Dans une décision rendue le 9 avril dernier, le conseil de prud’hommes de Bordeaux a écarté le barème d’indemnités prévu par les ordonnances en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Une décision forte alors que le gouvernement traque ouvertement les conseils frondeurs.
La réponse autoritaire apportée par le gouvernement ne semble pas freiner les ardeurs des conseils de prud’hommes frondeurs. La faille avait été ouverte fin 2018 par le conseil de Troyes qui expliquait que le barème d’indemnités prévu en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse n’était pas conforme aux textes internationaux en matière de droit du travail.
Depuis, plusieurs autres conseils ont rejoint Troyes. Le gouvernement, par l’intermédiaire du porte-parole de la chancellerie Youssef Badr et Muriel Pénicaud, avait tenu à apporter une réponse des plus fermes en demandant que chaque décision écartant le barème lui soit directement rapportée. Avec de probables sanctions à la clé.
Le barème ne permettait pas de dissuader les entreprises de procéder à des licenciements injustifiés
Dans un communiqué, le gouvernement avait aussi souligné que ces jugements ne remettaient pas en cause la constitutionnalité du texte mais plutôt la “formation juridique” et l’éthique des conseillers frondeurs. Mais force est de constater que ces réponses n’ont pas satisfait tous les conseils de prud’hommes en France. Dans une décision du 9 avril dernier, les juges de Bordeaux ont eux aussi écarté le barème au motif que les indemnités prévues ne permettaient pas de convenablement réparer le préjudice subi.
Etait jugé le cas d’une collaboratrice d’un cabinet d’architecte qui a travaillé pour celui-ci de mars 2017 à février 2018 sous le statut d’auto-entrepreneur, “laissant à sa charge le paiement de toutes les cotisations sociales”. Non reconduite, elle tente d’abord de faire requalifier sa situation avec un contrat de travail. Le cabinet refuse, l’affaire est portée devant les juges.
La relation de subordination ainsi que l’obligation de passage sous statut d’auto-entrepreneur sont prouvées, de même que “le préjudice de Madame X. est, en l’espèce, constitué par l’impossibilité au terme du contrat de bénéficier d’un revenu de remplacement auprès de Pôle emploi et par l’absence de versement de quelconques indemnités de rupture, alors que Madame X. est divorcée et doit assurer seule la charge de deux enfants.”
Les juges estiment donc qu’il s’agit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamnent le cabinet à verser à madame X les indemnités correspondantes. Mais le barème prévu par les ordonnances travail prévoit une indemnité “dérisoire”. Se basant sur l’ancienneté de l’architecte qui était de moins d’un an, la réparation ne se serait élevée qu’à un demi-mois de salaire au maximum, soit 985,85€ d’après le conseil.
La Cour d’appel doit trancher avant l’été 2019
Le conseil estime que l’application stricte du Code du travail, en l’état actuel, ne permettait pas la réparation intégrale du préjudice ni de “dissuader de procéder à un licenciement injustifié.” Les juges prud’homaux se basent alors sur la convention 159 de l’OIT et l’article 24 de la “charte sociale européenne”, que la France a signée en 1999, pour condamner le cabinet à verser à son ex-collaboratrice six mois de salaire, soit 12 000€ à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le feuilleton n’en est sûrement pas à sa fin. Pour le moment, près d’une dizaine de conseils ont ouvertement écarté les barèmes d’indemnisation prévus par les ordonnances travail. Rappelons qu’il existe 210 conseils de prud’hommes en France. Par ailleurs, il y a aussi plusieurs autres conseils de Prud’hommes comme celui du Mans, qui ont particulièrement suivi les textes français.
Autrement dit, actuellement, chacun compte les points et les décisions qui vont dans son sens. En attendant que la Cour d’appel de Paris rende une décision, normalement avant l’été 2019, employeurs, salariés et conseillers prud’homaux vivent une période d’instabilité juridique assez compliquée.