Sécuriser la rupture du contrat de travail pour favoriser les embauches : l’idée du Gouvernement à travers la Loi Travail suit les revendications des organisations patronales et les préconisations de l’OCDE. En précisant les critères du licenciement économique tout en plafonnant les indemnités prud’homales en cas de contentieux, il s’agissait en effet de lever les craintes à l’embauche, notamment dans les TPE et PME.
Le Code du Travail créé-t-il une « peur de l’embauche » ? Selon l’OCDE, « la législation de la protection de l’emploi […] décourage l’embauche en postes stables ». Entre des motifs de licenciement pas toujours bien définis, des critères à l’interprétation variable entre les juridictions et un risque financier difficile à jauger en cas de contentieux, les entreprises renonceraient parfois à s’engager dans une embauche.
L’objectif de la Loi Travail est évidemment l’emploi. Elle entendait rassurer les employeurs à travers deux mesures phares : le plafonnement des indemnités prud’homales (qui devrait finalement passer à la trappe), et la redéfinition du licenciement économique, en fixant des critères objectifs et concrets, destinés à être compris et anticipés par les entreprises, tout en limitant le pouvoir d’appréciation du juge, facteur d’incertitudes.
Combler les lacunes de la loi et encadrer le pouvoir du juge
« Cette loi n’invente aucun nouveau motif de licenciement », martèle Manuel Valls. Le licenciement pour motif économique consécutif, par exemple, à une suppression d’emploi, ou à un refus de modification d’un élément essentiel du contrat de travail, existe déjà[1]. Comme tout autre licenciement, il doit avoir une cause réelle et sérieuse, ce qui implique qu’il fasse suite à « des difficultés économiques ou à des mutations technologiques », voire à une « réorganisation pour sauvegarder la compétitivité de l’entreprise », selon un critère ajouté par la jurisprudence[2].
Problème : aucun autre texte ne définit plus précisément la notion de « difficultés économiques ». C’est donc la jurisprudence qui est venue façonner cette définition, à travers des décisions parfois surprenantes ou contradictoires, participant à la création d’une insécurité juridique. En l’absence de critères objectifs, la validité des licenciements économiques est suspendue à l’appréciation souveraine des juges. Ainsi, malgré des résultats nets en baisse, une chute des ventes sur plusieurs trimestres consécutifs, conjugués à une hausse de l’endettement de l’entreprise, la Cour de Cassation a pu considérer qu’un licenciement économique « répondait seulement à un souci de rentabilité »[3].
En l’absence de toute précision dans le Code du Travail, le juge a également fixé le périmètre d’appréciation des difficultés économiques, s’autorisant un pouvoir quasi-normatif. Si les difficultés sont en principe jaugées au niveau de l’entreprise, le périmètre est étendu à l’ensemble du secteur d’activité, y compris les filiales étrangères, dans le cas où cette entreprise ferait partie d’un groupe de sociétés. Ce pouvoir étendu du juge a rendu le licenciement économique incertain pour les employeurs.
Une volonté d’objectiver la notion de « difficultés économiques »
En redéfinissant le licenciement économique, le Gouvernement entend sécuriser les pratiques des entreprises. La sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise, construction jurisprudentielle, serait intégrée à l’art. L. 1233-3 comme justification possible de la rupture du contrat, à côté des « difficultés économiques », « mutations technologiques » et « cessation d’activité ». L’adverbe « notamment » continue de précéder cette liste, ce qui laisse toutefois la porte ouverte à d’autres créations des juges.
Surtout, la principale innovation du texte réside dans l’instauration de critères précis pour caractériser l’existence de difficultés économiques. Alors que les juges considéraient généralement qu’une baisse du chiffre d’affaires ne pouvait à elle seule suffire à justifier le caractère réel et sérieux du licenciement[4] (la démonstration aurait dû être accompagnée d’autres documents), la loi Travail propose que ces difficultés soient établies dès lors qu’on démontre « une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires pendant plusieurs trimestres consécutifs » (en comparaison de l’année précédente uniquement), ou « des pertes d’exploitation pendant plusieurs mois », « une importante dégradation de la trésorerie », ou « tout élément de nature à justifier de ces difficultés ». Ces critères ne seraient évidemment pas cumulatifs, ce qui facilite les licenciements.
Pour fixer les trimestres nécessaires à cette démonstration, la priorité est donnée aux accords de branche (qui devront respecter un minimum légal). A défaut, la baisse des commandes ou du chiffre d’affaire devra intervenir durant quatre trimestres consécutifs, tandis que les pertes d’exploitation devront être caractérisées sur un semestre.
L’autre évolution notable, bien qu’elle concerne moins les PME, réside dans le périmètre d’appréciation des difficultés économiques, qui sera désormais borné au territoire national (même si le groupe est international), dans un souci d’attractivité auprès des investisseurs étrangers, de l’aveu même du Premier Ministre.
Une sécurisation du licenciement économique satisfaisante ?
Cette démarche d’objectivation des « difficultés économiques » s’est attiré certaines critiques, du fait de sa rigidité. On connait la réticence du droit à rentrer dans des cases, et il est vrai que certaines TPE/PME n’auront pas forcément les reins assez solides pour supporter six mois de pertes avant de pouvoir licencier économiquement.
Néanmoins, elles sauront désormais plus précisément dans quelles conditions et à quel moment elles pourront procéder à des ruptures de contrat. On s’attend d’ailleurs à une baisse du contentieux sur cette notion. Dès lors que l’entreprise aura respecté les critères légaux ou conventionnels, et la procédure de licenciement applicable (notamment l’obligation de reclassement), le risque contentieux sera quasi nul.
Seule inquiétude pour les employeurs : la notion de « difficultés créées artificiellement pour procéder à des suppressions d’emploi », intégrée dans la deuxième version du texte par un Gouvernement soucieux de faire des concessions. En fixant des critères précis, la crainte des syndicats était que des entreprises « organisent » leurs difficultés économiques sur une période donnée, afin de procéder à des licenciements « d’économie ». Certes, le contrôle de la fraude est indispensable mais existait déjà à travers la notion de « légèreté blâmable » en jurisprudence. Ici, en permettant expressément au juge de vérifier la réalité des difficultés économiques ou leur caractère artificiel, on craint évidemment une dérive qui consisterait, à terme, à réintroduire par un autre biais un contrôle étendu du juge sur les motifs du licenciement.
[1]Art. L. 1233-3 du Code du Travail. [2]Cass. Soc., 5 avril 1995, n° 93-42.690. [3]Cass. Soc., 5 mars 2014, n°12-25.035, n°12-25.059. [4] Voir notamment : Cass. Soc., 12 décembre 1991, n° 90-44.762.