La Cour de cassation a récemment rendu une décision concernant un accord d’entreprise modifiant la convention collective nationale de Pôle emploi.
Il s’agissait d’un accord signé entre la direction de Pôle emploi et la CFE-CGC métiers de l’emploi, la CFDT personnel de la protection sociale du travail et de l’emploi et la CFTC emploi. Cet accord a reçu une opposition directe d’autres syndicats non signataires et la Cour de cassation a dû se prononcer sur la validité de cette opposition.
Le litige centré sur les moyens d’opposition à un accord d’entreprise
Dans le cas présenté à la Cour, les organisations syndicales non signataires se sont opposées à l’entrée en vigueur de l’accord signé le 19 décembre 2014 par un écrit remis en main propre ainsi que par des courriers électroniques en date du 19 décembre 2014 et du 5 janvier 2015.
La Cour d’appel a considéré que l’opposition écrite, signée par 3 syndicats non signataires de l’accord, remise en main propre le 19 décembre 2014 à un représentant de Pôle emploi puis envoyée par mail à tous les syndicats signataires de l’accord, était parfaitement valide.
Les signataires de l’accord ont donc formé un pourvoi contestant la validité de l’opposition.
L’opposition à un accord d’entreprise par mail est admise
Pôle emploi et les syndicats signataires de l’accord considèrent que l’opposition à un accord d’entreprise ne peut être faite par mail que si un texte spécial précise cette possibilité.
Dans le cas d’espèce, aucune disposition écrite ne prévoyait ce mode d’opposition. Les auteurs des pourvois estiment alors que l’utilisation du mail ne peut pas remplacer un courrier recommandé avec accusé de réception.
Mais la Cour de cassation précise que la notification de l’opposition par voie électronique satisfait aux exigences de l’article L. 2231-8 du code du travail dont il résulte que “l’opposition à l’entrée en vigueur d’une convention ou d’un accord d’entreprise doit être formée par des personnes mandatées par le ou les syndicats n’ayant pas signé l’accord et être notifiée aux signataires de l’accord“. Cette interprétation de la loi par le juge permet donc aux partenaires sociaux de s’opposer à un accord dès lors que l’écrit, envoyé par mail, est motivé, et que l’opposition a été formée par des personnes mandatées.
Retrouvez, ci-après, l’arrêt de la Cour de cassation :
Pourvoi : n° 16-13.159
Demandeur(s) : la fédération CFDT des syndicats du personnel de la protection sociale du travail et de l’ emploi (fédération – PSTE CFDT), et autres
Défendeur(s) : la Fédération des employés et cadres Force ouvrière, et autres
Pourvoi : n° 16-13.805
Demandeur(s) : Pôle emploi
Défendeur(s) : la Fédération des employés et cadres Force ouvrière et autres
Vu leur connexité, joint les pourvois n° J 16-13.159 et M 16-13.805 ;
Sur le moyen unique du pourvoi de la fédération CFDT des syndicats du personnel de la protection sociale du travail et de l’emploi, du syndicat national CFE-CGC métiers de l’emploi et du syndicat national CFTC emploi et le moyen unique du pourvoi de Pôle emploi, réunis :
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 7 janvier 2016), que le 19 décembre 2014 a été signé par Pôle emploi, d’une part, et le syndicat CFE-CGC métiers de l’emploi, la fédération CFDT des syndicats du personnel de la protection sociale du travail et de l’emploi ainsi que le syndicat national CFTC emploi, d’autre part, un accord relatif à la classification des emplois et à la révision de certains articles de la convention collective nationale de Pôle emploi ; que cet accord a été notifié le même jour aux organisations syndicales non signataires qui ont formé opposition à son entrée en vigueur, cette opposition ayant été notifiée aux signataires par remise en main propre et par courriers électroniques des 19 décembre 2014 et lundi 5 janvier 2015 ;
Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt de dire régulières les oppositions formées et en conséquence de dire l’accord réputé non écrit, alors, selon le moyen :
1°/ que l’article L. 2231-8 du code du travail prévoit que l’opposition à l’entrée en vigueur d’une convention collective doit être établie par écrit et notifiée aux signataires ; que la notification de l’opposition est indissociable de l’acte d’opposition lui-même ; qu’il en résulte que la notification de l’opposition doit être effectuée par écrit ; qu’à défaut de texte spécial précisant que la notification puisse être établie par courrier électronique, cette notification devait bien être produite par un courrier, seul susceptible de constituer un écrit ; qu’en jugeant que la notification de l’opposition pouvait être établie par courrier électronique, la cour d’appel a violé les articles L. 2231-8 et D. 2231-7 du code du travail ;
2°/ que l’opposition à l’entrée en vigueur d’une convention ou d’un accord est exprimée par écrit ; qu’il s’en déduit que la notification de l’opposition doit répondre à la même exigence ; que, comme pour tout acte juridique pour lequel l’écrit est exigé à titre de validité, la forme électronique ne peut servir de support à l’écrit qu’à la condition qu’elle réponde aux exigences fixées aux articles 1108-1, 1316-1 et 1316-4 du code civil ; qu’en considérant que le courrier électronique constituait bien l’écrit requis pour la notification de l’opposition sans constater que cette forme électronique répondait aux exigences fixées aux articles 1108-1, 1316-1 et 1316-4 du code civil, la cour d’appel a entaché sa décision de défaut de base légale au regard des articles 1108-1, 1316-1 et 1316-4 du code civil ;
