Cet article a été initialement publié sur le site du syndicat CFDT.
Un employeur ne peut pas sanctionner deux fois les mêmes faits. Voilà pour le principe. Mais pour bien l’appliquer, encore faut-il déterminer avec précision de quels faits on parle. Si de nouveaux griefs devaient se faire jour, une nouvelle sanction deviendrait alors possible, et ce même à supposer qu’ils soient étroitement liés aux premiers. Cass. soc. 16.04.15, n° 13-27.271.
- La règle à l’épreuve des faits
Une fois sanctionné, un fait ne peut plus l’être une nouvelle fois. Cette interdiction, qui répond aussi au nom de la célèbre locution latine non bis in idem semble a priori logique et fort simple à appliquer. Tel n’est pourtant pas toujours le cas. C’est ce qu’illustre à merveille l’arrêt ici commenté.
Dans cette affaire, un salarié se trouve licencié pour faute grave du fait de « divers agissements caractérisant, dans leur ensemble, un harcèlement moral ». Nous sommes alors le 4 décembre 2009. Problème, un mois plus tôt, quasi jour pour jour (le 5 novembre 2009 très précisément), ce même salarié avait déjà fait l’objet d’un avertissement pour des faits qui, eux-mêmes, pouvaient sembler pouvoir s’apparenter à une pratique harcelante. On lui reprochait « une multiplication notable (…) de messages inadmissibles extrêmement intrusifs » envers l’une de ses collègues « dénotant une attitude provocatrice et délibérément nuisible au fonctionnement » de l’entreprise. Le moins que l’on puisse dire est donc que, même si le courrier de novembre ne qualifiait pas les faits évoqués de « harcèlement moral », nous pouvions tout de même considérer que nous n’en étions pas très éloignés.
- Problématique liée au harcèlement
À ce stade, une première constatation s’impose : si certaines fautes se commettent à un instant T et sont, en conséquence, assez faciles à isoler et à identifier, d’autres, au contraire, s’étalent sur la durée. Elles peuvent alors sembler plus diffuses et plus difficiles à saisir. Le harcèlement moral illustre à merveille une telle situation puisque, de par sa définition légale telle qu’elle est visée à l’article L. 1152-1 du Code du travail, il induit une véritable notion de « répétition ».
Afin de parer à cette difficulté, la chambre sociale de la Cour de cassation a certes déjà eu l’occasion de préciser que « la poursuite, par un salarié, d’un fait fautif autorise l’employeur à se prévaloir de faits similaires, y compris ceux ayant déjà été sanctionnés, pour caractériser une faute grave » (1). Mais, pour que cette jurisprudence ait une portée effective, encore faut-il que le fait sanctionné ait été postérieur à la première sanction.
Or, tel n’était pas le cas dans cette affaire. L’employeur s’était ici clairement référé à des faits qui avaient été commis, soit concomitamment, soit antérieurement à ceux qui avaient été sanctionnés via l’avertissement. Or, pour la chambre sociale de la Cour de cassation, un employeur qui, « bien qu’informé de l’ensemble des faits reprochés au salarié (…) a choisi de lui notifier un avertissement seulement pour certains d’entre eux, a épuisé son pouvoir disciplinaire et ne peut prononcer un licenciement pour des faits antérieurs à la date de l’avertissement » (2).
A priori, le salarié pouvait donc sembler fondé à plaider que l’employeur avait épuisé son pouvoir de sanction et à se référer à la jurisprudence de la Cour de cassation qui précise, par ailleurs, de longues date, qu’ « est sans cause réelle et sérieuse le licenciement à la suite de faits ayant donné lieu à un avertissement » (3).
Certes, il aurait alors pu paraître pour le moins inadapté que des actes potentiellement harcelants ne soient finalement sanctionnés que par un simple avertissement. Mais il n’en reste pas moins que le choix des armes en matière de sanction appartient au seul employeur et que ce n’est certainement pas au salarié d’assumer, en la matière, quelque responsabilité que ce soit.
Non, ce qui dans cette affaire va finalement faire pencher la balance en faveur de l’employeur se situe ailleurs. C’est du fait de la non-connaissance patronale, au 5 novembre 2009, des faits sanctionnés le 4 décembre que le licenciement sera reconnu comme valablement prononcé.
- La solution de la Cour de cassation
Il s’avère en effet que, dans la foulée du 5 novembre, l’employeur avait décidé de diligenter une enquête interne. Enquête qui lui permettra de prendre connaissance de faits dont il prétendra qu’il ignorait jusqu’alors l’existence. Et c’est bel et bien cet argument qui convaincra les juges du fait que,lors du prononcé de l’avertissement, l’employeur n’avait pas fait le tri entre ce qu’il souhaitait sanctionner et ce qu’il ne souhaitait pas sanctionner, mais qu’il s’était contenté de sanctionner les seuls faits dont il avait alors connaissance.
La Cour de cassation souligne en effet dans son attendu final que ce n’est qu’après cette enquête que l’employeur avait eu connaissance « de l’ampleur et de l’ancienneté du comportement du salarié ayant consisté à critiquer la façon de procéder de cette collègue et à se mêler de tâches qui ne lui étaient pas affectées et à être désagréable ». En clair, les faits initialement sanctionnés s’inscrivaient dans un ensemble, ensemble qui constituait le harcèlement moral et dont l’existence n’avait finalement pu être révélée que par le biais de l’enquête interne.