Beaucoup de Français vivent avec l’illusion, ou la conviction naïve, que l’Etat est l’acteur naturel et légitime pour mener à bien des politiques de santé publique. Mais, après plusieurs mois de tension hospitalière autour du COVID, le décrochage français en matière de vaccins illustre à merveille la profondeur du naufrage étatique. Non seulement Sanofi est incapable de produire un vaccin aussi rapidement que ses concurrents, non seulement l’Institut Pasteur a déclaré forfait sur le sujet, mais une start-up nantaise a fabriqué un vaccin sans le moindre soutien de l’Etat… et les vend aujourd’hui à la Grande-Bretagne. En dehors de sa connivence avec de vieux acteurs dépassés comme Sanofi, la technostructure est-elle capable de servir l’intérêt général ?
Alors que l’Etat peine à obtenir les doses de vaccin qu’il a commandées auprès de Pfizer, une start-up de Nantes comme à exporter son vaccin… en Grande-Bretagne. Par quel miracle Valneva va-t-elle apporter son concours à un pays qui vient de sortir de l’Union Européenne, tout en payant des impôts à un pays qui manque de doses mais qui n’a même pas eu l’idée de les commander ?
On marche sur la tête. Après des discours martiaux, d’Emmanuel Macron notamment, sur la relocalisation de la production pharmaceutique en France, on découvre que l’Etat n’a pas fait un geste pour soutenir Valneva dans ses recherches, et a tout misé sur un acteur quasi-public, Sanofi, qui licencie massivement ses chercheurs tout en se révélant incapable de produire un vaccin.
Cette cruelle simultanéité des faits montre une fois de plus combien l’Etat est incapable de piloter lui-même la santé publique, et combien l’intervention de l’initiative privée est aujourd’hui indispensable pour soigner les populations.
Valneva, ou « small is ugly »
Valneva est une start-up nantaise. Depuis plusieurs mois, cette PME travaille sur un vaccin contre le COVID. Il est de notoriété publique que, depuis le mois d’avril, l’entreprise était à la recherche de subventions pour financer ses travaux.
Un communiqué le mentionnait dès avril 2020.
Mais, à cette époque, l’Etat pariait essentiellement sur le vaccin développé par Sanofi. On comprend que, dans cette relation privilégiée entre Bercy, le ministère de la Santé et Sanofi, dont les relations de connivence avec Bercy sont nombreuses, les appels du pied lancés par un petit acteur comme Valneva ont à peine réveillé de leur sieste les chefs de bureau du ministère de l’Economie. Au mieux, Valneva a dû arracher un rire sardonique à ces énarques nourris au lait du mépris pour tout ce qui est petit (small is ugly) et béats d’admiration devant les grandes multinationales où ils espèrent être recrutés (big is beautiful).
Quand Sanofi roulait des mécaniques
On l’a un peu oublié, mais, à la même époque, Sanofi annonçait un vaccin pour le deuxième semestre 2021, et son directeur général annonçait qu’il servirait les Etats-Unis en premier, si ceux-ci payaient plus cher que la France. La quasi-exclusivité du soutien public accordé à Sanofi ne s’accompagnait donc d’aucune réciprocité. Au nom de quel principe l’Etat s’interdit-t-il d’aider d’autres entreprises que Sanofi, qui se considère pour sa part libre de contractualiser avec qui elle veut ?
Au passage, le fait que Sanofi ne serait pas prête avant la fin 2021 est connu depuis près d’un an. Alors que le gouvernement explique depuis plusieurs mois que le vaccin est notre seule stratégie, on voit bien que l’ensemble de la machine administrative d’Etat s’est calée sur une campagne de vaccination à partir de 2022 (le temps que le vaccin Sanofi soit disponible). Le fait que des concurrents de Sanofi, y compris un français comme Valneva, aient pris le laboratoire français de vitesse, n’a rien changé, semble-t-il, à ce calcul posé dès le mois de mai 2020.
Sanofi, et le capitalisme de connivence à la française
Il est vrai que les relations d’intérêt entre l’Etat et Sanofi sont nombreuses, à la base pour des raisons simplement historiques d’ailleurs.
Rappelons qu’initialement, Sanofi nait, en 1973, d’un « spin off » d’Elf -Aquitaine. Dès 1976, Sanofi se rapproche de l’Institut Pasteur. Par la suite, Sanofi rachète Synthélabo, dont la famille Bettencourt, à travers l’Oréal, est actionnaire majoritaire.
Cette petite circonstance explique pourquoi la famille Bettencourt est aujourd’hui l’actionnaire de référence de Sanofi, avec environ 8,5% du capital détenu.
Mais depuis les années 70, Sanofi est au coeur de cette connivence dont on mesure aujourd’hui la toxicité, avec un ministère de l’Economie qui ne refuse rien à ce géant pharmaceutique possédé in fine par la famille la plus riche de France.
