Un salarié dont le licenciement est annulé en vertu de son statut protégé, ne peut réintégrer son entreprise

Cette publication été initialement diffusée sur le site du syndicat de salariés CFDT

 

La résiliation judiciaire du contrat de travail d’un salarié protégé, si elle produit les effets d’un licenciement nul en raison de la violation de son statut protecteur, ne lui donne toutefois pas droit à réintégration dans l’entreprise. C’est ce qu’a jugé pour la première fois la Cour de cassation dans un arrêt récent, publié au bulletin. Cass.soc. 03.10.18, n° 16-19.836. 

La résiliation judiciaire est un mode de rupture du contrat de travail à l’initiative exclusive du salarié. En cas de manquements graves de l’employeur à ses obligations contractuelles, le salarié peut demander au conseil des prud’hommes de résilier son contrat de travail. Au cours de la procédure, la relation de travail se poursuit normalement.Si la demande du salarié est justifiée, elle produit alors les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou dans certains cas, d’un licenciement nul, à la date du jugement. A l’inverse, si le salarié est débouté de ses demandes, la relation contractuelle se poursuit. 

  • Rappel sur la résiliation judiciaire du contrat d’un salarié protégé

La demande de résiliation judiciaire du contrat de travail d’un salarié protégé a longtemps été jugée irrecevable. En effet, le mandat du salarié lui assure une protection qui ne garantit pas que ses intérêts propres, mais aussi ceux de la collectivité des travailleurs l’ayant élu ou des syndicats l’ayant désigné (1). La Cour de cassation considérait ainsi que le salarié ne pouvait y renoncer. 

En 2005, la chambre sociale a opéré un revirement de jurisprudence en admettant son droit d’agir en résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur en cas de manquement suffisamment grave à ses obligations (2). Dans ce cas, la rupture du contrat produit automatiquement les effets d’un licenciement nul en raison de la violation du statut protecteur (que les manquements de l’employeur soient ou non en lien avec le mandat)[3]. 

  • Faits et procédure

Dans cette affaire, un salarié titulaire d’un mandat de délégué du personnel a vu ses fonctions modifiées unilatéralement par l’employeur, qui a refusé de le réintégrer dans ses anciennes fonctions malgré des demandes répétées. C’est ainsi que le salarié a saisi le conseil de prud’hommes d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur en raison de la violation de son statut protecteur. Neuf mois plus tard, en cours de procédure, mais surtout à l’expiration de la période de protection attachée à son mandat, l’employeur l’a licencié pour faute grave. 

Lorsqu’au cours de la procédure, le salarié est licencié, le conseil de prud’hommes commence par rechercher si la demande de résiliation judiciaire est justifiée. Si c’est le cas, les motifs du licenciement postérieur sont sans effet et le contrat est rompu à la date d’envoi de la lettre de licenciement. A l’inverse, si la demande est infondée, les juges se pencheront sur les motifs du licenciement. 

La demande de résiliation du salarié, d’abord rejetée en première instance, a été accueillie par la cour d’appel. Les juges ont considéré que l’employeur avait gravement manqué à ses obligations en imposant une modification de son contrat de travail au salarié, portant ainsi atteinte à son statut protecteur.  

En revanche, la cour d’appel a refusé de faire droit à sa demande de réintégration. Elle a bien sûr fait droit à ses demandes subsidiaires d’indemnisation. 

  • Une demande de réintégration jugée incompatible et contradictoire par les juges du fond

Les juges du fond ont pourtant bien pris soin de préciser que la résiliation judiciaire du contrat de travail prononcée aux torts de l’employeur, notamment pour violation du statut protecteur, produisait les effets d’un licenciement nul. La logique aurait alors voulu que le salarié puisse demander sa réintégration dans l’entreprise. 

Selon la jurisprudence constante de la chambre sociale de la Cour de cassation, lorsque le licenciement est nul, le salarié a droit à réintégration dans son emploi ou, à défaut, dans un emploi équivalent (4). 

Or, pour la cour d’appel, « si l’annulation d’un licenciement permet effectivement au salarié de solliciter une telle mesure, il convient de rappeler que la rupture du contrat est alors à l’initiative de l’employeur ». Elle ajoute que dans le cas présent, le salarié « ne saurait demander tout à la fois la résiliation de son contrat, c’est-à-dire la rupture du lien contractuel aux torts de son employeur et sa réintégration dans l’entreprise qui suppose au contraire son rétablissement ». Elle en déduit, de manière péremptoire, que la demande de réintégration « incompatible et contradictoire avec la demande de résiliation présentée à titre principal du salarié » doit être rejetée. C’est ainsi que le salarié se pourvoit en cassation. 

