Cet article provient du site du syndicat de salariés CFDT.
Le 21 décembre dernier, la Commission européenne a lancé une proposition de nouvelle directive « relative à des conditions de travail transparentes et prévisibles dans l’Union européenne », venant ainsi remplacer la directive actuelle « déclaration écrite » adoptée en 1991. Pour tenir compte des évolutions des conditions de travail et des nouvelles formes d’emploi, cette proposition de directive modernise et renforce les dispositions existantes pour accroitre l’efficacité de l’information des travailleurs quant à leurs conditions de travail et créer de nouveaux droits minimaux.
Présentée le 21 décembre dernier par la Commission européenne, la proposition de directive qui complète et adapte les dispositions de la directive « déclaration écrite »(1)actuellement en vigueur, vient concrétiser les grands principes consacrés dans le socle européen des droits sociaux proclamé à Göteborg le 17 novembre 2017. Il s’agit notamment du principe 5 relatif aux emplois sûrs et adaptables, ainsi que du principe 7 sur les informations concernant les conditions d’emploi et de protection en cas de licenciement.
Cette initiative de la Commission européenne fait suite à une consultation des partenaires sociaux en deux phases portant sur une éventuelle révision de la directive relative à la déclaration écrite.
- Le processus d’adoption de la proposition de directive
Lorsque la Commission européenne souhaite présenter des propositions dans le domaine de la politique sociale, le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (Traité FUE) l’oblige à consulter les partenaires sociaux européens sur l’orientation possible d’une action de l’Union(2).
C’est d’ailleurs à l’image de cette procédure de consultation des partenaires sociaux européens, qu’une procédure de concertation préalable à tout projet de réforme envisagé par le Gouvernement français, a été consacrée à l’article 1er du code du travail(3).
A l’occasion de ces consultations, les partenaires sociaux européens peuvent, s’ils le souhaitent, informer la Commission européenne de leur volonté d’entamer des négociations en vue de parvenir à un accord cadre européen.
S’agissant de la directive «déclaration écrite», ceux-ci n’ont pas convenu d’engager des négociations. Prenant acte de cette information, la Commission a alors lancé une proposition de nouvelle directive le 21 décembre dernier.
Si les organisations syndicales se sont prononcées en faveur de la révision de la directive, notamment pour en élargir le champ d’application personnel en incluant des travailleurs non salariés, le contenu des informations à fournir et reconnaître de nouveaux droits minimaux, les organisations patronales se sont, quant à elles, opposées à une telle révision. Doutant ainsi de la réelle volonté des employeurs d’aboutir à un accord, la Confédération européenne des syndicats (CES) soutenue par la CFDT, n’a pas été convaincue de la pertinence d’entamer des négociations avec Business Europe (organisation patronale européenne).
- Les objectifs de la nouvelle directive
L’objectif général fixé par la Commission dans cette proposition de directive «est de promouvoir un emploi plus sûr et plus prévisible tout en garantissant la capacité d’adaptation du marché du travail et en améliorant les conditions de vie et de travail».
De plus, pour atteindre l’objectif général, la commission ajoute des objectifs spécifiques visant à améliorer :
– l’accès des travailleurs aux informations sur leurs conditions de travail ;
– les conditions de travail de tous les travailleurs, notamment ceux qui occupent des emplois nouveaux et atypiques, tout en conservant une marge d’adaptabilité et d’innovation sur le marché du travail ;
– le respect des normes en matière de conditions de travail en veillant à leur application plus stricte ;
– la transparence sur le marché du travail tout en évitant d’imposer des charges excessives aux entreprises de toutes tailles.
- L’extension du champ d’application personnel de la directive
Actuellement, les dispositions de la directive « déclaration écrite » de 1991 ne s’appliquent qu’au seul travailleur salarié.
La proposition de nouvelle directive étend le champ d’application personnel au « travailleur » au sens de la Cour de justice(4) et non plus au seul « travailleur salarié ».
La Commission définit ainsi le «travailleur» comme «une personne physique qui accomplit, pendant un certain temps, en faveur d’une autre personne et sous la direction de celle-ci, des prestations en contrepartie d’une rémunération»(5).
Au-delà des salariés, la directive pourrait désormais également s’appliquer aux travailleurs domestiques, aux travailleurs à la demande, aux travailleurs intermittents, aux travailleurs de plateformes, aux stagiaires et apprentis, etc.
