L’égalité de traitement doit être respecté dans le transfert conventionnel des salariés

Cet article a été initialement publié sur le site du syndicat CFDT.

 

Le transfert des contrats de travail, par application d’une convention collective prévoyant la reprise d’avantages par avenants aux contrats des salariés, ne fait pas échec au principe d’égalité de traitement. Le transfert ne résulte pas de l’application de la loi et le maintien des contrats n’est pas, selon la Cour de cassation, « destiné à compenser un préjudice spécifique ». Cass.soc.16.09.15, n°13-26788. 

 

Les faits et la procédure 

Une trentaine de salariés d’une entreprise de propreté, affectés sur le site d’une usine, ont changé d’employeur en avril 2005 à la suite de la perte de marché par leur employeur et du transfert de leurs contrats de travail par application de l’accord du 5 mars 2002, annexé à la convention collective nationale des entreprises de prévention et de sécurité. 

Cet accord prévoyait certaines obligations à la charge de l’employeur les reprenant, en particulier, la reprise de l’ancienneté, des niveaux, échelons et coefficients, ainsi que des salaires de base et des primes mensuelles, constantes et soumises à cotisations. L’employeur a donc conclu, avec les salariés repris, des avenants à leurs contrats de travail, afin de respecter les dispositions de l’accord. 

BON A SAVOIR : La perte de marché n’est pas considérée, ni par la CJUE, ni par la Cour de cassation, comme une situation donnant lieu à transfert des contrats de travail par application de l’article L. 1224-1 du Code du travail, car il n’y a pas d’entité économique autonome (CJCE, 11.03.97 ; Ass. Plén.15.11.95). En revanche, un certain nombre de conventions collectives, celle en cause en l’espèce, mais aussi la convention collective de la propreté, prévoient le transfert conventionnel des contrats de travail et définissent elles-mêmes les obligations à la charge de l’employeur repreneur. 

 

Des salariés de l’entreprise d’accueil ont alors saisi la justice et demandé à bénéficier des primes dont bénéficiaient les salariés issus de l’entreprise ayant perdu le marché. 

La cour d’appel de Toulouse a rejeté leurs demandes, considérant que l’exécution par l’employeur de l’accord du 5 mars 2002, prévoyant la reprise des contrats suite à la perte de marché, justifiait la différence de traitement entre les salariés travaillant sur le même site. Position frondeuse des juges du fond puisque leur arrêt contredit la position déjà affirmée par la Cour de cassation en 2014, à propos de l’application de la Convention collective de la propreté (1). 

Qu’à cela ne tienne : les salariés ont saisi la Cour de cassation ! 

 

Les dispositions conventionnelles cèdent face au principe d’égalité de traitement 

« Les obligations découlant de l’accord collectif du fait du transfert conventionnel des contrats de travail peuvent-elles justifier une différence de traitement entre salariés de la même catégorie professionnelle ? Non, répond la Cour de cassation. » 

Sans surprise, la Haute juridiction censure la décision des juges du fond. Selon elle, le maintien des contrats « ne résultant pas de l’application de la loi et n’étant pas destiné à compenser un préjudice spécifique à cette catégorie de travailleurs, l’inégalité qui en résultait entre salariés accomplissant le même travail pour le même employeur (…) n’était pas justifiée par des raisons pertinentes ». Il y avait donc violation du principe d’égalité de traitement. 

 

Une position favorable aux salariés en l’espèce, aux conséquences à méditer… 

Cette solution, que la Cour de cassation a déjà posée s’agissant de la convention collective de la propreté et qu’elle réaffirme ici, est en l’espèce favorable aux salariés puisque si les juges de la cour d’appel de renvoi suivent la Haute juridiction, l’égalisation se fera par le haut : tous les salariés devront percevoir les primes. 

Néanmoins, à bien y regarder, cette position de la Cour de cassation nous semble comporter quelques angles morts et être susceptible de générer des inconvénients. 

Comment s’articule cette solution spécifique aux transferts conventionnels à la solution générale adoptée par la Cour de cassation afin de ne pas brider la liberté conventionnelle ? Prétendre qu’il faudrait écarter l’application du principe d’égalité de traitement aux dispositions conventionnelles n’est pas du tout notre propos. La solution de la Cour de cassation, selon laquelle les différences de traitement entre catégories professionnelles prévues par les conventions collectives font présumer que celles-ci sont justifiées, à charge pour celui qui les conteste de démontrer qu’elles sont étrangères à des considérations de nature professionnelle, nous semble tout à fait raisonnable et équilibrée (2). En effet, cette solution n’exclut pas le contrôle du juge mais permet de reconnaître la légitimité des interlocuteurs sociaux pour négocier des avantages en faveur de telle ou telle catégorie sur des critères objectifs et pertinents. 

Dès lors, pourquoi s’écarter de cette ligne en matière de transferts conventionnels ? Le fait qu’il n’y ait pas de différence de catégorie professionnelle pour justifier de la différence de traitement est sans doute une des raisons. Pourtant, la solution adoptée ici, qui oblige finalement les employeurs à appliquer les avantages à tous les salariés, risque de compromettre, à terme, la négociation de conventions collectives prévoyant la reprise des contrats de travail, en dehors des situations visées à l’article L.1224-1 du Code du travail. De favorable aux salariés en l’espèce, la solution pourrait conduire à une tendance à la régression conventionnelle… 

Une question délicate à laquelle les travaux proposés à la suite du Rapport Combrexelle (3) pourraient permettre de réfléchir plus avant. 

 

(1) Cass.soc.15.01.14, n°12-25402, 12-25403, 12-25406 et 12-25407. 

(2) Cass.soc.27.01.15, n°13-25437. 

(3) Synthèse du rapport de Jean-Denis Combrexelle, proposition n°11 sur la mise en place de groupe de travail relatifs d’une part à l’application du principe d’égalité aux accords collectifs, et d’autre part, aux conditions dans lesquelles, il pourrait être donné davantage de place à la négociation collective pour anticiper le statut des salariés transférés… 

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