Fiscalité : des mesures de moins en moins ambitieuses et de plus en plus injustes ?

Cet article a été initialement publié sur le site du syndicat de salariés FO

 

Réforme de la taxe d’habitation

Concernant la fiscalité locale, les mesures décidées en 2018 et 2019 relatives à la suppression progressive de la taxe d’habitation devaient théoriquement bénéficier aux classes moyennes (dégrèvement de 3,8 milliards inscrit dans la loi de finances 2019). 

Toutefois, tous les ménages ne pourront pas encore bénéficier de cette baisse : ne sont en effet concernés que les foyers fiscaux dont le revenu fiscal de référence est inférieur à 27 000 euros pour une personne seule et à 43 000 euros pour un couple augmenté de 8 000 euros pour les deux demi-parts suivantes et de 6 000 euros par demi-part supplémentaire au-delà de deux parts. 

Ce dégrèvement calculé automatiquement sur les avis de taxe d’habitation permettra à terme à 80% des contribuables de bénéficier d’une suppression totale de la taxe d’habitation au titre de leur résidence principale. Cette réforme décidée sans concertation soulève bien des questions sur l’équilibre financier des collectivités locales, sur leur autonomie fiscale et sur la pérennité de l’action publique locale. 

En effet, la taxe d’habitation représentait une ressource importante de l’ordre de 22 milliards de recettes que l’État s’est engagé à compenser seulement à hauteur de 10 milliards d’ici 2020. Or, en 2018, dans un contexte de baisse des dotations globales de fonctionnement et de baisse de la fiscalité des entreprises (CFE, CVAE, etc.), certaines communes n’ont eu d’autre choix que d’augmenter leurs taux et les contribuables n’ont pas constaté de baisse significative de leur taxe d’habitation. 

Réforme du prélèvement à la source

Mais la réforme majeure pour les finances publiques et pour les ménages reste l’entrée en vigueur au 1er janvier 2019 de la retenue à source (PAS) de l’impôt sur le revenu. 

Force Ouvrière s’est toujours opposée à cette contre-réforme du paiement de l’impôt sur le revenu qui comporte des risques de baisse potentielle de recouvrement des recettes de l’État et qui n’apporte pas de simplification majeure concernant l’établissement de l’impôt. Celui-ci reposera toujours sur l’obligation de dépôt d’une déclaration annuelle d’impôt sur les revenus au printemps pour tous les contribuables afin d’ajuster les prélèvements ou acomptes versés à l’impôt définitif. Source de complexité, le PAS s’est traduit à la fois pour les multiples tiers collecteurs (employeurs, caisses de retraites, collectivités, etc…) par des frais inhérents à sa mise en place et surtout par des difficultés rencontrées par nombre de contribuables pour choisir leur taux d’imposition (taux neutre, taux personnalisé par foyer ou taux individualisé), démarche qui s’effectue uniquement par voie électronique. 

Par ailleurs, il est mis fin au secret fiscal vis-à-vis de l’employeur qui sera destinataire du taux d’imposition du contribuable sauf en cas d’option du « taux neutre » pour les salariés qui ne souhaitent pas explicitement que leur taux soit transmis à leur employeur. 

Cette réforme du recouvrement de l’impôt en appelle d’autres… Force ouvrière s’est prononcée contre la fusion de la CSG et de l’impôt sur le revenu. Cette réforme du prélèvement de l’impôt sur le revenu comporte à terme un réel danger de glissement vers un impôt unique prélevé directement à la source sur la fiche de paie, indépendamment du niveau de revenus et du calcul par foyer fiscal, ce qui entraînerait de facto la fin de la progressivité de l’impôt et de son rôle redistributif dans le système fiscal français. 

En une trentaine d’années, le système fiscal français a beaucoup perdu de sa progressivité. Ce faisant, il a perdu dans sa capacité à réduire les inégalités de revenus et de niveaux de vie qui est, il faut le rappeler, l’une des fonctions assignées à la fiscalité. 

