Le licenciement motivé par la demande de résiliation judicaire du salarié est jugé nul

Cet article a été initialement publié sur le site du syndicat la CFDT

Une lettre de licenciement motivée par la demande de résiliation judicaire du salarié constitue une atteinte à la liberté fondamentale d’aller en justice et entraine la nullité de la rupture. Cass. Soc, 03.02.2016, n°14-18.600 

Faits, procédure et problématiques  

La résiliation judiciaire est un mode de rupture du contrat de travail à l’initiative exclusive du salarié. En cas de manquements graves de l’employeur à ses obligations contractuelles, le salarié peut demander au conseil des prud’hommes de résilier son contrat de travail. Le salarié n’étant pas tenu d’informer préalablement l’employeur, ce dernier peut ne prendre connaissance de cette action judiciaire qu’au moment où il reçoit une convocation du conseil des prud’hommes à une audience de conciliation. Le juge analyse alors les manquements qui sont imputés. En cas de résiliation, la rupture sera considérée comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse. À défaut, le juge pourra débouter le salarié et la relation contractuelle entre le salarié et l’employeur se poursuit. 

C’est la voie de la résiliation judiciaire du contrat de travail qu’avait choisi d’emprunter un directeur régional d’une société d’audit financier. Suite à la saisine du conseil des prud’hommes par le salarié, l’employeur lui a adressé une lettre de mise à pied conservatoire avant de le licencier pour faute grave. 

Plusieurs motifs étaient énoncés dans la lettre de licenciement, parmi lesquelles figurait le fait d’avoir présenté une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur. 

La cour d’appel a annulé le licenciement du salarié. L’employeur a donc formé un pourvoi en cassation. 

Devant la Cour de cassation, l’employeur fait valoir qu’il y avait un abus de la part du salarié. Le motif invoqué par le salarié, selon l’employeur, à savoir la « prétendue perte de responsabilité » était de mauvaise foi car le salarié était sur le point de créer sa propre entreprise et que son départ était donc acquis. 

L’employeur a également reproché à la cour d’appel de ne pas avoir tenu compte de l’existence d’autres motifs dans la lettre de licenciement. 

La question tranchée par les magistrats du quai de l’horloge est la suivante : Une lettre de licenciement peut-elle indiquer comme motif de rupture l’action en justice d’un salarié ? 

Protection de l’action en justice d’un salarié  

La Cour de cassation répond sans détour : le reproche de l’employeur figurant dans la lettre de licenciement (à savoir la saisine du salarié de la juridiction prud’homale), constitue une atteinte à la liberté fondamentale et entraîne à lui seul la nullité du licenciement

Autrement dit, l’employeur ne peut motiver un licenciement par la saisine du juge par le salarié sans porter atteinte à une liberté fondamentale : celle d’ester en justice

Peu de protections relatives à l’action en justice du salarié contre l’employeur existent dans le code du travail. Seules les nullités des licenciements faisant suite à une action du salarié dans le cadre de la lutte contre la discrimination et de l’égalité professionnelles entre les femmes et les hommes (1) sont abordées par le législateur. 

La décision de la chambre sociale de la Cour de cassation, s’inscrit dans la ligne d’une autre décision qui avait déjà reconnu le droit d’agir en justice comme liberté fondamentale en affirmant la nullité de la mesure de rétorsion prononcée par l’employeur (2). 

Dans l’arrêt du 2 février 2016, la Cour de cassation précise que dans le cas où il est fait mention dans la lettre de licenciement d’un motif de rupture lié à l’action en justice des salariés, l’employeur ne peut échapper à la nullité de sa décision de licencier. 

La problématique de la saisine de la justice par les salariés n’avait pas d’ailleurs échappée au comité Badinter. Chargé de définir les principes essentiels du droit du travail, le comité a posé à l’article 60 le principe suivant : « L’exercice, par le salarié, de son droit à saisir la justice ou à témoigner ne peut sauf abus, donner lieu à sanction ». 

En attendant (espérant) que le législateur couche cette protection dans le code du travail, le droit d’ester en justice des salariés reçoit une nouvelle fois l’appui de la chambre sociale. 

 

(1) Art. L1134-4 et L1144-3 c.trav 

(2) Cass.soc 06.02.2013, n°11-11.740 

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