Sanofi, machine à cash plutôt que laboratoire de recherche ?
S’il se trouve que, dans les années 80 ou 90, ce modèle du « big is beautiful » garantissait le développement d’une recherche privée efficace, la donne a progressivement changé. Tout l’a vu et compris, sauf les énarques de Bercy qui restent accrochés à leur modèle dépassé comme des moules à leur rocher.
L’épidémie de COVID montre bien comment le modèle de recherche que Sanofi porte est désormais obsolète et inefficace sur le plan international. Le fait que, l’année même où Sanofi annonçait un retard d’un an sur ses concurrents dans la production d’un vaccin anti-COVID, le laboratoire ait aussi annoncé des coupes douloureuses dans ses effectifs de recherche et développement est tout un symbole.
Sanofi n’est pas une machine qui s’intéresse vraiment à la recherche, au médicament ou à la santé. Comme tous les grands laboratoires du monde, c’est d’abord une machine à cash qui doit rémunérer ses actionnaires. En l’espèce, Sanofi a annoncé verser 4 milliards de dividendes en 2020. Soit plus de 300 millions pour la seule famille Bettencourt.
Le naufrage de l’Institut Pasteur
Dans le même temps, le fleuron de la recherche publique en France, l’institut Pasteur, annonçait renoncer à ses recherches sur un vaccin contre le COVID. Odile Launay, coordinatrice du centre de vaccinologie Cochin-Pasteur, a dressé ce constat cinglant concernant ce naufrage :
« On peut juste constater, avec regret, que les Allemands ont deux vaccins aux avant-postes, un déjà utilisé et un en phase 3, et nous aucun. Et le Français qui a réussi travaille aux Etats-Unis : il y dirige Moderna. J’espère que la France pourra au moins aider à produire de l’ARN messager en quantités pour vacciner plus vite. »
Odile Launay
Faut-il préciser ici que l’Institut Pasteur a, historiquement, des liens complexes avec Sanofi, qui sont des liens d’intérêt (notamment parce que Sanofi est historiquement actionnaire majoritaire de la filiale « production » de Pasteur, créée précisément pour pallier les difficultés de mise en production du laboratoire public) ? Toujours est-il que, entre la « lenteur » de Sanofi et le naufrage de Pasteur, la France s’est trouvée en panne de vaccins, alors même que ce vaccin était présenté comme la solution essentielle pour sortir de la crise pandémique.
Pourquoi l’Etat s’est-il contenté de parier sur un grand laboratoire très lié aux intérêts publics, sans accorder le moindre crédit aux solutions alternatives qui s’avèrent aujourd’hui les seules qui fonctionnent ? On aimerait qu’une commission parlementaire pose la question dans le blanc des yeux, mais cette hypothèse paraît de plus en plus farfelue.
La logique énarchique au coeur du problème
De ce qui pose problème dans le déroulé de cette histoire, on sait par coeur les leviers et les méandres. Comme le journal La Croix l’a souligné, Bercy ne s’est pas intéressé, pour des questions de taille, à ceux qui ont réussi :
« Ce sont les PME qui innovent en majorité, souligne-t-elle. L’Allemagne l’a bien compris et les États-Unis le font puis vingt ans. Or, la France a fait le choix de soutenir en priorité de grandes structures… »
Fabienne Hallouin
Directrice d’Atlanpole
On retrouve ici le sujet de fond de la haute fonction publique : une fascination pour les grandes structures, pour les grandes entreprises, et un mépris souverain pour la start-up de province qui innovent sans avoir rien demandé à personne, et de préférence sans avoir demandé à figurer parmi les futures licornes choisies ou identifiées par Emmanuel Macron en 2019.
Nous sommes ici au coeur du problème : la haute administration n’a guère de culture économique ni industrielle. Elle se fie aux réputations, au qu’en-dira-t-on, à l’opinion générale, sans savoir si elle est fondée ou non. Et, dans cette logique moutonnière, Valneva a infiniment moins de chances de briller que Sanofi.
L’Etat est-il capable de s’occuper de santé publique ?
Reste une certitude. Nous traversons la première pandémie « moderne » et l’initiative privée paraît beaucoup plus experte pour la surmonter que la recherche publique. Les dysfonctionnements du service public, étouffé par une caste de gentilhommes dépassés par les événements, deviennent un véritable handicap pour ce pays.
Face aux naufrages à répétitions des politiques de santé publique, l’Etat est-il encore légitime pour s’occuper de ces sujets ? Le débat est ouvert, mais personne ne peut le trancher de façon simple. Quoiqu’il arrive sans une réforme fondamentale du service public, le décrochage français dans la recherche scientifique n’ira que grandissant. Et c’est bien le problème qui nous occupe aujourd’hui.