au niveau national interprofessionnel par voie d’avenant à la convention, notamment la suppression de la contribution de 0,05 % et le maintien de la contribution de 0,5 % au titre des CDD d’usage. 


(1) Directive 99/77 du 28 juin 1999. 

(2) Art 4 de la directive 2008/104. 

(3) Par exemple, les travailleurs temporaires doivent être informés des postes vacants dans l’entreprise utilisatrice, et il est interdit d’introduire des clauses qui empêcheraient la conclusion d’un contrat de travail entre l’entreprise utilisatrice et l’intérimaire à l’issue de sa mission (de telles clauses sont frappées de nullité). 

 

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