Un syndicat qui appelle à dégrader du matériel est pénalement répréhensible

Cet article provient du site du syndicat de salariés CFDT

 

Un dirigeant local de syndicat qui appelle ses adhérents à participer à des dégradations rend coupable son syndicat de complicité, par provocation au sens de l’article 121-7 du Code pénal. Il engage aussi la responsabilité civile du syndicat au titre de l’article 1382 du Code civil (nouvel article 1240). C’est ce que juge la Cour de cassation, réunie en chambre mixte. Cass.ch.mixte.30.11.18, n°17-16.047. 

Gare aux conséquences, pour le syndicat, des propos tenus par son dirigeant !  

Le dirigeant syndical appelant publiquement à commettre des actes illicites fait courir au syndicat le risque de verser des dommages et intérêts à la victime, en application des règles de la responsabilité civile et ce, sans qu’il soit possible de bénéficier de la loi sur la liberté de la presse. 

 

 

 

 

 

  • Faits, procédure

Dans cette affaire, des producteurs de lait s’étaient réunis aux abords de l’entreprise et avaient exprimé leur mécontentement en plaçant des pneus devant le portail et en y mettant le feu. Les équipements permettant la fermeture du site avaient alors été détériorés. Ces dégradations faisaient suite à un appel en public, devant la presse, du dirigeant d’un syndicat local d’agriculteurs à commettre des actes illicites. 

La société a décidé d’agir en justice sur le fondement de la responsabilité civile aux fins d’obtenir des dommages et intérêts. 

Le tribunal de grande instance a condamné in solidum le dirigeant et le syndicat au paiement de dommages et intérêts. 

La cour d’appel n’a elle pas retenu la responsabilité du dirigeant local du syndicat qui agissait dans le cadre de son mandat. Toutefois, elle reconnaît qu’il existait bien un lien entre les directives du dirigeant et les dégradations commises, mettant en cause le syndicat. Les juges qualifient ces instructions de provocations directes à commettre des actes illicites dommageables au moyen de pneus (article 121-7 du Code pénal), faute conduisant à la responsabilité civile du syndicat au titre de l’ancien article 1382 du Code civil. 

Un pourvoi est alors formé par le syndicat. Pour la première fois, il soutient le fait que les actes reprochés relèvent de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse (plus précisément son article 23 visant les abus), et non du droit commun. Pour cela, le syndicat se prévaut de la jurisprudence de la Cour de cassation (1) prévoyant que la loi sur la liberté de la presse prime dès lors que des propos, écrits ou discours constituent des abus à la liberté d’expression prévus et réprimés par cette loi. En allant sur le terrain de la loi sur la liberté de la presse, le syndicat ne pouvait être condamné sur le terrain de la responsabilité civile.  

En pareille hypothèse, les propos du dirigeant peuvent-il engager la responsabilité civile du syndicat ?  

Article 1382 du Code civil (nouvel article 1240) : « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». Et article 23 de la loi sur la liberté de la presse : « Seront punis comme complices d’une action qualifiée crime ou délit ceux qui, soit par des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l’écrit, de la parole ou de l’image vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par des placards ou des affiches exposés au regard du public, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique, auront directement provoqué l’auteur ou les auteurs à commettre ladite action, si la provocation a été suivie d’effet. Cette disposition sera également applicable lorsque la provocation n’aura été suivie que d’une tentative de crime prévue par l’article 2 du Code pénal ». 

  • Le syndicat coupable de provocation à commettre des actes illicites

La Cour de cassation réunie en chambre mixte rejette le pourvoi et confirme en tout point le raisonnement de la cour d’appel. Elle retient que « la cour d’appel, ayant fait ressortir la participation effective du syndicat aux actes illicites commis à l’occasion de la manifestation en cause, il en résultait que l’action du syndicat constituait une complicité par provocation, au sens de l’article L. 121-7 du Code pénal (…) ». 

La Cour de cassation peut se réunir en chambre mixte lorsqu’une question dont elle est saisie relève de la compétence d’au moins deux d’entre elles (civiles, pénale, sociale et commerciale). En l’espèce, la question touche à la fois au droit pénal et au droit civil. 

  • Responsabilité civile du syndicat engagée, la loi sur la liberté de la presse écartée

La Cour de cassation en conclue que le syndicat engage alors sa responsabilité civile au titre de l’ancien article 1382 du Code civil et n’est pas couvert par la loi sur la liberté de la presse « (…) il en résulte que se trouvait caractérisée une faute de nature à engager sa responsabilité sur le fondement de l’article 1382, devenu article 1240 du Code civil, sans que puisse être invoqué le bénéfice des dispositions de l’article 23 de la loi du 29 juillet 1881 ». 

EN ÉCARTANT L’ARTICLE 23 DE LA LOI SUR LA LIBERTÉ DE LA PRESSE ET EN RETENANT LA COMPLICITÉ DE DROIT COMMUN POUR QUALIFIER LA FAUTE, LE SYNDICAT A ÉTÉ CONDAMNÉ À VERSER À LA SOCIÉTÉ PAS LOIN DE 70 000 EUROS DE DOMMAGES ET INTÉRÊTS POUR RÉPARER LE PRÉJUDICE SUBI.  

  • De lourdes conséquences pécuniaires pour le syndicat

Cet arrêt est lourd de conséquences, puisque la responsabilité pécuniaire du syndicat est engagée par les déclarations d’un dirigeant syndical dans le cadre de ses fonctions. En outre, cette solution devrait sans nul doute pouvoir être transposée à un syndicat de salariés. 

Ce raisonnement ne surprend pas, puisque, comme le rappelle le Premier avocat général dans son rapport, la Cour de cassation a déjà retenu qu’en cas de grèves illicites, la responsabilité civile du syndicat est engagée lorsqu’il appelle le personnel à ne pas exécuter certaines tâches plutôt qu’à réellement cesser le travail (2).  

La Cour de cassation a néanmoins précisé que la responsabilité du syndicat ne peut être engagée que s’il a commis les actes illicites ou y a activement participé (comme cela a été reconnu en l’espèce). Le fait d’avoir simplement accompagné le mouvement ne suffit pas (3). 


(1) Ass.plén.12.07.00, n°98-10.160. 

(2) Cass.soc. 11.07.16, n°14-14226. 

(3) Cass.soc. 29.01.03, n°00-22290. 

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