Quand l’accord d’entreprise traite différemment les salariés de ses établissements

Au moment même où le gouvernement lâche du lest sur les ordonnances travail en faveur des routiers, un arrêt relatif aux accords d’entreprises vient d’être rendu. La Chambre sociale de la Cour de cassation s’est prononcée sur la possibilité de ne pas traiter tous les salariés d’une même entreprise de la même manière. 

 

Un accord d’entreprise qui différencie deux établissements

Dans l’affaire traitée par la Cour, deux établissements distincts font partie de la même entreprise : l’un à La Gère, l’autre à Stenay. Un accord d’entreprise signé par les organisations syndicales représentatives de l’entreprise prévoit que certaines dispositions salariales (travail de nuit, du dimanche, des jours fériés) ne s’appliquent qu’aux salariés de l’établissement de La Gère. 

Les salariés de l’établissement de Stenay ont donc demandé à être intégrés à cet accord, s’estimant victimes d’une disparité de traitement injustifiée. 

 

L’accord d’entreprise peut discriminer les salariés de deux établissements

Si la cour d’appel a donné raison aux salariés de Stenay qui demandaient à être inclus dans l’accord d’entreprise, la Cour de cassation ne l’entend pas de cette oreille. En effet, elle indique qu’un accord d’entreprise peut parfaitement opérer une différence de traitement entre les salariés de deux établissements distincts. 

Cette différence est totalement admise à partir du moment où elle est fondée sur des considérations professionnelles. En revanche, la Cour indique que si les plaignants apportent la preuve que la différence de traitement prévue par l’accord d’entreprise est étrangère à toute considération professionnelle, alors elle n’est pas justifiée. 

Il faut donc bien retenir de cette décision que l’accord d’entreprise peut discriminer les salariés d’établissements différents, à la condition que cette discrimination soit fondée sur des raisons d’ordre professionnelle. 

 

Pour aller plus loin, le texte de l’arrêt :

Sur le moyen unique pris en sa deuxième branche : 

Vu le huitième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, le principe d’égalité de traitement, et l’accord d’entreprise de la société Munksjö Label Pack du 7 novembre 2002 ; 

Attendu que les différences de traitement entre des salariés appartenant à la même entreprise mais à des établissements distincts, opérées par voie d’accords d’entreprise négociés et signés par les organisations syndicales représentatives au sein de l’entreprise, investies de la défense des droits et intérêts des salariés de l’ensemble de cette entreprise et à l’habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote, sont présumées justifiées de sorte qu’il appartient à celui qui les conteste de démontrer qu’elles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle ; 

Attendu, selon les arrêts attaqués, que le 1er septembre 2002 la société Ahlstrom La Gère a fait l’objet d’une opération de fusion absorption par la société Ahlstrom Packaging devenue la société Ahlstrom Label Pack devenue Munksjö Label Pack ; que la société et les quatre syndicats représentatifs au sein de l’entreprise ont signé le 7 novembre 2002 un accord d’entreprise maintenant, mais seulement pour les salariés de l’établissement de La Gère, les conditions de rémunération du travail de nuit, du dimanche et des jours fériés, issues de divers accords conclus antérieurement à la fusion au sein de la société Ahlstrom La Gère ; qu’estimant subir une inégalité de traitement, M. Y… et M. X…, affectés à l’établissement de Stenay, ont saisi la juridiction prud’homale ; 

Attendu que pour faire droit à leur demande, l’arrêt retient que l’accord d’entreprise « suite à fusion » motive le maintien des anciens accords par la volonté de la direction, sans autre précision, que l’argument soutenu par le contexte historique ne peut être retenu, aucun nouvel accord d’établissement n’ayant été conclu concernant l’établissement de La Gère postérieurement à la fusion absorption d’une société distincte, de sorte que les anciens accords ne s’appliquaient qu’aux salariés transférés, que si le site de La Gère est géré au niveau du groupe comme un établissement distinct, la traduction juridique en est qu’il s’est agi d’un établissement distinct jusqu’en juin 1997, d’une société distincte entre juillet 1997 et septembre 2002, et à nouveau d’un établissement distinct à partir de septembre 2002, de sorte que les accords collectifs signés en 1999 doivent être considérés au travers de la nature juridique réelle de l’entité signataire concernée, et non en fonction d’une gestion de groupe dans le cadre d’un contexte historique, qu’en maintenant les anciens accords, avant fusion, à l’ensemble des salariés travaillant sur le nouvel établissement de La Gère, soit ceux transférés mais également ceux embauchés postérieurement, les salariés travaillant au sein de l’établissement de Stenay ont fait l’objet d’une disparité de traitement qu’il convient de rémunérer ; 

Qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes et le principe susvisés ; 

PAR CES MOTIFS : 

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, les arrêts rendus le 30 mars 2016, entre les parties, par la cour d’appel de Nancy ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant lesdits arrêts et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Metz ; 

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