Harcèlement moral : Des mesures préventives et correctrices disculpants l’employeur

Cet article a initialement été publié sur le site du syndicat CFDT

 

Un employeur qui justifie avoir pris des mesures préventives et correctives en matière de harcèlement moral peut désormais être exonéré de sa responsabilité si de tels faits surviennent. Cass.soc, 01.06.16, n°14-19702. 

 

  • Rappel de la jurisprudence sur la responsabilité de l’employeur en matière de harcèlement moral et en matière de santé et de sécurité au travail

 

Depuis les arrêts amiante du 28 février 2002, l’employeur est tenu, en matière de protection de la santé et de sécurité des travailleurs dans l’entreprise, d’une obligation de sécurité de résultat. 

Cette jurisprudence a trouvé à s’appliquer au cas du harcèlement moral, de manière constante : la Cour de cassation a considéré que lorsqu’un harcèlement moral est révélé, l’employeur ne peut s’exonérer de sa responsabilité, même en l’absence de faute de sa part, et même lorsqu’il a pris des mesures en vue de faire cesser ce harcèlement (1). 

Cependant, par un arrêt du 25 novembre 2015 (2), l’obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de sécurité au travail a subi une inflexion, l’employeur pouvant s’exonérer de sa responsabilité : la Cour de cassation considère désormais que « ne méconnait pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaire pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de travailleurs, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail »

 

  • Quelle application en cas de harcèlement moral au travail ?

 

Dans cette affaire, un salarié s’estimant victime de harcèlement moral a saisi le conseil de prud’hommes afin d’obtenir des dommages et intérêts en réparation de son préjudice. Celui-ci a par ailleurs fait l’objet d’un licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement. 

La Cour d’appel saisie du litige, déboute le salarié de sa demande. 

Elle rappelle en premier lieu que l’employeur a l’obligation de mettre en place des dispositifs de prévention du harcèlement moral. Elle ajoute que ces dispositifs ne peuvent avoir pour objet principal, pour les salariés s’estimant victimes de harcèlement moral, d’en faciliter l’alerte auprès de l’employeur ou de représentants qualifiés du personnel. 

En second lieu, la cour d’appel relève que l’employeur justifiait avoir pris un certain nombre de mesures : 

– la modification du règlement intérieur, pour y intégrer une procédure d’alerte en cas de harcèlement moral ; 

– dès la connaissance du conflit, la mise en place avec le supérieur hiérarchique d’une enquête interne sur la réalité des faits ; 

– l’organisation d’une réunion de médiation en présence du médecin du travail, du DRH et de 3 membres du CHSCT ; puis d’une mission de médiation, confiée au DRH, d’une durée de 3 mois, entre les 2 salariés en cause. 

L’ensemble de ces constats conduisant la cour d’appel à rejeter la demande de harcèlement moral. 

La Cour de cassation, saisi du pourvoi, a donc dû répondre à plusieurs questions. 

L’employeur peut-il s’exonérer de sa responsabilité en cas de harcèlement moral ? Si oui, à quelles conditions cette exonération est-elle possible ?  

  • Une exonération possible

 

Dans la suite logique de l’arrêt du 25 novembre 2015, la Cour de cassation assouplit ses exigences quant à l’obligation de sécurité de résultat incombant à l’employeur en cas de harcèlement moral. Elle retient en effet que celui-ci a la possibilité de s’exonérer de sa responsabilité s’il justifie avoir agi pour préserver le salarié. 

  • Sous conditions strictes, soumises à la vérification et à l’appréciation des juges du fond

 

Cependant, cette exonération ne peut se faire sans que certaines conditions, strictes, soient réunies. 

En effet, en cas de litige portant sur un harcèlement moral, l’employeur qui entendra s’exonérer de sa responsabilité devra démontrer qu’il a bien respecté les conditions cumulatives suivantes. 

Des mesures de prévention du harcèlement moral : il devra justifier « avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail » (3). Il doit justifier les avoir toutes prises, ce que le juge devra vérifier.  

Des mesures pour faire cesser le harcèlement : dès lors que l’employeur est « informé de l’existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral », il devra justifier avoir « pris les mesures immédiates propres à le faire cesser ». Le juge aura ici pour mission de vérifier que les mesures ont bien été prises immédiatement après la connaissance des faits. 

Dans le cadre de son pouvoir souverain, le juge du fond aura également pour rôle d’apprécier les mesures de prévention et de corrections ainsi prises par l’employeur. 

Après avoir fixé ces conditions d’exonération, la Cour de cassation conclut à la cassation de l’arrêt de la cour d’appel. En effet, la Cour de cassation reproche aux juges du fond de ne pas avoir constaté « que l’employeur avait pris toutes les mesures de prévention visées aux articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail et, notamment, avait mis en œuvre des actions d’information et de formation propres à prévenir la survenance de faits de harcèlement moral ». La première condition à l’exonération, à savoir les mesures de prévention, n’était en effet pas remplie dans cette affaire. 

 

  • Une jurisprudence contestable ?

 

A première vue, de nombreuses raisons pourraient nous conduire à estimer que cette jurisprudence est contestable. En effet, elle revient à assouplir fortement la responsabilité de l’employeur en cas de harcèlement moral et, par là même, à réduire les possibilités pour le salarié victime de harcèlement moral d’obtenir une réparation pour le préjudice qu’il a subi. Le harcèlement a pourtant pour conséquence, comme le précise l’article L. 1152-1 du Code du travail, une dégradation de l’état de santé de la victime, laquelle, bien souvent, ne peut plus travailler à son poste ou dans son environnement de travail, et bien souvent, finit par être licenciée pour inaptitude au poste. La nécessité d’une réparation se justifie car le salarié n’est en rien responsable de la situation dans laquelle il se trouve, et pourtant, il en subit les conséquences les plus lourdes. 

Cette réparation, qui était déjà difficile à obtenir, notamment en raison de la nécessité d’apporter devant le juge la preuve de faits laissant supposer l’existence d’un harcèlement, sera encore plus compliquée. 

Cependant, on peut aussi voir dans cette décision une occasion d’inciter les employeurs à prendre des mesures préventives et correctrices en matière de harcèlement moral. En effet jusqu’à présent, qu’il ait pris des mesures de prévention propres à faire cesser les faits de harcèlement moral ou qu’il n’ait pris aucune mesure, l’employeur était automatiquement responsable si un harcèlement moral était reconnu par les juges. 

Cette responsabilité, identique entre les employeurs « vertueux » et les employeurs « non vertueux », n’était à l’évidence pas de nature à inciter à agir en la matière. En quoi un employeur était-il incité à prendre des mesures préventives et correctives, qui peuvent s’avérer coûteuses, s’il est malgré tout responsable en cas de survenance d’un harcèlement moral ? 

Osons espérer que cette décision conduira les employeurs à réfléchir, puis à agir sur la prévention du harcèlement moral, et plus globalement, sur la prévention des risques professionnels… 

 

(1) Cass.soc, 3.02.2010, n°08-44019. 

(2) Cass.soc, 25.11.15, n°14-24444. 

(3) Article L.4121-1: « L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.  

Ces mesures comprennent : 1° Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ; 2° Des actions d’information et de formation ; 3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés. L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes. Article L.4121-2 : L’employeur met en oeuvre les mesures prévues à l’article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants : 1° Eviter les risques ; 2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ; 3° Combattre les risques à la source ; 4° Adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ; 5° Tenir compte de l’état d’évolution de la technique ; 6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ; 7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu’ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1 ; 8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ; 9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs”. 

 

 

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