  • Pas de réintégration pour la Cour de cassation : une solution logique… en apparence !

Pour contester le raisonnement des juges du fond, le salarié s’appuie notamment sur le licenciement prononcé par son employeur en cours de procédure. En effet, selon lui, lorsqu’un salarié fait une demande de résiliation judiciaire et que son employeur le licencie ultérieurement, la rupture du contrat de travail intervient de fait à l’initiative de l’employeur. Ainsi, le maintien de sa demande de résiliation judiciaire n’a-t-il pas pour objet d’obtenir la rupture du lien contractuel, déjà intervenue du fait du licenciement, mais de faire supporter les conséquences de cette rupture à l’employeur en raison des manquements à ses obligations. Par conséquent, il n’y a pour le salarié aucune incompatibilité entre le maintien de la demande de résiliation et la demande de réintégration. 

La Cour de cassation ne suit pas son raisonnement. Sans toutefois reprendre l’argument de l’incompatibilité de la demande, elle approuve la cour d’appel d’avoir rejeté la demande de réintégration présentée par le salarié. Pour la Haute juridiction, « le salarié ayant maintenu à titre principal sa demande de résiliation judiciaire », il ne pouvait pas demander sa réintégration. 

Cette position vient rejoindre celle qu’elle avait adoptée en matière de prise d’acte de la rupture du contrat de travail par le salarié protégé, produisant également les effets d’un licenciement nul. En revanche, dans ce cas, pour refuser la réintégration, les juges avaient adopté un tout autre raisonnement, selon lequel la prise d’acte entraînait une rupture immédiate du contrat de travail et ne pouvait donc être rétractée. Cette solution n’était évidemment pas transposable au cas de la résiliation judiciaire et il n’était donc pas évident que la solution de la Haute juridiction aurait été identique… C’est désormais chose faite ! 

Si la solution dégagée par la chambre sociale paraît a priori logique (les deux demandes semblent contradictoires), on peut regretter que la résiliation judiciaire d’un salarié protégé n’emporte plus tous les effets d’un licenciement nul. 

Par ailleurs, il est à noter que lorsqu’un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat, l’objectif de la demande est d’abord de faire établir les manquements de l’employeur par le juge.  

  • Quid de cette solution sous l’empire des ordonnances Macron ?

A juste titre, certains commentateurs ont fait remarquer que cette position de la Cour de cassation, adoptée sous l’empire des dispositions antérieures à la loi de ratification des ordonnances du 29 mars 2018, sera à l’avenir contra legem si les juges venaient à la confirmer. 

A cette occasion en effet, le législateur a pris soin d’établir une précision, dans le cadre de l’application du barème des indemnités prud’homales aux licenciements issus d’une résiliation judiciaire (ou d’une prise d’acte). La loi écarte désormais l’application du barème lorsque la résiliation (ou la prise d’acte) produit les effets d’un licenciement nul (5). 

Elle précise en outre dans ce cas que « lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l’exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l’employeur ». Le principe reste donc le droit à réintégration du salarié dans l’entreprise, et précisément lorsque ce dernier a obtenu la résiliation judiciaire de son contrat de travail alors même qu’il était protégé

Il nous reste à attendre de voir si la Haute juridiction se conformera à ces évolutions législatives à l’occasion d’un litige postérieur… 


(1) Cass.soc. 18.06.96, n° 94-44.653 ; Cass.soc. 31.01.01, n° 98-41.260. 

(2) Cass.soc. 16.03.05, n° 03-40.251. 

(3) Cass.soc. 26.09.06, n° 05-41.890 ; Cass.soc. 04.02.2016, n° 15-21.536. 

(4) Cass.soc. 30.04.03, n° 00-44.811. 

(5) Art L.1235-3-2 C.trav. L’article fait référence aux 6 cas de nullité mentionnés à l’article L.1235-3-1 et pour lesquels le barème n’est pas applicable : la violation d’une liberté fondamentale, des faits de harcèlement moral ou sexuel, le licenciement discriminatoire, le licenciement consécutif à une action en justice en matière d’égalité professionnelle ou à une dénonciation de crimes et délits, le licenciement d’un salarié protégé en raison de l’exercice de son mandat ; le licenciement d’un salarié en méconnaissance des protections liées à la grossesse et à la maladie. 

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