La grosse blague de la “Charte pour une santé solidaire”

La « Charte pour une santé solidaire » a bénéficié, comme à chaque initiative de ce genre, d’une médiatisation étonnamment partiale. A titre d’exemple, Le Monde en a donné une présentation tronquée qui laisse songeur, évitant soigneusement de lever quelques lièvres qui entourent ses signataires. La démarche méritait donc un petit décryptage. 

Solidarité ou défense des rentes étatistes?

L’objet de la Charte est de poser, en 12 points d’une rédaction parfois sibylline et ambiguë, les principes d’une « santé solidaire ». La formulation en dit long sur les intentions cachées de la démarche, qui est publiée au moment où la loi santé de Marisol Touraine dont elle constitue un soutien idéologique façon lobby entame son cycle parlementaire. Certains pourraient en concevoir une certaine acrimonie. 

D’abord parce que tous ceux qui cotisent aujourd’hui aux près de 12% de PIB que coûte la santé apprécieront l’idée implicite qu’elle n’est pas solidaire et qu’une Charte autoproclamée a besoin de la remettre sur les rails de la solidarité… On pense notamment aux jeunes salariés qui paient plein pot le prix d’un hôpital et de soins dont ils sont eux-mêmes peu consommateurs. 

Ensuite, parce que la solidarité est devenue aujourd’hui le prétexte de tous les conservatismes et de tous les immobilismes qui veulent protéger des rentes mises à mal par la crise et par les tentatives de retour aux équilibre publics. Sans surprise, d’ailleurs, comme l’écrit le Monde, on trouve, parmi les signataires, un hallucinant entre-soi étatiste: 

Parmi les premiers signataires, quelques grands noms de ce milieu, comme André Grimaldi, un des fondateurs du mouvement de défense de l’hôpital public, Claude Rambaud, vice-présidente de l’association de patients Le Lien, le médecin hospitalier Jean-Paul Vernant ou encore l’économiste Didier Tabuteau. 

 

Ces signatures prestigieuses ont posé les principes suivants: 

  1. Respect des droits des malades
  2. Formation à la santé à l’école, au collège et au lycée
  3. Prévention et éducation à la santé tout au long de la vie en lien avec le médecin traitant
  4. Garantie d’un accès effectif à une médecine de ville universelle et au service public hospitalier
  5. Accompagnement médical, médicosocial et psychologique et éducation thérapeutique, en particulier pour les malades chroniques
  6. Droit à l’information sur la qualité des soins
  7. Liberté de choix par les patients du médecin et de l’établissement de santé
  8. Indépendance professionnelle et déontologique des praticiens et accès à des formes diversifiées de rémunération
  9. Liberté de choix du tiers payant par le patient dans le parcours de santé pour les soins remboursés par la Sécurité sociale
  10. Sécurité sociale finançant au moins à 80 % les soins pris en charge par la solidarité et à 100 % au-delà d’un plafond en cas de dépenses élevées restant à la charge du malade
  11. Liberté de choix de la Sécurité sociale pour la protection complémentaire
  12. Equilibre obligatoire de l’Assurance maladie solidaire dans la loi de financement de la sécurité sociale »

 

On voit bien comment, dans ce texte, certaines concessions vagues, comme le droit à l’information sur la qualité des soins, servent à faire avaler des pilules plus ou moins amères comme la garantie d’accès au « service public hospitalier » (mesure proposée par la loi santé de Marisol Touraine), la liberté de choix par les patients (qui cache habilement la liberté du médecin…), l’accès du médecin à des « formes diversifiées de rémunération » (mais de quoi s’agit-il?), et surtout, bien entendu, le financement à 80% des soins par la solidarité. 

L’objectif de la charte est bien de proposer un relèvement des remboursements de la sécurité sociale et une liberté de la médecine de ville, sans mise en place de réseau de soins qui ne seraient pas contrôlés par les médecins. 

Des signataires financés par l’Etat

On a noté que cette charte est signée par des grands noms connus pour leur attachement pas totalement désintéressé à l’étatisme sous toutes ses formes. 

On n’épiloguera pas ici sur les liens naturels qui unissent André Grimaldi, ancien professeur de médecine à la Salpétriêre, à la médecine publique intégrale. Cet esprit brillant défend au demeurant des idées intéressantes de réforme à l’hôpital. Néanmoins, ses prises de position étatistes et en même temps favorables à une liberté de rémunération des médecins sont bien connues. 

Les mêmes remarques pourraient être dressées à propos de Jean-Pierre Vernant, prestigieux hématologue, inspirateur du 3è Plan cancer, sommité médicale incontestable, mais porteur d’une vision étatiste de la santé. Là encore, on peut le comprendre et le partager, mais il est plus simple d’expliquer que l’objet de la charte est ici de préserver une vision où la santé est conçue par des médecins salariés de l’hôpital. Cette vision est légitime, mais pourquoi la parer des oripeaux de la solidarité? 

Conscients de la faiblesse d’un texte qui ne serait signé que par des médecins hospitaliers, les promoteurs de la charte ont aspiré les noms habituels de la santé solidaire. 

On y trouve notamment Claude Rambaud, vice-président de l’association de patients « Le Lien ». Cette formulation du Monde est cocasse. « Le Lien », qui reste aussi discret sur la nature de ses ressources que Claude Rambaud ne l’est sur sa biographie, est une association fondée par le conseiller santé du Défenseur des Droits, Alain-Michel Ceretti. Ses statuts prévoient explicitement qu’il peut être financé par des subventions publiques. Un autre fondateur du « Lien » est Jean-Luc Bernard, premier président du Collectif Interassociatif sur la Santé (CISS), financé à plus de 80% par les pouvoirs publics. 

Il serait quand même intéressant que cette association qui défend une santé « solidaire » défende aussi une éthique « transparente », notamment sur ses liens avec les pouvoirs publics. 

Enfin, Dominique Tabuteau, autre grand signataire de la Charte, brillant enseignant à Sciences-Po, y anime la Chaire Santé, largement financée par l’industrie pharmaceutique, mais pas par les organismes complémentaires. Faut-il y voir l’une des raisons pour lesquelles la charte pour une santé solidaire propose une réduction de la part de remboursement assurée par les organismes complémentaires, mais ne touche pas à la liberté de prescription du médecin? 

L’Etat assure son service après vente…

On aimerait que les promoteurs de la charte, qui avaient l’an dernier lancé une initiative pour sauver la Sécu, aient la transparence de dévoiler le montant total des subventions et rémunérations publiques qu’ils perçoivent. Cette donnée objective permettrait de préciser plus clairement le sens de la « solidarité » qu’ils prônent. 

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