L’arithmétique pré-révolutionnaire du Front National

Les élections régionales constituent un séisme majeur dans le paysage politique français, même si les partis de gouvernement s’efforcent (PS en tête) d’en minimiser l’impact. Les sondages avaient annoncé une victoire du Front National: c’est un raz-de-marée qui se produit, et qui aggrave brutalement le constat déjà préoccupant qui pouvait être dressé sur l’état de la société française. Dans la pratique, la France confirme l’entrée, qu’on pressentait après la manifestation du 11 janvier, dans une situation pré-révolutionnaire, que quelques chiffres permettent d’illustrer. 

56% des électeurs du FN se sont abstenus

Contrairement à l’idée répandue selon laquelle l’abstention (50%) aurait profité au Front National, en sanctionnant surtout les partis de gouvernement, l’enquête IPSOS sortie des urnes suggère que l’abstention a touché le Front National dans les mêmes proportions que les autres partis: 56% pour le Front National, 55% pour le PS, 57% pour la droite classique. La victoire du Front National ne tient donc pas à une différence ponctuelle de mobilisation. Elle est beaucoup plus profonde et beaucoup plus systémique que les états-majors de partis institutionnels ne voudraient le faire croire. 

De ce point de vue, pour les institutions de la Vè République, le défi est désormais de taille: les années électorales à venir pourraient très bien amplifier le phénomène électoral auquel nous avons assisté. La mobilisation des abstentionnistes ne changera pas forcément la donne. 

6 millions de voix pour le Parti Socialiste

Avec une abstention à 49% et 24% des suffrages exprimés, le Parti Socialiste représente désormais moins d’un huitième des électeurs français, soit environ 6 millions de voix. Pourtant, le Parti Socialiste détient une majorité de sièges à l’Assemblée Nationale. Comment continuer à gouverner avec une si faible légitimité politique? La question est ouverte et se posera forcément à l’occasion des prochaines réformes qui ont un impact fort sur les libertés publiques. Le gouvernement est-il encore légitime pour violer les Droits de l’Homme en instaurant ou en prorogeant l’état d’urgence? Le gouvernement peut-il modifier la Constitution avec une si faible crédibilité collective? 

Toutes ces questions se poseront avec d’autant plus d’acuité que le Front National s’est opposé à la loi sur le renseignement et ne se montre pas très enclin aux mesures d’urgence. 

12 millions de voix pour les partis de gouvernement

À eux deux, les partis de gouvernement (Socialiste et Républicains) totalisent bon an mal an 12 millions de voix, soit un quart de l’électorat français. Là aussi, pour les institutions de la Vè République, cette situation constitue à la fois un défi et une menace. Comment trouver une quelconque légitimité aux débats de l’Assemblée Nationale quand ceux-ci se déroulent entre des élus avec une si faible légitimité électorale. 

Il suffit de voir l’indifférence pour les débats budgétaires en cours: le poids de la représentation nationale, que ce soit à l’Assemblée ou au Sénat, n’est plus suffisant pour structurer le débat public. 

La République est-elle une affaire d’initiés ou de profanes? La réponse à cette question dans les mois à venir sera cruciale. 

Le FN, première force politique chez les jeunes

Selon l’enquête Ipsos à la sortie des urnes, le Front National est désormais la première force politique chez les moins de 24 ans. Avec un tiers des intentions de vote dans cette catégorie, le parti de Marine Le Pen s’installe, en réalité, comme un parti d’avenir qui devrait ringardiser pour longtemps les partis de gouvernement. 

C’est probablement le chiffre le plus gênant pour les “partis en place”. Il pose la question de la résilience: comment imaginer de rebattre les cartes, quand les générations qui accèdent au droit de vote sont d’ores et déjà convaincues par le parti traditionnellement considéré comme le plus extrémiste de la vie politique? 

2 régions pour un Front Républicain

Face à ces évidences arithmétiques fortes, les partis de gouvernement semblent tétanisés et bien décidés à reprendre les affaires comme avant et comme si de rien n’était. Est-ce la marque d’une incapacité à évoluer? ou le fait d’une cécité tenace dont la finalité est difficile à cerner? Toujours est-il que Jean-Christophe Cambadélis, grand expert en combinazioni électorales, a annoncé hier la retrait des listes socialistes dans deux régions: dans le Nord-Picardie et en Provence-Alpes-Côte-d’Azur. Pourquoi dans ces deux régions seulement, et pas partout en France, dans les situations où la gauche est en troisième position? 

Incontestablement, ce genre de calculs nourrira le sentiment que le Parti Socialiste est décidément incapable de prendre une ligne politique claire et préfère systématiquement les stratégies compliquées et opportunistes. 

Une suite difficile à gérer

On mesure ici l’écart qui sépare les attentes de plus en plus radicales et “carrées” de l’électorat d’un côté, et les pratiques pour ainsi dire congénitales des partis de gouvernement. Ceux-ci vont désormais affronter une longue période de pouvoir (un an et demi) où leur légalité est incontestable, mais leur légitimité très écornée. 

Nul ne sait où cette pente glissante peut mener le pays. 

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