- Elargissement des matières à propos desquelles les informations doivent être fournies
Actuellement, les éléments essentiels que l’employeur doit porter à la connaissance du salarié sont(6) : – l’identité des parties ; – le lieu de travail ; – le titre, le grade, la qualité ou la catégorie d’emploi en lesquels le salarié est occupé ou la caractérisation ou la description sommaires du travail ; – la date de début du contrat de travail ; – s’il s’agit d’un contrat de travail temporaire, la durée prévisible du contrat de travail ; – la durée du congé payé auquel le salarié a droit ; – la durée des délais de préavis à observer par l’employeur et le travailleur en cas de cessation du contrat de travail, ou, si cette indication est impossible au moment de la délivrance de l’information, les modalités de détermination de ces délais de préavis ; – le montant de base initial, les autres éléments constitutifs ainsi que la périodicité de versement de la rémunération à laquelle le travailleur a droit ; – la durée de travail journalière ou hebdomadaire normale du travailleur; – la mention des conventions collectives et/ou accords collectifs applicables au travailleur.
La nouvelle directive actualise et adapte cette liste «pour tenir compte de l’évolution du marché du travail, et en particulier l’augmentation des formes d’emploi atypiques». Ces nouveaux éléments essentiels que l’employeur doit fournir portent sur :
– la durée et les conditions de la période d’essai ; – tout droit à la formation octroyé par l’employeur ; – la procédure, y compris la durée du délai de préavis, à observer par l’employeur et le travailleur en cas de cessation de la relation de travail, ou, si la durée du délai de préavis ne peut être indiquée au moment de la délivrance de l’information, les modalités de détermination de ce délai de préavis ; – si le planning de travail est entièrement ou majoritairement invariable, la durée de la journée ou semaine de travail normale du travailleur et toute modalité concernant les heures supplémentaires et leur rémunération; – si le planning de travail est entièrement ou majoritairement variable, le principe selon lequel le planning de travail est variable, le volume des heures rémunérées garanties, la rémunération du travail effectué au-delà des heures garanties et, si le planning de travail est entièrement ou majoritairement déterminé par l’employeur: – les heures et jours de référence durant lesquels le travailleur peut être appelé à travailler, – le délai de prévenance minimal que le travailleur devrait avoir avant le début d’une tâche ; (La directive prend ici en compte les nouvelles formes d’organisations du travail, tel le travail occasionnel, les contrats dit «zéro heure» existants au Royaume-Uni ou le travail en plateforme). – les informations sur le ou les systèmes de sécurité sociale percevant des cotisations ; – pour la catégorie spécifique des travailleurs détachés, des informations complémentaires doivent être données. La proposition de révision de la directive de 1991 s’aligne sur les dispositions de la directive 96/71 relative au détachement des travailleurs et la directive d’exécution de la directive détachement 2014/67.
- Moment et moyens de transmission des informations
Aujourd’hui, le délai durant lequel l’employeur doit transmettre l’information au salarié est de 2 mois. Un écrit est par ailleurs obligatoire. La remise de cet écrit par l’employeur peut prendre la forme suivante : un contrat de travail écrit, une lettre d’engagement, un ou plusieurs autres documents écrits tels que la fiche de paie.
La proposition de nouvelle directive prévoit que les informations doivent être transmises dès le premier jour du contrat.
Elle se conforme ainsi au principe 7 du socle européen des droits sociaux qui énonce que «les travailleurs ont le droit d’être informés par écrit, lors de leur entrée en fonction, des droits et obligations qui résultent de la relation de travail, y compris durant la période d’essai».
Par quel moyen peut se faire l’information ? Selon la nouvelle directive, cette information doit toujours se faire par écrit mais elle autorise l’utilisation de la voie électronique, «à condition que le travailleur puisse y avoir facilement accès et qu’il puisse être sauvegardé et imprimé»(7).
- Les exigences minimales concernant les conditions de travail ou les nouveaux droits reconnus aux travailleurs
5 nouveaux droits sont reconnus par la proposition de directive :
– le droit à une durée maximale de période d’essai : celle-ci ne doit pas excéder 6 mois, prolongation comprise ; toutefois, les Etats membres peuvent prévoir des périodes d’essai plus longues dans 2 cas : lorsque la nature de l’activité le justifie ou lorsque cela est dans l’intérêt du travailleur.
– le droit à exercer un « emploi en parallèle » : a contrario, ce droit signifie l’interdiction des clauses d’exclusivité. Ainsi, un Etat membre ne peut pas interdire aux travailleurs d’exercer un emploi auprès d’autres employeurs, en dehors du planning de travail établi avec cet employeur. Des restrictions à ce droit peuvent exister si elles sont justifiées par des motifs légitimes tels que la protection des secrets d’affaires ou la prévention des conflits d’intérêts.
