Une décision contraire à une directive européenne engage-t-elle la responsabilité de l’Etat ?

Cet article a été initialement publié sur le site du syndicat : CFDT

 

Un tribunal administratif vient de condamner l’Etat en raison de la non-assimilation des périodes d’absences pour maladie non professionnelle à du temps de travail effectif pour l’acquisition des congés payés, cela étant contraire à la directive européenne octroyant à chaque salarié un congé annuel de 4 semaines. TA Clermont-Ferrand, 06.04.16 

Rappel des règles françaises et européennes sur la prise en compte des périodes d’absence pour maladie dans le calcul du droit à congés payés

 

Le Code du travail prévoit que chaque salarié bénéficie, pour chaque mois de travail, de 2,5 jours ouvrables de congés payés, soit 5 semaines au total pour une année travaillée. Afin de calculer le droit au congé au regard des périodes travaillées ou non, le législateur a dressé une liste de périodes d’absence qu’il assimile à du temps de travail effectif pour le calcul du droit[1]. Les absences pour maladie non professionnelle ne font pas partie des périodes d’absence prise en compte. De ce fait, un salarié, en absence pour maladie professionnelle, peut voir son droit à congés être diminué au prorata de cette absence, diminution pouvant même aller jusqu’à 0 jours de congés pour des absences de très longue durée. 

Le droit européen prévoit quant à lui que tout salarié bénéfice d’un congé annuel de 4 semaines[2], peu importe qu’il ait travaillé ou non sur toute la période de référence, et notamment qu’il ait été absent pour maladie non professionnelle. 

 

L’impossibilité d’imposer à un employeur français l’application directe de la directive

 

Constatant cette différence entre la règle française et la règle européenne, plus favorable, un salarié avait saisi un conseil de prud’hommes afin d’obtenir la condamnation de son employeur à lui verser un rappel de salaire au titre des congés payés dont il avait été privé. Dans cette affaire, la Cour de cassation avait considéré que la directive en question ne permettait pas d’écarter les dispositions du droit national contraire, refusant ainsi de faire jouer l’effet direct de ladite directive[3]

Ainsi, un salarié, qui a subi des absences pour maladie non professionnelle, ne peut donc pas réclamer de son employeur, devant les juridictions civiles, le respect de la directive prévoyant un congé annuel de 4 semaines minimum, ceci tant que la législation nationale n’était pas modifiée. 

La messe était-elle dite ?

 

Pas complétement, il restait encore une voie à explorer, celle de la recherche de la responsabilité de l’Etat pour absence de mise en conformité de sa législation à la directive européenne. 

C’est dans cette voie que s’est lancé un salarié, qui, après avoir subi une période d’absence pour maladie relativement longue, a vu son droit à congés payés amputé, pour être inférieur aux 4 semaines de congés annuels annuel prévues par la directive. L’action devant un conseil de prud’hommes étant voué à l’échec compte tenu de la position de la Cour de cassation, le salarié a décidé d’agir devant les juridictions administratives afin d’obtenir la condamnation de l’Etat français pour le préjudice subi du fait de la perte d’un droit à congé, en raison de l’absence de mise en conformité de la législation nationale. 

 

La possibilité d’agir devant les juridictions administratives pour obtenir la condamnation de l’Etat au motif de la non transposition de l’article 7 de la directive 2003/88/CE

  • Rappel des obligations de l’Etat en matière de droit européen

 

Tout d’abord, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand rappelle que la responsabilité de l’Etat français peut être recherchée pour réparer les préjudices résultant de l’adoption d’une loi en méconnaissance des engagements internationaux. 

Il rappelle aussi que la transposition des directives européennes constitue une obligation constitutionnelle et qu’il appartient au juge national de garantir l’effectivité des droits que les personnes tirent de cette obligation. 

 

  • Le constat de la contrariété entre le droit français et la directive européenne sur le congé annuel…

 

Ensuite, comme l’avait d’ailleurs fait la Cour de cassation dans son arrêt de 2013, le tribunal administratif constate le droit français est contraire à la directive européenne : les dispositions du code du travail, qui prévoient que les périodes d’absence pour maladie non professionnelle ne sont pas considérées comme du temps de travail effectif pour le calcul du droit à congés, sont incompatibles avec la directive en « ce qu’elles font obstacle à ce qu’un salarié bénéficie d’au moins quatre semaines de congé annuel payé au titre d’une année qu’il a passée en tout ou partie en situation de congé maladie d’origine non professionnelle »

  • Qui entraine la possibilité d’engager la responsabilité de l’Etat en cas de non-transposition

 

Après avoir rappelé qu’une « directive ne peut pas par elle-même créer d’obligations dans le chef d’un particulier » et « qu’il suit de là qu’un salarié ne peut exiger d’un employeur privé de lui accorder le bénéfice de dispositions d’une directive non transposée », le tribunal retient que « le requérant, 

ainsi dépourvu de toute chance sérieuse d’obtenir le rétablissement de son droit à congé annuel par les juridictions judiciaires, est fondé à demander à engager la responsabilité de l’Etat du fait de l’inconventionnalité de l’article L 3141-5 du code du travail ». 

