Quand le mensonge sur un CV justifie -t- il le licenciement ?

Cet article est issu du site de la CFDT.

Le salarié qui a porté une mention erronée sur son curriculum vitae peut-il être licencié pour cette raison ? Oui, à partir du moment où le mensonge est délibéré, qu’il porte sur des éléments déterminants de la relation de travail et qu’il a pour but de tromper l’employeur afin de le conduire à conclure le contrat de travail. Cass.soc.25.11.15, n°14-21521. 

Faits, procédure, prétentions 

Un salarié engagé en mai 2011 a été licencié pour faute grave en novembre de la même année, après avoir été mis à pied conservatoire par l’employeur. Celui-ci se prévalait d’une fausse information produite par le salarié sur son CV pour justifier le licenciement. En effet, le salarié avait fait croire qu’il avait travaillé pour une société ayant la même activité que l’employeur, alors qu’en réalité, ce n’était pas le cas. 

Ce salarié a contesté le bien-fondé de son licenciement devant le conseil de prud’hommes et, en appel, les juges l’ont débouté de ses demandes. Il a donc formé un pourvoi. Devant la Cour de cassation, le salarié invoquait la jurisprudence (1) : il faisait notamment valoir que son licenciement pour faute n’aurait été justifié que s’il n’avait pas eu les compétences effectives pour exercer les fonctions pour lesquelles il avait été recruté, ce qui n’était pas allégué en l’espèce. 

En outre, le salarié arguait de l’inopposabilité à son encontre de l’obligation de loyauté dans l’exécution du contrat de travail, puisque, précisément, les faits reprochés étaient intervenus au moment de l’embauche, c’est-à-dire avant même le commencement d’exécution du contrat. 

Quand mentir, c’est tromper, le licenciement est justifié… 

La Cour de cassation a donc dû répondre à la question de savoir si le mensonge du salarié lors de son embauche pouvait justifier son licenciement pour faute grave. Dans un arrêt de rejet, de surcroît non-publié, la Haute Cour livre une solution inédite. 

Après avoir relevé que les juges du fond avaient constaté que « le salarié avait, à trois reprises, volontairement dissimulé la réalité » en faisant croire qu’il était engagé par l’entreprise Cisco et que la présence alléguée du salarié dans cette entreprise avait été déterminante dans la décision de l’employeur de l’embaucher, la Cour de cassation approuve la cour d’appel d’avoir retenu que le licenciement était justifié. En effet, selon la Cour de cassation, la cour d’appel avait « fait ressortir l’existence de manœuvres dolosives pouvant justifier le licenciement ». 

Une solution qui dénote dans la jurisprudence. Habituellement, de deux choses l’une : soit il y a vice du consentement et de ce fait nullité du contrat, soit il y a une faute justifiant le licenciement. 

Bien qu’il obéisse à des règles propres, figurant pour l’essentiel dans le Code du travail, le contrat de travail est également soumis au droit commun des contrats (article L.1221-1 du Code du travail). Cela signifie qu’il peut, comme tout contrat, être annulé si un vice du consentement est caractérisé. Aux termes des articles 1108 et 1109 du code civil, les vices du consentement permettant l’annulation du contrat sont : l’erreur, le dol et la violence. 

En d’autres mots, le licenciement doit être justifié par des faits intervenus lors de l’exécution du contrat de travail. Ainsi en est-il si le salarié ne possède pas les compétences effectives pour exercer ses fonctions (1). Mais dans ce cas, ce n’est pas la fourniture de fausses informations (qui au demeurant ne justifierait pas à elle seule l’annulation du contrat de travail (2)) qui permet de fonder le licenciement. 

Si les compétences professionnelles du salarié ne sont pas en cause, le contrat de travail peut néanmoins être annulé dès lors que les manœuvres dolosives sont démontrées. A cet égard, les simples mentions imprécises ou erronées ne suffisent pas à caractériser des manœuvres ayant pour but de tromper l’employeur (2). 

En l’espèce, puisqu’on pouvait estimer (c’est l’avis des juges du fond) que les manœuvres étaient démontrées, la sanction aurait, en bonne logique, dû être l’annulation du contrat. 

Et pourtant, au terme d’un raisonnement abscons, la Cour de cassation opte pour une voie peu orthodoxe : le licenciement justifié pour manœuvres dolosives… 

Une solution critiquable, qui pourrait néanmoins recevoir l’onction du Code civil avec la réforme du droit des contrats annoncés. Celle-ci prévoit en effet de consacrer dans ce Code l’obligation précontractuelle d’information dégagée par la jurisprudence, dont la sanction pourrait, selon certains (3), être la responsabilité délictuelle, et donc se traduire en droit du travail par la faute et le licenciement. 

 

(1) Cass.soc.30.03.99, n°96-42912. (2) Cass. soc.16.02.99, n°96-45565. (3) G.Loiseau, Le contrat de travail dans le projet d’ordonnance portant réforme du droit des contrats, La semaine juridique-édition sociale, n°52, 22.12.15, p.15, spéc. n°11. 

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