– le droit à une prévisibilité minimale du travail : si le travailleur a un planning de travail variable, dans lequel c’est l’employeur, et non le travailleur, qui détermine la planification des tâches, alors l’employeur doit informer ces travailleurs des périodes (c’est-à-dire des heures et jours) durant lesquelles ils peuvent être appelés à travailler. De plus, l’employeur doit respecter un délai de prévenance suffisamment raisonnable, fixé à l’avance dans la déclaration écrite. A défaut, les travailleurs ne peuvent être contraints de travailler et ne doivent pas subir de préjudice en cas de refus.
– le droit de demander une autre forme d’emploi : les travailleurs qui ont 6 mois d’ancienneté auprès du même employeur ont la possibilité de demander une forme de travail plus sûre et prévisible. C’est le cas par exemple des travailleurs à temps partiel souhaitant passer à temps plein. L’employeur doit alors répondre par écrit dans un délai dans un délai de 1 mois. Ce délai est porté à 3 mois pour les personnes physiques, les micro, les petites ou les moyennes entreprises.
– le droit à la formation : les employeurs sont tenus de fournir une formation aux travailleurs pour l’exécution du travail pour lequel ils sont engagés. Cette formation doit être fournie gratuitement au travailleur.
- Sanctions en cas de manquement de l’employeur
Afin d’assurer l’effectivité des dispositions de la nouvelle directive, et sanctionner les éventuels manquements de l’employeur, la proposition de directive prévoit deux types de mesures :
– le bénéfice de présomptions favorables pour le travailleur lorsqu’il ne reçoit pas de déclaration écrite et que l’employeur n’y remédie pas dans un délai de 15 jours. Ces présomptions sont, par exemple la présomption légale de relation à durée indéterminée si aucune information n’est donnée sur la durée de la relation de travail ; la présomption d’un temps plein si aucune information n’est donnée sur les heures rémunérées garanties ; la présomption d’absence de période d’essai si aucune information n’a été donnée sur l’existence ou la durée de celle-ci. Ces présomptions sont des présomptions simples car l’employeur peut toujours les réfuter.
– la possibilité pour le travailleur d’introduire une plainte auprès d’une autorité compétente en temps utile (par exemple l’inspecteur du travail ou une instance judiciaire). Cette dernière pourra infliger une sanction administrative appropriée, même lorsque la relation de travail a pris fin.
D’ailleurs, la nouvelle directive énonce que les Etats membres doivent veiller à ce que les travailleurs, même ceux dont la relation de travail a cessé, «aient accès à un système de règlement des litiges efficace et impartial et bénéficient d’un droit de recours, assorti d’une compensation adéquate, en cas de violation de leurs droits»(8).
- Quelle suite ?
La balle est maintenant dans le camp du Parlement européen et du Conseil qui doivent prendre position sur cette proposition de directive et proposer des amendements.
Pour la CFDT, les dispositions de la nouvelle directive, notamment l’extension du champ d’application à tous les travailleurs et la reconnaissance de nouveaux droits minimaux permet une réelle prise en considération des nouvelles formes de travail et de la précarité de certains travailleurs. Pour construire une Europe plus sociale, il est nécessaire de converger vers le haut en assurant une protection à ces catégories de travailleurs vulnérables et en leur reconnaissant de nouveaux droits.
Cette proposition de directive constitue par ailleurs une réelle opportunité de concrétiser dès à présent les principes garantis par le socle européen des droits sociaux.
(1) Directive 91/533 du 14.10.91 relative à l’obligation de l’employeur d’informer le travailleur des conditions applicables au contrat ou à la relation de travail.
(2) Art. 154 du Traité FUE.
(3) L’article 1er du Code du travail est issu de la loi n°2008-67 du 21 janvier 2008, art. 3 : « Tout projet de réforme envisagé par le Gouvernement qui porte sur les relations individuelles et collectives du travail, l’emploi et la formation professionnelle et qui relève du champ de la négociation nationale et interprofessionnelle fait l’objet d’une concertation préalable avec les organisations syndicales de salariés et d’employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel en vue de l’ouverture éventuelle d’une telle négociation ».
(4) CJCE, Deborah Lawrie-Blum, 3.07.86, aff. 66/85; CJUE 17.11.16, Ruhrlandklinik, aff. C-216/15.
(5) Art. 2, a) de la Proposition de directive du 21.12.17.
(6) Art. 2 §2 de la directive 91/533.
(7) Art. 4§1 de la proposition de révision de la directive 91/533.
(8) Art. 15 de la proposition de directive du 21.12.17.