Plusieurs mécanismes concomitants sont responsables de cette perte de progressivité. En premier lieu, le rôle décroissant de l’impôt sur le revenu dans le total des prélèvements obligatoires et la perte de progressivité de l’IR lui-même. Il faut rappeler que l’impôt sur le revenu représente moins de 8% du total des prélèvements obligatoires et qu’en l’espace de 20 ans, son barème a perdu 10 tranches. 

Fiscalité environnementale

La TICPE (Taxe intérieure sur la consommation des produits énergétiques) devrait au total rapporter 17 milliards d’euros de recettes en 2019 (contre 13,3 milliards d’euros en 2018), ce qui en fait la quatrième ressource au budget de l’État. 

Toutefois, suite à la crise sociale, le gouvernement a annoncé une annulation de la taxe carbone qui aurait dû passer de 44,60 à 55 euros la tonne au 1er janvier 2019. 

En 2018, la taxe carbone a augmenté en moyenne de 275 euros la facture énergétique des ménages français. Elle aggrave les inégalités économiques et territoriales car les 10% les plus pauvres sont trois fois plus touchés en proportion de leurs revenus que les 10% les plus riches. 

Elle aggrave également la précarité énergétique et le pouvoir d’achat des ménages (logements mal isolés, coûts du chauffage exorbitants, moyens de transports en commun inexistants dans certaines zones et aucune alternative à l’utilisation d’un véhicule personnel en zone rurale). 

Pour FO, il faut généraliser une prime transport pérenne et obligatoire et augmenter le chèque énergie en élargissant le champ de ses bénéficiaires (actuellement limité à 4 millions de ménages). 

Les mesures proposées par le gouvernement (modification du barème kilométrique, le bonus-malus, les primes à la conversion ou les aides à l’achat d’un véhicule propre) sont insuffisantes pour les ménages modestes qui ne disposent pas de moyens de transport en commun. 

Enfin, rappelons que la France compte 12 millions de personnes en précarité énergétique ou endettées au titre de leur facture énergétique, dans des montants qui sont sans commune mesure avec le montant du chèque énergie. 

Vers une fiscalité de plus en plus injuste pour les ménages

Au final, la majeure partie des recettes fiscales supportée aujourd’hui par les ménages provient d’une fiscalité non progressive, c’est-à-dire d’une fiscalité qui ne prend pas en compte leur niveau de revenu. 

A ce processus long d’une perte de progressivité, s’est ajouté un certain nombre de mesures fiscales qui, depuis 2014, ont contribué à augmenter de façon significative les impôts pesant sur les ménages tout en aggravant la perte de progressivité avec les lois de finances 2018 et 2019. 

Une réforme fiscale indispensable pour rétablir l’impôt républicain et financer les services publics

Pour FO, face à la concentration du patrimoine sur les hauts revenus et au glissement de la fiscalité des entreprises vers les ménages, une réforme fiscale en profondeur s’avère urgente et impérative. 

Le consentement à l’impôt citoyen passe donc par une fiscalité mieux répartie et plus juste en fonction du niveau de revenu et du patrimoine détenu par les ménages et non par une fiscalité indirecte comme la TVA ou la fiscalité environnementale qui frappent tous les salariés, retraités, demandeurs d’emplois sans tenir compte de leurs conditions sociales et de leurs facultés contributives. 

Il faut au contraire rétablir la progressivité de l’impôt sur le revenu et augmenter le nombre de tranches de l’impôt sur le revenu (qui n’en compte que 5 aujourd’hui contre 12 en 1982). C’est toujours une revendication forte et d’autant plus forte que, depuis la loi de finances 2018, les revenus financiers ont été sortis du barème progressif de l’IR ce qui va inévitablement pousser à la hausse les inégalités de revenus. 

Selon le rapport CAP 2022, le modèle social français serait devenu obsolète face à l’avènement des nouvelles technologies du numérique qui permettraient de mieux répondre aux besoins des usagers tout en baissant la dépense publique. Pour Force Ouvrière, les services publics doivent demeurer accessibles à tous les citoyens sur l’ensemble du territoire. Les politiques d’austérité menées ces dernières années les ont affaibli en particulier dans les zones rurales ou les zones urbaines défavorisées. 

