Un employeur ne peut contrôler le temps de travail par géolocalisation si un autre moyen existe

Cet article provient du site du syndicat de salariés CFDT

Un employeur peut-il faire usage d’un outil de géolocalisation pour contrôler le temps de travail de ses salariés ? Dans un arrêt du 19 décembre 2018, la Cour de cassation rappelle les règles : un tel contrôle n’est pas justifié si une autre alternative de contrôle est possible et lorsque le salarié dispose d’une autonomie dans l’organisation de son travail. Cass.soc.19.12.18, n°17-14.631 

Souriez, vous êtes localisés ! Les outils de géolocalisation peuvent constituer pour l’employeur un moyen attrayant de contrôle du temps de travail de leurs salariés. Toutefois, leur utilisation dans ce cadre doit se réaliser dans des conditions très strictes que nous rappelle le présent arrêt de la Cour de cassation. De quoi s’agit-il ? 

  • Les faits

Un employeur d’une entreprise de distribution de journaux et de prospectus publicitaires utilise un dispositif de géolocalisation pour contrôler le temps de travail de ses salariés. Cet outil permet d’enregistrer durant la phase de distribution, au moyen d’un boîtier mobile que les salariés portent sur eux et activent eux-mêmes, leur position géographique toutes les 10 secondes. 

Contestant le contrôle de la durée du travail via un tel dispositif de géolocalisation, un syndicat saisit le Tribunal de grande instance dans le cadre d’une procédure accélérée pour faire reconnaître le caractère illicite de cet outil. Le syndicat fait notamment valoir que d’autres moyens de contrôle du temps de travail existent tels que la pointeuse mobile qui enregistre non seulement le temps de distribution effective mais aussi les éventuelles immobilités des distributeurs, le système auto-déclaratif ou encore le contrôle par un responsable. 

En appel, les juges rejettent la demande du syndicat et donnent raison à l’employeur en estimant l’outil de géolocalisation licite et approprié au but recherché. Au contraire, les autres outils alternatifs proposés par le syndicat sont pour les juges d’appel inadaptés. 

Le syndicat ne s’est point arrêté là et s’est tourné vers la Cour de cassation. Dans son arrêt, cette dernière balaie d’un revers la décision d’appel en se positionnant sur le terrain de la protection des libertés individuelles.  

  • L’utilisation de la géolocalisation est illicite lorsque ce contrôle peut être fait par un autre moyen

La Cour de cassation nous rappelle dans un premier temps la règle en matière de restrictions aux libertés individuelles : « selon l’article L.1121-1 du Code du travail, nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ». 

Elle ajoute que l’utilisation d’un outil de géolocalisation pour contrôler la durée du travail d’un salarié n’est licite que lorsque ce contrôle ne peut pas être fait par un autre moyen, fût-il moins efficace que la géolocalisation

En l’espèce, le dispositif de géolocalisation pour contrôler le temps de travail constitue un outil intrusif dans la vie privée des distributeurs. L’employeur aurait dû privilégier d’autres outils moins intrusifs, même s’ils sont moins efficaces. La Cour de cassation reproche ainsi à la Cour d’appel de ne pas avoir caractérisé que le dispositif de géolocalisation était le seul moyen permettant d’assurer le contrôle de la durée du travail des salariés. 

Par conséquent, le recours à la géolocalisation n’est envisageable qu’en dernier recours, seulement si aucun autre moyen n’est possible pour l’employeur. 

  • L’autonomie dans l’organisation du travail ne justifie pas la géolocalisation

En outre, la Cour de cassation rappelle que l’utilisation d’un tel dispositif n’est pas justifiée lorsque le salarié dispose d’une liberté dans l’organisation de son travail. En effet, cela se justifie par le fait que toute restriction aux droits et aux libertés dans l’entreprise doit être « justifiée par la nature des tâches à accomplir et proportionnée au but recherché ». Dans notre affaire, un courrier de l’inspection du travail relevait que « le contrat de travail du salarié lui octroie une grande liberté pour l’organisation de sa distribution ». Le dispositif de géolocalisation utilisé pour contrôler le temps de travail d’un salarié constitue donc une intrusion excessive dans la vie privée du salarié. 

La solution de la Cour de cassation s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence sur le sujet et protège les libertés individuelles des salariés(1).  

Pour rappel, préalablement à la décision de mise en œuvre d’un dispositif de géolocalisation, le Comité social et économique doit être informé et consulté, sur les moyens ou techniques permettant un contrôle de l’activité des salariés (article L.2323-47 du Code du travail). 

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