Le Haut Conseil pour l’Avenir de l’Assurance Maladie a osé un rapport “révolutionnaire” sur la stratégie de transformation de notre système de santé. Il remet en cause la centralisation grandissante des hôpitaux et plaide pour une meilleure qualité de service, jointe à une déconcentration du système. On en redemande! et chapeau aux rédacteurs…
Ce n’est pas tous les jours qu’une institution officielle présidée par une haute fonctionnaire (en l’espèce l’inspectrice générale des affaires sociales Anne-Marie Brocas) ose apporter des idées neuves, efficaces, libres, et ouvre un débat sans complexe (mais dans son mandat) avec un pouvoir exécutif sclérosé par le manque d’imagination. La publication du rapport du Haut Conseil pour l’Avenir de l’Assurance Maladie mérite donc d’être marquée d’une pierre blanche, puisqu’elle signe l’un des textes les plus impertinents, mais les plus utiles, de ces dernières années sur la vision stratégique du système français de santé.
Une remise en cause du “big is beautiful” jacobin
On sait de quel mal souffre depuis quelques décennies notre système de santé. Sous le (faux) prétexte de réaliser des économies budgétaires, l’État promeut une doctrine suicidaire dont il a le secret: toujours plus de monopole public, pour des hôpitaux toujours plus grands (la théorie de la “taille critique”), dirigés par une bureaucratie hospitalière toujours plus nombreuse, coûteuse et inefficace, et toujours plus éloignée des soignants et des patients. Les résultats de cette logique sont bien connus: la qualité de service se dégrade à vue d’oeil, et les personnels sont plongés dans une souffrance grandissante, qui dissimule au demeurant les dégâts d’un trop faible engagement managérial.
Cette lucidité sur les dangereuses dérives de la bureaucratisation de la santé est, depuis trop longtemps, réputée interdite et cataloguée comme politiquement incorrect. Mais le déni n’a qu’un temps: à force de nier les réalités, celles-ci s’imposent à nous, jusqu’à craqueler l’édifice de la langue de bois officielle. C’est à cette lézarde que nous assistons avec l’avis du Haut Comité, qui utilise sans complexe ce qui sont devenus des gros mots depuis quelques années.
D’une manière général, l’avis propose en effet de transformer le système de santé en privilégiant les structures de proximité, publiques ou privées. C’est seule idée a dû provoquer quelques palpitations à la direction de l’offre hospitalière, dont le dogmatisme soviétique (ah! le fameux centralisme démocratique de nos jeunes années!) est quasi génétique.
Plaidoyer pour les patients
De cet ensemble, on extraira donc, pour le seul divertissement du lecteur, quelques passages particulièrement éclairants. En premier lieu, le Haut Conseil plaide pour un véritable service aux patients, qui en dit long sur la dérive de l’hôpital public, sur son renfermement sur ses problématiques internes, jusqu’à oublier sa mission première qui est de soulager les malades.
Le Haut Conseil considère que, dans un système où le patient a une grande liberté de choix, l’inclusion ré-elle des usagers et des patients aux processus de prévention, de soins et de suppléance est non seulementune exigence pour répondre à leurs attentes, mais également une condition indispensable de l’améliorationde la pertinence des recours, des performances et de la qualité de notre système de santé. Le Haut Conseilestime donc que la politique menée en la matière doit être réellement ambitieuse. (page 21)
On retrouve ici une idée qui a son pendant dans le domaine éducatif: inclure le citoyen bénéficiaire des services proposés dans la chaine de décision et de fonctionnement du service public. On sait combien cette pratique (très bien mise en oeuvre en Finlande) rebute la fonction publique française, encore porteuse d’une logique aristocratique.
Il fallait oser le dire, et on s’en félicitera.
Propositions révolutionnaires
L’ensemble de l’avis rendu par le Haut Comité s’offre cette liberté de ton et propose de reconstruire l’offre de soins à partir de cette logique d’accès effectif à la santé. D’où un long plaidoyer pour une inversion de la compulsion gigantiste contemporaine. On lira avec intérêt les propositions que le Haut Comité formule en conséquence sur la gouvernance d’ensemble du système:
Le scénario de rupture proposé par le HCAAM constitue, à n’en pas douter, une véritable révolution.Une révolution dans la logique de fonctionnement du système, nécessaire pour répondre au mieuxaux besoins de la population et à l’aspiration légitime à davantage de justice dans tous les territoires.Une révolution, qui prend cependant appui sur les acquis fondamentaux du système de santé français pouren tirer le meilleur parti et lui ouvrir des perspectives de progrès renouvelées.Si l’ambition du projet peut être mobilisatrice pour les usagers aussi bien que pour les professionnels, il nefaut pas mésestimer les obstacles qui s’y opposent : contraintes de l’instant, résistance au changement,difficulté d’une transformation globale. Relever ce défi suppose une capacité de pilotage stratégique quifait aujourd’hui défaut dans notre système. Sans revenir sur des débats institutionnels bien connus, leHCAAM entend par conséquent mettre en exergue trois prérequis indispensables pour donner quelquechance de réussite au projet qu’il soutient :- La constitution au niveau national d’une réelle capacité stratégique.- La mise en place d’une force de pilotage du changement dont la mise en œuvre soit largement dé-concentrée.- L’adoption de nouvelles méthodes d’action privilégiant simplicité et rapidité. (page 49)
Là encore, il est suffisamment de lire sous la plume de hauts fonctionnaires des propositions assumés comme “scénario de rupture” pour qu’elles méritent d’être signalées. L’État aurait besoin d’audace de ce genre beaucoup plus souvent pour revenir à un fonctionnement satisfaisant.
La balle dans le camp d’Agnès Buzyn
Il sera particulièrement intéressant de voir quelle sera la réaction officielle de la ministre face à cet avis rendu au nom d’une multitude de gens supposés représenter la “société civile”. Ce rapport finira-t-il sous une pile d’autres, ou pire: sous l’armoire branlante d’un hôpital en ruine? ou bien inspirera-t-il un virage en profondeur de notre système de santé?
La suite dans quelques mois…