L’État est confronté à une crise sociale sans précédents provoqué par l’augmentation de la fiscalité sur les ménages. Il est donc urgent d’entreprendre une véritable réforme fiscale en diminuant les nombreuses aides accordées sans contrepartie (Crédit impôt recherche, Crédit d’impôt compétitivité emploi transformé en baisse de cotisations sociales) qui bénéficient surtout aux grosses entreprises ou aux ménages les plus aisés (niches fiscales) et redéployer ces crédits vers le financement des services publics et les populations les plus fragiles. 

Enfin, il est urgent que l’État prenne de véritables mesures afin de lutter contre la fraude fiscale. 

Paradoxalement, le gouvernement a mis en place la loi ESSOC en 2018 (loi pour un État au service d’une société de confiance) qui limite les contrôles à une durée de 9 mois sur une période de trois ans pour tous les services de l’État (DGFIP, Douanes, DGCCRF, Urssaf…) et les entreprises pourront désormais se prévaloir d’un texte fiscal à l’issu d’un contrôle. 

Ce dispositif vise avant tout à alléger les contraintes fiscales et sociales sur les entreprises et rendre plus difficile les missions de contrôle. 

Force Ouvrière dénonce l’ampleur des suppressions d’emplois à la DGFIP (37 600 emplois supprimés aux finances publiques depuis 2002) et l’absence de moyens suffisants pour lutter véritablement contre la fraude fiscale, de l’ordre de 60 à 80 milliards par an. Or, les effectifs dédiés à la lutte contre la fraude fiscale en France sont inférieurs à ceux de la plupart des pays de l’UE et de l’OCDE. 

En outre, il est impératif de renforcer la coopération fiscale entre États et l’échange d’informations tout en harmonisant la fiscalité des entreprises. 

Les projections envisagées par le gouvernement en 2019 dans le cadre de la réforme de la fonction publique pourraient atteindre des milliers de suppressions d’emplois supplémentaires d’ici 2022 rien que pour la DGFIP. Fusions, restructurations : aucun département ou service n’est épargné par le projet de « géographie revisitée », véritable plan social engagé par le ministre Darmanin (SIP, SIE, trésoreries, brigades de vérifications, BCR, cadastre…) 

Ce projet de géographie revisitée destiné avant tout à réaliser des gains de productivité consiste à transférer des services actuellement en Ile-de-France dans des territoires ruraux ou péri-urbains. Il n’a pas pour but de rapprocher les usagers des services publics souvent en déshérence dans certains territoires. 

Là encore, c’est bel et bien pour réaliser des économies avec la mise en place du travail à domicile ou espaces de coworking dans les directions régionales ou locales. Le regroupement des trésoreries hospitalières et le secteur public local seront concentrés sur un nombre restreint de back offices avec seulement un cadre par EPCI (Etablissement public de coopération intercommunale) qui se consacrera à l’expertise et au conseil des élus. 

Les SIE (Services des impôts des entreprises) et SIP (Service des impôts des particuliers) seront également regroupés afin de réduire les ETP (Equivalents temps plein) dans le cadre d’un contrat d’objectifs pluriannuel. 

Parallèlement, la réforme fonction publique présentée fin mars au Conseil des ministres va amplifier les suppressions d’emplois à la DGFIP. 

Le recours massif aux contractuels, la réforme des instances représentatives des personnels, la mise en place de la rémunération au mérite qui seront déclinés à la DGFIP font partie des objectifs inacceptables du projet de loi de réforme de la fonction publique. 

Les agents des finances publiques sont en première ligne, les droits individuels et collectifs et leurs statuts particuliers sont particulièrement menacés avec ces contre-réformes et vont entraîner la destruction de leurs missions et de leurs droits en matière de mutation, avancement, promotion et conditions de travail. 

Conformément à la résolution de son congrès de Lille, « FO exige le maintien du service public et revendique que la satisfaction des besoins essentiels soit reconnue comme un droit fondamental, inaliénable et opposable ». 

En ce sens, les services fiscaux de proximité doivent être préservés et maintenus, ils permettent de lutter efficacement contre les inégalités sociales et territoriales. Il n’y a pas de République sans services publics, sans agents publics. 

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