Le système de santé français serait vecteur de souffrances chez les soignants et les patients

Cet article est paru sur le site du syndicat de salariés FO

 

Lourd constat que nous transmet la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH). Bien qu’envié dans le monde entier, notre système de santé produit de la maltraitance à l’égard des patients, des aidants et des personnels soignants. La réduction des dépenses de santé coûte cher, affirme la Commission, qui émet trente-deux recommandations pour agir contre cette maltraitance subie par les populations les plus fragiles et les groupes les plus discriminés. 

Un système de santé qui peut faire obstacle au droit fondamental aux soins : le titre 1 de l’avis la CNCDH annonce d’emblée la couleur. Et elle est très sombre. Mais pas question pour la Commission d’opposer patients, soignants et aidants. Ici tout le monde souffre, et la maltraitance subie par les personnels soignants ruisselle à grandes eaux sur les patients et les aidants. La violence est systémique, institutionnelle, et concerne tous les secteurs du soin : Ehpad, hôpital, médecine libérale et même la CPAM où l’insuffisance d’agents d’accueil ne permet pas un accompagnement adapté aux personnes comprenant difficilement la langue française ou le langage administratif. 

En cause, l’organisation productiviste du système de santé et la prise de pas des impératifs de rentabilité au détriment de la qualité de travail des soignants. Conséquences : paroles et attitudes maladroites, déplacées voire discriminatoires ; non-respect des droits des patients, notamment de l’obligation de recueillir un consentement libre et éclairé avant tout acte médical ; coût trop élevé et indisponibilité des traitements ; et, dans les cas les plus graves, traitements inhumains ou dégradants ; refus de soins sans réorientation, notamment pour les populations les plus pauvres ou les plus discriminées (séropositifs, handicapés, homosexuels, femmes voilées). 

Femmes handicapées ou en surpoids découragées

Parmi les nombreux exemples cités dans le document : des soignants qui découragent des femmes handicapées ou des femmes en surpoids, qui souhaitent avoir un enfant, en leur affirmant qu’elles seront victimes de fausses couches, d’infections urinaires à répétition ou qu’un recours à des césariennes sera nécessaire. Ainsi, la péridurale ou la césarienne sont par exemple fortement conseillées, parfois afin de répondre à des problèmes d’organisation de service et des naissances planifiées pour les mêmes raisons. Des femmes en surpoids sont parfois même incitées à avorter. 

Le tableau s’assombrit un peu plus lorsque l’on pousse la porte des hôpitaux psychiatriques. La CNCDH cite notamment l’usage abusif de contentions et d’isolement prolongé, sans pouvoir ni se laver ni se changer ni avoir accès à des vêtements propres. Certains patients sont laissés en pyjamas d’autres sont maintenus attachés des jours entiers. 

Les renoncements au soin augmentent considérablement

Si la violence ressentie par les patients mène parfois au renoncement aux soins, elle peut aussi engendrer de l’agressivité, prévient la Commission, qui fait état d’une augmentation considérable des renoncements aux soins. 39 % des personnes interrogées ont affirmé avoir des difficultés à payer des actes médicaux mal remboursés par la sécurité sociale. Parmi les raisons de ce renoncement : la peur de l’endettement et des poursuites par le Trésor public des personnes qui ont une dette hospitalière, y compris celles disposant de très faibles revenus. 

Personnels soignants épuisés

Côtés personnel soignant la situation n’est guère plus enviable : 100 % d’entre eux ressentent un épuisement, qu’il soit moral (22 %), physique (13 %), ou pire, des deux (64 %). 47 % d’entre eux font ou ont déjà fait l’expérience d’un burn out. Dans certaines régions le nombre d’appels de soignants visant à obtenir un accompagnement a été multiplié par treize entre 2010 et 2017. 

Parmi les multiples causes de cet épuisement : le non-respect des repos de sécurité prévus dans la réglementation du travail. Avec le risque d’entraîner une mauvaise prise en charge du patient, des maltraitances ou des erreurs médicales. Une situation susceptible également de mettre les soignants en danger par des moments de perte d’attention pendant ou après le travail. 

Maltraitance institutionnelle dans les Ehpad

Situation guère reluisante du côté des Ehpad. La CNCDH rappelle que, déjà en 2014, 90 % de ces établissements pour personnes âgées dépendantes manquaient de personnel. Une pénurie persistante, tant et si bien qu’une mission parlementaire a même a évoqué une maltraitance institutionnelle. Lorsque le soignant effectue son service au quotidien, il se retrouve souvent dans l’impossibilité de prodiguer le soin tel qu’il l’entend par obligation de service, signale la CNCDH. Cette frustration représente une véritable violence psychologique

Saturation des Urgences

La Commission déplore la vision productiviste qui fait rage dans le système de santé et qui a des incidences directes sur l’accueil et le soin : par la pression qu’elle fait porter aux soignants, elle cause des désorganisations dans les services avec la multiplication d’arrêt maladies ou un important turn-over qui affectent la qualité des soins. D’autre part, elle justifie une rationalisation des actes de façon à les rendre les plus rentables possibles, au détriment des besoins humains. 

Mais cette structuration, combinée au vieillissement de la population, aux déserts médicaux, aux services parfois coûteux de la médecine de ville, à la réduction de nombre de consultations hospitalières et à la fermeture de lits, conduit à une saturation des urgences. 

En dix ans, 100 000 lits ont disparu des hôpitaux tandis que le nombre de patients se présentant aux urgences est passé de 10 millions à 20 millions par an. Quant aux centres d’appel des Samu, leur configuration était prévue pour 1 à 2 millions d’appels alors qu’ils en reçoivent aujourd’hui 30 millions. Selon Samu-Urgences de France, la surcharge des services d’urgences observées en février-mars 2018, qui a conduit des dizaines de milliers de patients à dormir sur des brancards, serait responsable d’une augmentation de la mortalité de 9 % pour tous les patients, et de 30 % pour les patients les plus graves. 

L’Ondam et la tarification à l’activité montrés du doigt

La réduction des dépenses de santé coûte cher, affirme la CNCDH. En cause : l’Objectif national des dépenses d’assurance maladie (Ondam) voté chaque année dans le cadre de la loi de Finance de la Sécurité sociale. Cet objectif de dépense, qui ne doit pas être dépassé, est sous-évalué mais pour le respecter il faut chaque année trouver quelques milliards d’euros à économiser, notamment dans le budget des hôpitaux, où de nombreux postes sont supprimés entrainant une dégradation des conditions de travail. 

Un phénomène aggravé par la tarification à l’activité (T2A) mise en œuvre à partir de 2004-2005 en médecine, chirurgie et obstétrique. Son principal défaut est de financer les dépenses à partir d’un coût pré-défini. Or la réalité du coût peut énormément varier selon les antécédents médicaux du patient, son âge, sa situation sociale. Le principal effet pervers pour l’hospitalisé (et pour les équipes soignantes qui subiront la pression managériale si la norme n’est pas respectée) est que ce système encourage les gestionnaires de chaque établissement à éviter d’accueillir ce que certains appellent les patates chaudes ou de s’en débarrasser très vite. 

Face à ce constat alarmant, trente-deux recommandations, ce n’est pas trop pour repenser un système de santé qui garantisse les droits et réintroduit de la « bientraitance » tout en luttant contre le renoncement aux soins. Conditions sine qua non, prévient la Commission : sortir de la logique économique en adaptant les budgets aux besoins de santé de la population et en améliorant les conditions de travail des soignants. 

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