Un expert désigné par le CHSCT d’un centre hospitalier est-il tenu au secret médical ?

La Cour de cassation a rendu le 20 avril 2017, un arrêt relatif au respect du secret médical par les personnes externes à un établissement de santé. 

Il ressort des faits que le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) d’un centre hospitalier a décidé de recourir à l’expertise d’une société externe pour établir un rapport sur un éventuel risque grave affectant le personnel de l’établissement. 

Le directeur du centre hospitalier a refusé à l’expert l’accès aux blocs opératoires pendant les interventions et aux réunions quotidiennes des équipes médicales en raison du secret médical. 

Le CHSCT et la société d’expertise ont donc demandé en justice à ce que les accès leurs soient ouverts. La cour d’appel a décidé que l’expert mandaté par le CHSCT n’est pas dépositaire du secret médical, et donc ne peut avoir accès à l’ensemble des informations concernant les personnes prises à charge par l’établissement de santé. 

Le CHSCT et la société d’expertise se sont donc pourvues en cassation pour contester cette décision de la cour d’appel. 

Le CHSCT estime que la mission confiée à l’expert est en relation avec les activités de l’établissement. De ce fait l’expert devrait être considéré comme dépositaire du secret médical et devrait donc avoir un accès aux blocs opératoires pendant les interventions et aux réunions des équipes médicales. 

La Cour de cassation ne l’entend pas de cette oreille et commence par préciser que, conformément au code de la santé publique, toute personne prise en charge par un établissement de santé a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant. Le respect du secret professionnel s’impose alors au personnel de ces établissements et de toute autre personne en relation, de par ses activités, avec ces établissements, également à tous les professionnels intervenant dans le système de santé. 

Or le motif du recours à l’expertise était l’accroissement de la charge de travail et l’inadaptation des locaux. L’expert externe mandaté par le CHSCT n’est donc pas en relation avec l’établissement de santé et n’intervient pas dans le système de santé pour les besoins de la prise en charge par l’établissement de santé. Il n’est donc pas tenu au secret médical, ce qui justifie, selon la Cour de cassation, qu’il n’ait pas accès aux blocs opératoires pendant les interventions et aux réunions du personnel médical. 

La Cour de cassation poursuit son raisonnement en constatant que l’expert disposait de moyens suffisants d’investigation tels que l’audition des agents ou l’examen des plannings pour accomplir sa mission. 

La Cour considère alors que ces moyens mis à disposition de l’expert étaient suffisants pour l’accomplissement de sa mission. L’accès aux blocs opératoires et aux réunions du personnel médical n’est donc pas justifié. 

Par conséquent l’expert mandaté par le CHSCT n’est pas tenu au respect du secret médical et ne peut accéder aux informations qui concernent les patients de l’établissement de santé. 

 

Retrouvez ci-après l’intégralité du texte de l’arrêt :

 

Sur les moyens uniques des deux pourvois, réunis : 

 

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Toulouse, 2 octobre 2015), que le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail du centre hospitalier Ariège Couserans (le CHSCT) a, par délibération du 28 juin 2012, décidé de recourir à une expertise sur le fondement de l’article L. 4614-12 du code du travail, confiée à la société Secafi changement travail santé devenue la société Secafi ; que le directeur du centre hospitalier a refusé à l’expert l’accès aux blocs opératoires pendant les interventions et aux réunions quotidiennes des équipes médicales en raison du secret médical ; 

Attendu que le CHSCT et l’expert font grief à l’arrêt de constater que l’expert mandaté par le CHSCT n’est pas dépositaire du secret médical et de le débouter de ses prétentions, alors, selon le moyen : 

1°/ que l’article L. 1110-4 du code de la santé publique dispose que le secret médical couvre l’ensemble des informations concernant la personne prise en charge par un établissement de santé venues à la connaissance d’un professionnel de santé, de tout autre membre du personnel de ces établissements ou organismes et de toute autre personne en relation, de par ses activités, avec ces établissements ; que l’expert désigné par le CHSCT pour établir un rapport sur un éventuel risque grave affectant le personnel de l’établissement, qui est en raison de ses activités en relation avec l’établissement, doit être considéré comme dépositaire du secret médical ; qu’en décidant le contraire, la cour d’appel a violé l’article L. 1110-4 du code de la santé publique, ensemble l’article L. 4614-12 du code du travail ; 