 

C’est ainsi que le tribunal a conclu à la condamnation de l’Etat à réparer le préjudice du salarié, équivalent « à la perte de jours de congés payés correspondant à la différence entre la période minimale de congé annuel prévue par la directive 2003/88/CE et le nombre de jours de congé annuel que son employeur lui a effectivement accordés au titre de l’année 2014, soit, dans les circonstances de l’espèce, la perte de 6,5 jours de congés ». 

 

La portée de ce jugement

 

Si l’on ne peut que se féliciter de cette décision, sa portée reste toutefois limitée car il ne s’agit en effet que d’une décision de première instance. 

Elle pourra toutefois inciter plus d’un salarié à saisir les juridictions administratives afin d’obtenir la condamnation de l’Etat tant que ce dernier ne modifiera pas le code du travail pour le mettre en conformité avec la directive européenne. 

Il aurait d’ailleurs pu saisir l’occasion du projet de loi EL KHOMRI pour le faire, mais malheureusement, rien ne figure à ce sujet en l’état actuel du texte. 

 

[1] Article L. 3141-5 du code du travail 

[2] Article 7 de la directive 2003/88/CE 

[3] Cass. soc, 13 mars 2013, n° 11-22285 

 

Ajouter aux articles favoris
Please login to bookmark Close
0 Shares:
Découvrez nos analyses et capsules vidéos
Lancer la vidéo

Webinaire Tripalio #2 : Le point sur les catégories objectives dans les CCN

Lancer la vidéo

Le pouls des CCN #4 : zoom sur le médico-social non lucratif

Lancer la vidéo

Le pouls des CCN #3 : les enjeux de la rentrée de septembre 2025

Lancer la vidéo

Webinaire Tripalio #3 : les CCN face à l'assurance obsèques de l'enfant de -12 ans

Vous pourriez aussi aimer
Lire plus

La solidarité au cœur du Comptoir des Branches de Malakoff Humanis

Le 2 décembre 2025, Malakoff Humanis a réuni ses partenaires dans un lieu conviviable pour une nouvelle édition du « Comptoir des branches ». Lancé en mai 2021 à l’initiative du groupe de protection sociale Malakoff Humanis, il agit comme un lieu d’échange et de co-construction pour les partenaires sociaux des branches professionnelles autour de la protection sociale. Ce rendez-vous s’est imposé comme un espace d’échange incontournable. À l’occasion des 10 ans du dispositif de solidarité, cette soirée était...
Lire plus

Le socle solidaire et responsable écarté du PLFSS en 2e lecture

C'est sans grande surprise que les députés ont supprimé hier (3 décembre 2025) l'article 6 quater, créant un socle solidaire et responsable, du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2026. Cet article inséré par le Sénat devait permettre de commercialiser des contrats moins généreux en termes de prestations que l'actuel contrat responsable et...

La Mutualité française appelle les français à participer aux Etats généraux de la santé et de la protection sociale

Ce communiqué a été diffusé par la Mutualité française. Comment les Français peuvent-ils se réapproprier leur protection sociale ? En donnant leur avis dans le cadre des Etats généraux de la santé et de la protection sociale, estime Julien Damon, professeur associé à Sciences Po. Il s’est exprimé lors du lancement...

Intériale quitte la Mutualité Française

Plusieurs confrères de la presse spécialisée annoncent, ces dernières heures, la décision prise par Intériale, ayant longtemps joué un rôle central dans l'assurance santé des agents et anciens agents du ministère de l'Intérieur, de quitter la fédération nationale de la mutualité française. Cette décision résulterait notamment des tensions survenues entre opérateurs mutualistes, et dans le cadre de leur représentation, au cours de la mise en œuvre de la réforme...

Avis d’extension d’avenants à la CCN de la production cinématographique

Le ministre du travail et des solidarités, envisage d’étendre, par avis publié le 4 décembre 2025, les dispositions de l’avenant du 26 mars 2025 relatif à la révision des salaires minima et de l'avenant du 26 septembre 2025 relatif à la classification, conclus dans le cadre de la convention collective nationale de la production cinématographique du 19 janvier 2012 (...