Un feuilleton bien français : la guerre répartition/capitalisation (épisode 2 : et Pétain appliqua la répartition !)

Suite de notre série sur la bataille entre tenants de la retraite par répartition et tenants de la retraite par capitalisation, avec un épisode méconnu – et pour cause… : la mise en oeuvre de la répartition par le Maréchal Pétain. Confronté à la situation sociale très difficile des vieux travailleurs, il n’a trouvé que cet expédient comme solution. 

Une France en mauvais état

Lorsque le Maréchal Pétain prend la tête de “l’Etat français”, le pays est dans un très mauvais état. Défaite militairement, occupée et humiliée par les Allemands, en proie à des mouvements de populations massifs, en partie détruite mais soumise à des prélèvements considérables, la France court à la ruine. La production et les relations sociales sont tout à fait désorganisées et ce n’est pas la tentative pétainiste de réorganiser l’économie et les classes sociales sur le mode corporatiste – on l’oublie souvent : principe très en vogue parmi les penseurs et les responsables politiques et administratifs de la première moitié du XXème siècle – qui permet de remettre tout cela en ordre. Voilà pour le contexte général, si toutefois il était vraiment nécessaire de le rappeler… 

Ce fut dans ces conditions chaotiques que le régime de Vichy a dû s’atteler à la sempiternelle “réforme des retraites”. En 1940, en matière de retraite, les salariés de l’agriculture, du commerce et de l’industrie sont couverts, pour les ouvriers et employés, par des régimes issus de la loi sur les ROP (1910) ou de la loi sur les assurances sociales (1928-1930) et, pour les ingénieurs et l’encadrement, les “exclus des assurances sociales” car gagnant au-dessus du seuil d’affiliation, par des régimes autonomes. A ce moment-là, tous ces régimes sont gérés en capitalisation. L’effondrement de la production perturbe ces régimes : leurs capacités d’accumulation sont mises à mal, alors que de nombreux vieux salariés, devenus chômeurs, tombent dans la misère. 

La loi du 14 mars 1941 instaurant la répartition

Tout laisse à penser que le Maréchal Pétain, en homme de son temps, était plus convaincu par les vertus de l’épargne que par celles de sa liquidation. Pourtant, face à l’augmentation de la pauvreté chez les “vieux travailleurs”, il a pris une mesure simple mais radicale : il a décidé de puiser dans les réserves des régimes de 1910 et 1928-1930 en capitalisation. Largement conseillé en cela par René Belin, un ancien responsable de la CGT – à distinguer de la CGTU – reconverti dans la promotion de la Révolution Nationale, Philippe Pétain instaure ainsi, par la loi du 14 mars 1941, la retraite par répartition. Sur la forme, le procédé est un peu brutal et ne manque pas d’improvisation. Sur le fond, les choses sont toutefois claires : Vichy rompt avec la capitalisation. 

Comme le prévoit l’alinéa premier de l’article 9 : “Les retraites et pensions de vieillesse des assurances sociales sont constituées sous le régime de la répartition.” Certes, c’est uniquement à partir des fonds constitués par les régimes institués par les lois de 1910 et 1928-1930 que l’Etat français entend financer “l’allocation aux vieux travailleurs salariés” (AVTS). Les régimes des ingénieurs et cadres ne sont pas concernés par les ponctions. En outre, la pension que l’administration verse aux populations concernées, dès promulgation de la loi, demeure modeste, proche des allocations relevant de l’assistance – bien que supérieure. Le pas est toutefois franchi, et pour longtemps : passer de la capitalisation à la répartition est aisé, faire le chemin inverse beaucoup moins ! 

Une origine difficilement avouable

Bien évidemment, le cadre si singulier de la mise en place de la retraite par répartition n’est pas des plus socialement légitimes. Il est aujourd’hui courant, y compris pour des spécialistes ou des acteurs de la protection sociale, de ne pas connaître cette origine vichyssoise de la répartition faite actes – la répartition, en tant que technique, était connue bien avant Vichy, comme nous l’avons dit hier. Car voilà : dans les représentations communes de l’histoire politique française en vigueur depuis les années 1970, il est absolument exclu que le régime pétainiste ait pu mener à bien quoi que ce soit d’autre que des réformes “réactionnaires” ou “totalitaires”. La retraite par répartition, défendue becs et ongles par les syndicats aujourd’hui, ne saurait être issue de Vichy ! 

Et pourtant… Comme dans bien d’autres domaines : création d’un salaire minimum, amélioration des allocations familiales, développement des hôpitaux, création du service national des statistiques (devenu l’INSEE en 1946), mise en oeuvre de “l’école des cadres d’Uriage” (sorte d’ENA avant l’heure), la loi du 14 mars 1941 a pris une direction qui sera suivie par les régimes politiques qui se succéderont après 1945. Comme nous le verrons demain à propos du choix répété de la répartition, l’enjeu pour les responsables politiques et administratifs en poste après la Libération – d’ailleurs parfois déjà en poste sous Pétain… – sera de réussir à faire oublier l’origine vichyssoise de leurs propres décisions. “Vaste programme”, Charles ! 

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