2°/ que participe au système de santé tout dispositif visant à assurer la qualité des conditions de travail des personnels du centre hospitalier, à éviter le danger auquel ces salariés sont exposés et à rechercher les mesures à prendre pour l’écarter ; qu’en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel a encore violé l’article L. 1110-4 du code de la santé publique, ensemble l’article L. 4614-12 du code du travail ; 

3°/ qu’à tout le moins à cet égard, le CHSCT avait fait valoir que les centres hospitaliers accueillaient différents professionnels, dont les journalistes, les techniciens de télévision et les experts des hôpitaux, pourtant non dépositaires du secret professionnel selon la logique de l’employeur de manière plus importante que l’expert désigné du CHSCT ; qu’en se dispensant de répondre à ce moyen, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 1110-4 du code de la santé publique, ensemble l’article L. 4614-12 du code du travail ; 

 

4°/ qu’en opposant de manière générale le secret professionnel sans contrôler s’il n’était pas porté une atteinte disproportionnée au droit constitutionnellement protégé des salariés à la protection de leur sécurité et de leur santé, la cour d’appel a violé l’alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, ensemble l’article L. 1110-4 du code de la santé publique ; 

5°/ que le CHSCT avait souligné à titre subsidiaire que la violation du secret professionnel provenait de l’utilisation des informations confidentielles et que dans la mesure où l’expert ne ferait état dans son rapport d’aucune information personnelle concernant les patients, l’atteinte au secret ne serait pas caractérisée ; qu’en se dispensant de répondre à ce moyen, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 1110-4 du code de la santé publique, ensemble l’article L. 4614-12 du code du travail ; 

6°/ qu’aux termes de l’article L. 4614-12 du code du travail, le CHSCT peut faire appel à un expert agréé lorsqu’un risque grave, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel est constaté dans l’établissement ; que la mission d’expertise induite par l’existence d’un tel risque a pour objet de poser un diagnostic sur les conditions de travail afin de caractériser le danger auquel les salariés sont exposés et de rechercher les mesures à prendre pour l’écarter, de sorte qu’il découle de la nature même de la mission d’analyser la réalité des conditions de travail ; qu’en jugeant que l’expert pouvait analyser la charge de travail des agents et l’inadaptation des locaux et du matériel sans intervenir dans les locaux du centre hospitalier et en utilisant des moyens ne portant pas atteinte au secret médical (examen des plannings, audition des personnels et visite des locaux hors la présence des patients), la cour d’appel a méconnu l’objet et la portée du droit à une expertise conféré au CHSCT, en violation de l’article L. 4614-12 du code du travail ; 

7°/ que le CHSCT avait souligné dans ses écritures la nécessité de procéder à des investigations au regard des situations réelles de travail ; qu’en omettant de statuer sur ce point, la cour d’appel a exposé sa décision à une censure certaine pour manque de base légale au regard de l’article L. 4614-12 du code du travail ; 

8°/ que le secret médical couvre l’ensemble des informations concernant les personnes prises en charge par un établissement de santé venues à la connaissance de toute personne en relation, de par ses activités, avec cet établissement, qu’elle concoure ou non à une activité de soin au sein de l’établissement ; qu’en conséquence, l’expert désigné par le CHSCT d’un établissement de santé afin d’y diligenter une expertise portant sur les conditions de travail du personnel de cet établissement, en tant qu’il est amené, du fait cette expertise, à être en relation avec l’établissement de santé en cause, est dépositaire du secret médical ; qu’en décidant le contraire, la cour d’appel a violé les dispositions de l’article L. 1110-4 du code de la santé publique ; 

9°/ que l’expert mandaté par le CHSCT d’un établissement de santé afin de réaliser, au sein de cet établissement, une expertise portant sur les conditions de travail du personnel l’établissement est « en relation » avec ledit établissement au sens des dispositions de l’article L. 1110-4 du code de la santé publique ; qu’en considérant, en l’espèce, que tel n’était pas le cas de la société Secafi CTS au seul motif qu’elle avait été mandatée par le CHSCT, la cour d’appel a violé les dispositions susvisées du code de la santé publique, ensemble celles des articles L. 4614-12 et L. 4614-13 du code du travail ; 

