Pour financer les dépenses exceptionnelles liées au coronavirus, l’État doit augmenter son programme d’emprunts pour 2020. La France lèvera 260 milliards sur les marchés au lieu de 205 prévus en loi de finances initiale, soit deux fois la masse salariale de l’État. Cette somme astronomique (jamais la France n’aura emprunté autant en une année) donne aux banquiers et aux assureurs une arme irremplaçable pour défendre leurs intérêts face à un gouvernement financièrement aux abois. Une fois de plus, les dépensiers affaiblissent l’indépendance du politique par des choix majoritairement sociaux insoutenables financièrement.
260 milliards € d’emprunts cette année pour la France ! C’est la somme astronomique qui sera nécessaire pour financer les énormes dépenses publiques. En l’espèce, 205 milliards étaient prévus pour couvrir les dépenses ordinaires en loi de finances initiale. Les écarts budgétaires dus au coronavirus imposent d’augmenter cette somme de 55 milliards. Et ce n’est peut-être pas fini…
Des emprunts en 2020 en veux-tu en voilà
En 2019, déjà, la France avait battu un record en empruntant 200 milliards €, chiffre qui rappelle que le quinquennat Macron n’est certainement pas celui d’un néo-libéralisme échevelé, mais beaucoup plus celui de la dérive des comptes publics. En 2020, la France devrait battre son triste record historique en empruntant 260 milliards.
Encore cette somme est-elle loin de couvrir les besoins de financement de l’État. Comme l’indique très utilement l’Agence France-Trésor, 20 milliards supplémentaires vont être trouvés de-ci de-là, notamment par la mobilisation des dépôts des correspondants (autorisée par la récente loi d’urgence sanitaire). 80 milliards seront apportés par le jeu des renouvellements de dette à court terme. Restent donc 260 milliards de dettes à moyen et long terme qui seront émises pour financer l’énorme dérapage budgétaire de 2020.
Une aubaine politique pour les banquiers et les assureurs
Si cette expansion fulgurante de l’endettement français est opérée sous une contrainte relative due au coronavirus, elle n’en constitue pas moins une aubaine politique pour la sphère financière, qui détient ainsi un puissant moyen de pression sur le gouvernement. Rappelons en effet que la dette publique est achetée par ceux que les “dépensiers” font profession de détester : les gestionnaires d’actifs (33% de la dette en 2017), les banques (21%), les fonds de pension (20%) et les assureurs (19%). Ce joli panel résume les grands acteurs qu’une kyrielle de souverainistes à la petite semaine, pourfendeurs du néo-libéralisme ordinaire, et qu’une constellation de nostalgiques du marxisme-léninisme considèrent comme l’incarnation du mal.
Une dérive bien entamée avant 2020
Il serait toutefois injuste d’attribuer au seul coronavirus la paternité de cette puissante dérive. L’incapacité d’Emmanuel Macron à réformer l’État et à diminuer les dépenses publiques, qui suit l’incapacité de François Hollande à en faire de même, explique qu’aujourd’hui le gouvernement ne puisse plus payer un centime de rémunération à ses fonctionnaires (la masse salariale de l’État s’élève à 130 milliards €) sans s’endetter.
Les raisons de cette dérive sont bien connues. Au lieu de profiter de l’après-crise 2008 pour se désendetter, la France a fait exactement le contraire. Elle a mis à profit les taux bas de la BCE (et c’est particulièrement vrai avec Emmanuel Macron) pour engraisser sa bureaucratie en recourant massivement à l’emprunt. Toutes ces années perdues coûtent aujourd’hui très cher, puisque l’État est dans la gêne pour financer massivement la reprise, quand l’Allemagne dispose d’un véritable matelas pour se donner les moyens de protéger son industrie.
La sphère financière prend le pouvoir
Bien entendu, tous ces arrangements se font entre gens de bonne compagnie qui ont le bon goût se parler poliment et de ne rien trahir de leurs jeux de coulisses. Mais il est évident que la dépendance politique vis-à-vis des banques et des assurances n’est pas un jeu à somme nulle. L’État ne peut se désintéresser complètement des doléances de ses créanciers. Il faut se souvenir que la France aura besoin de beaucoup emprunter pour mieux interpréter, dans quelques mois, les fins de non-recevoir que Bercy opposera autoritairement aux députés qui rêvent de voter des amendements punitifs contre la finance.
Et ce n’est pas le moindre des paradoxes qui habitent ces ennemis officiels de la finance que l’on trouve à gauche de l’échiquier politique, mais aussi au Rassemblement National. Leur apparent refus des règles orthodoxes en matière budgétaire les oblige… à obéir à ceux qu’ils prétendent combattre, tous ces financiers qui disposent désormais du pouvoir de faire ou défaire les politiques publiques par l’argent qu’ils leur apportent.
Dérapages incontrôlés en vue
On ajoutera que ce recours à l’emprunt paraît aujourd’hui relever du dérapage absolument incontrôlé. L’État lèvera 260 milliards de dettes, mais Bruno Le Maire répète à l’envi que le chômage devrait bondir de près d’un million de personnes (800.000 à ce stade, chiffre qui paraît largement sous-estimé). Ce seront autant de recettes en moins pour la sécurité sociale et pour les caisses de l’État, et autant de dépenses en plus pour l’assurance-chômage, dont le déficit est déjà abyssal.
Autant dire que nous sommes entrés en terre inconnue budgétairement (ou alors terre jamais atteinte depuis Philippe le Bel, qui avait persécuté les Juifs et trucidé les Templiers pour renflouer le Trésor Royal). Heureusement, nous disposons d’élites qui ont le sommeil profond et sont d’une bonne nature, puisque personne ne songe à ce stade à diminuer les dépenses, et puisque beaucoup de gens proposent même de les augmenter encore, surtout à gauche.