Le juge prud’homal, incompétent pour indemniser le salarié licencié pour inaptitude

Cet article a été initialement publié sur le site du syndicat CFDT.

 

Revenant sur sa jurisprudence, la chambre sociale de la Cour de cassation a décidé que le salarié licencié pour inaptitude, à la suite d’un accident du travail imputable à une faute inexcusable de l’employeur, ne pouvait pas obtenir devant le juge prud’homal une indemnité réparant la perte d’emploi et la perte des droits à la retraite. Cass. soc. 6.10.15, n° 13-26052 

Le régime des accidents du travail instaure une indemnisation forfaitaire du salarié. Il bénéficie d’une indemnité en capital ou d’une rente viagère (au-delà de 10% d’incapacité permanente de travail) majorée en cas de faute inexcusable de l’employeur(1). Ce dernier peut également prétendre à l’indemnisation certains préjudices limitativement énumérés par le code de la sécurité sociale : souffrances physiques et morales, préjudices esthétique et d’agrément, préjudice résultant de la perte ou de la diminution des possibilités professionnelles (2). 

Le Conseil constitutionnel, saisi par la Cour de cassation d’une QPC (question prioritaire de constitutionnalité) en 2010, avait néanmoins formulé une réserve sur cette liste de préjudices complémentaires, autorisant une indemnisation des préjudices qui ne sont pas déjà couverts par les dispositions du code de la sécurité sociale (3). 

 

Le contexte de l’indemnisation de la perte d’emploi par le CPH 

En principe, l’action en réparation d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle ne peut être exercée que devant le Tribunal des affaires de sécurité sociale (4). Cependant, la chambre sociale de la Cour de cassation admettait une compétence résiduelle du Conseil de prud’hommes en cas de licenciement pour inaptitude consécutive à une faute inexcusable de l’employeur. En effet, la haute Juridiction considérait que l’indemnisation prévue par le Code de la sécurité sociale ne prenait pas réellement en compte le cas particulier où l’accident ou la maladie se traduisait par un licenciement pour inaptitude physique. 

 

C’est dans ce contexte que la chambre sociale de la Cour de cassation a jugé, à plusieurs reprises depuis 2006, que le salarié licencié pour inaptitude à la suite d’un accident du travail imputable à une faute inexcusable de l’employeur pouvait être indemnisé du préjudice résultant de la perte de son emploi et de ses droits à retraite par le juge prud’homal (en sus de la réparation spécifique afférente à l’accident du travail fixée par le TASS qui n’a pas le même objet) (5). 

 

Une position abandonnée par la chambre sociale qui opère un revirement de jurisprudence 

Dans son arrêt du 06 octobre dernier, la chambre sociale de la Cour de cassation abandonne sa jurisprudence initiée en 2006. Elle rejoint l’avis de la chambre mixte de la Cour de cassation (6) en jugeant que la demande d’indemnisation du préjudice lié à la perte d’emploi et à la perte des droits à retraite correspond en fait à une demande de réparation des conséquences de l’accident du travail, sur laquelle le juge prud’homal n’est pas compétent pour statuer. 

 

Fort malheureusement, cette décision de la Cour de cassation restreint le droit à l’indemnisation du salarié victime. En effet, seul le Tribunal des affaires de sécurité sociale peu désormais l’indemniser des conséquences d’une faute inexcusable. Et cette indemnisation n’est que partielle et forfaitaire. 

 

En revanche, le salarié n’est pas totalement privé d’action de droit commun dans ce contexte. Il conserve bien évidemment le droit de porter une action prud’homale pour faire reconnaitre le caractère abusif de son licenciement pour inaptitude. Si le licenciement est jugé sans cause réelle et sérieuse, le salarié pourra obtenir une indemnité au moins égale à 12 mois de salaire (7). Cette indemnité comprendra nécessairement la réparation de la perte d’emploi (8). 

 

(1) CSS, art. L. 452-1 et L. 452-2 

(2) CSS, art. L. 452-3 

(3)Conseil constitutionnel, décision n° 2010-8 QPC du 18.06.2010 

(4) CSS, art. L. 451-1 

(5) Cass. soc. 17.05.2006, n° 04-47455 ; Cass. soc. 26.10.2011, n° 10-20991 

(6) Cass. ch. mixte 09.01.2015, n° 13-12.310 

(7) C. trav. Art. L. 1226-15 

(8) Cass. soc. 29.05.2013, n° 11-28799 

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