10°/ que constitue une atteinte au droit à la protection de la santé garanti par l’alinéa 11 du préambule de la Constitution de 1946 le fait d’interdire l’accès à certaines parties d’un établissement de santé ou à certaines informations nécessaires à la réalisation de sa mission à l’expert désigné par le CHSCT de cet établissement en raison d’un risque grave pesant sur la santé et la sécurité des salariés de l’établissement ; que, par ailleurs, toute atteinte au secret médical n’est pas interdite et qu’une telle atteinte peut être justifiée par l’exigence de la protection d’autres intérêts, dont celle du droit à la protection de la santé si elle reste proportionnée au regard des intérêts antinomiques en présence ; qu’en l’espèce, en déboutant la société Secafi CTS de sa demande tendant à être autorisée à intervenir en tous lieux du centre hospitalier Ariège Couserans au motif que l’expert aurait de nombreux moyens pour réaliser sa mission sans porter atteinte au secret médical et que cette société ne justifierait pas en quoi son assistance aux staffs médicaux et son entrée dans les blocs opératoires pendant les interventions serait indispensable au bon déroulement de sa mission sans s’interroger sur la proportionnalité de l’atteinte ainsi portée au secret médical au regard de la nécessité d’assurer le droit à la protection de la santé des salariés du centre hospitalier, la cour d’appel a violé l’alinéa 11 du préambule de la Constitution de 1946, ensemble l’article L. 1110-4 du code de la santé publique ; 

11°/ que les dispositions des articles L. 4614-12 et L. 4614-13 du code du travail prévoient que le CHSCT peut faire appel à un expert agréé notamment lorsqu’un risque grave est constaté dans l’établissement et que l’employeur ne peut s’opposer à l’entrée dans l’établissement de cet expert pour la réalisation de sa mission d’expertise et doit lui fournir toutes les informations nécessaires à l’exercice de cette mission ; que lorsque l’expertise se déroule dans un établissement de santé, l’employeur ne peut donc se prévaloir du secret médical pour interdire à l’expert l’accès à certaines parties de l’établissement ou à certaines informations nécessaires à la réalisation de sa mission sauf à priver les dispositions légales susvisées de tout effet dans cette catégorie d’établissements ; qu’en relevant, en l’espèce, que l’expert aurait de nombreux moyens pour réaliser sa mission sans porter atteinte au secret médical et que la société Secafi CTS ne justifierait pas en quoi son assistance aux staffs médicaux et son entrée aux blocs opératoires pendant les interventions seraient indispensables au bon déroulement de sa mission, sans rechercher si, ainsi que le soutenait la société Secafi CTS, les observations en situation de travail réel n’étaient pas indispensables pour permettre une validation des hypothèses de travail après vérification sur le terrain et en situation de travail réel des facteurs de risque identifiés, de leur occurrence temporelle, de leur lourdeur et de leur interaction avec d’autres facteurs de tension et, de façon générale, pour permettre de vérifier l’écart entre le travail « théorique » et le travail « réel », la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions susvisées du code du travail, ensemble de celles de l’article L. 1110-4 du code de la santé publique ; 

Mais attendu, d’abord, qu’il résulte des alinéas 1 et 2 de l’article L. 1110-4 du code de la santé publique que toute personne prise en charge par un établissement de santé a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant, que ce secret couvre l’ensemble des informations concernant la personne, venues à la connaissance de tout membre du personnel de ces établissements et de toute autre personne en relation, de par ses activités, avec ces établissements, qu’il s’impose également à tous les professionnels intervenant dans le système de santé ; que la cour d’appel en a exactement déduit que l’expert mandaté par le CHSCT en application de l’article L. 4614-12 du code du travail, lequel n’est pas en relation avec l’établissement ni n’intervient dans le système de santé pour les besoins de la prise en charge des personnes visées par l’alinéa 1 de l’article L. 1110-4 précité, ne pouvait prétendre être dépositaire dudit secret ; 

Et attendu, ensuite, que, procédant à la recherche prétendument omise, la cour d’appel, qui, sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a constaté d’une part que le motif du recours à l’expertise était l’accroissement de la charge de travail et l’inadaptation des locaux, d’autre part que l’expert disposait de moyens d’investigation tels que l’audition des agents, l’examen des plannings et la visite des lieux hors la présence des patients, de sorte que ces moyens suffisaient à l’accomplissement de sa mission, a légalement justifié sa décision ; 

PAR CES MOTIFS :REJETTE les pourvois ; 

 

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