3°/ que le juge doit en toute circonstance faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu’en retenant d’office et sans provoquer préalablement les observations des parties à cet égard, que la notification de l’opposition pouvait être effectuée par courriel électronique, au motif que l’article D. 2231-7 du code du travail prévoyait que la notification de l’entrée en vigueur de la convention collective pouvait être faite par courrier électronique et qu’il en résultait que la notification des oppositions aux parties signataires peut être faite par la même voie que la notification de l’accord lui-même, la cour d’appel, qui a soulevé ce moyen d’office, sans avoir préalablement recueilli les observations des parties à cet égard, a violé l’article 16 du code de procédure civile ;
4°/ que l’opposition à l’entrée en vigueur d’une convention ou d’un accord est exprimée par écrit ; que cet écrit doit être notifié dans le respect des articles 667 et suivants du code de procédure civile ; qu’il ne peut prendre la forme d’un courrier électronique ; qu’en décidant que la notification de l’opposition pouvait être valablement effectuée par voie électronique, la cour d’appel a violé l’article L. 2231-8 du code du travail, ensemble les articles 665 et suivants du code procédure civile ;
5°/ que l’opposition doit être notifiée aux signataires ; qu’elle ne peut prendre la forme d’une simple information à plusieurs destinataires, ni être adressée au salarié signataire de l’accord pour le compte d’une organisation syndicale, en sa qualité de salarié et non de délégué syndical ; que Pôle emploi avait fait valoir que la notification de l’opposition aux organisations syndicales signataires était également irrégulière, outre sa notification par voie électronique, en ce qu’elle avait consisté, pour la CGT FO, dans l’envoi d’un courrier électronique à plusieurs destinataires, comportant en pièce jointe le courrier d’opposition adressé à Pôle emploi, lequel courrier était un courrier commun d’opposition envoyé à la direction générale de Pôle emploi, qui n’était signé par aucun syndicat, et pour la CGT Pôle emploi et le syndicat FSU, dans l’envoi d’un courriel adressé à plusieurs destinataires, avec le courrier d’opposition destiné à Pôle emploi ; qu’en qualifiant d’oppositions régulières de simples envois de courriels électroniques, adressés à titre informatif à plusieurs destinataires et comportant en pièce jointe un courrier d’opposition commun à plusieurs syndicats, la cour d’appel a violé l’article L. 2231-8 du code du travail ;
6°/ que l’opposition à l’entrée en vigueur d’une convention ou d’un accord, qui est exprimée par écrit, doit être motivée et préciser les points de désaccord ; que Pôle emploi avait fait valoir que les courriels envoyés aux organisations syndicales signataires l’avaient été uniquement à titre d’information et que par ailleurs, les courriers recommandés adressés postérieurement et hors délai, ne précisaient pas les motifs de l’opposition des syndicats non signataires de l’accord ; qu’en statuant comme elle l’a fait, sans constater que les syndicats opposants avaient énoncé les motifs de leur opposition et exposé leurs points de désaccord ; la cour d’appel a encore violé l’article L. 2231-8 du code du travail ;
7°/ que Pôle emploi avait fait valoir que conformément aux règles de computation des délais, les organisations syndicales avaient la faculté de former opposition jusqu’au 5 janvier 2015, observant que seuls les deux courriers recommandés adressés par la FEC-FO à la Fédération PSTE-CFDT et au syndicat CFE-CGC métiers de l’emploi avaient été adressés dans le délai d’opposition prévu par les dispositions légales, la FSU n’ayant procédé à l’envoi d’aucun courrier recommandé ; qu’il en avait déduit, à supposer que l’opposition litigieuse soit jugée suffisamment motivée, que seule l’opposition formée par la FEC-FO serait recevable ; que pour autant, dans la mesure où son audience électorale s’élevait à 22,43 % des suffrages, cette opposition n’était pas majoritaire et ne pouvait suffire à faire obstacle à l’entrée en vigueur de l’accord collectif ; qu’en jugeant que l’accord litigieux était non écrit, sans vérifier, en toute hypothèse, si et dans quelle mesure les notifications d’opposition par courrier recommandé constituaient des oppositions majoritaires conformes aux dispositions légales, la cour d’appel a violé l’article L. 2231-9 du code du travail ;
Mais attendu qu’il résulte de l’article L. 2231-8 du code du travail que l’opposition à l’entrée en vigueur d’une convention ou d’un accord d’entreprise doit être formée par des personnes mandatées par le ou les syndicats n’ayant pas signé l’accord et être notifiée aux signataires de l’accord ; que satisfait aux exigences de ce texte la notification de l’opposition par la voie électronique ;
Et attendu qu’ayant constaté que, par lettre commune signée le 19 décembre 2014 par leur délégué syndical central, les syndicats FO Pôle emploi, CGT Pôle emploi et le syndicat national unitaire Pôle emploi, avaient formé une opposition motivée à l’entrée en vigueur de l’accord signé le 19 décembre 2014, notifiée par remise en main propre à un représentant habilité de Pôle emploi et par courriers électroniques à chaque syndicat signataire, la cour d’appel a, par ces seuls motifs et sans violer le principe de la contradiction, légalement justifié sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois ;
Président : M. Frouin
Rapporteur : Mme Sabotier, conseiller référendaire
Avocat général : M. Weissmann, avocat général référendaire
Avocat(s) : SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray ; SCP Piwnica et Molinié SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois ; Me Haas ; SCP Capron