Uber, la fausse monnaie du travail indépendant ?

Deux informations a priori contradictoires sont récemment venues témoigner de la nature des relations entre l’Etat et les travailleurs indépendants. A l’assouplissement du régime de la micro-entreprise a répondu la tentative de reprise en main par l’Urssaf des conducteurs Uber. Loin d’être incohérentes, ces deux décisions rappellent que le travail indépendant suppose l’argent liquide. 

Rigidité avec les uns, souplesse avec les autres

C’est la semaine dernière qu’a été rendue publique et largement commentée – comme ici dans nos colonnes – la décision de l’Urssaf Île-de-France d’engager deux procédures à l’encontre d’Uber afin que ses conducteurs, jusqu’à présent considérés comme des travailleurs indépendants, deviennent salariés de l’entreprise. L’Urssaf estime qu’un “lien de subordination” existe entre Uber et les conducteurs et que l’entreprise doit par conséquent se mettre en règle du point de vue des déclarations et prélèvement fiscaux et sociaux. Uber ayant refusé de payer les quelques millions d’euros qui lui sont demandés, l’affaire est désormais entre les mains de la justice. Au-delà des sommes en jeu, c’est évidemment sur le fond que sa décision est très attendue. 

La rigidité des (para-)pouvoirs publics dans le dossier Uber contraste nettement avec la souplesse dont ils semblent vouloir faire preuve dans celui du micro-entrepreneuriat – qui a succédé à l’auto-entrepreneuriat. Le projet de loi Sapin 2, qui devrait arriver très prochainement à l’Assemblée Nationale, prévoit d’une part la suppression de nombreuses qualifications professionnelles qui étaient jusqu’à maintenant obligatoires à l’installation, principalement dans le secteur de l’artisanat. D’autre part, le projet de loi doit permettre, pour une période de deux ans, le doublement du plafond de chiffre d’affaires de la micro-entreprise. Signe des temps : les artisans protestent vivement contre cette libéralisation économique et cette déréglementation sociale. 

Formaliser l’informel et soumettre le formel

Apparemment contradictoires, ces deux décisions expriment en réalité une logique imparable. Les pouvoirs publics savent qu’ils marchent sur des oeufs avec la plupart des travailleurs relevant du régime de la micro-entreprise. En effet, dans bien des cas, le risque d’un retour à l’économie informelle est réel. La récente étude de l’INSEE sur “le devenir des auto-entrepreneurs 3 ans après leur immatriculation en 2010” tend d’ailleurs à confirmer ce risque : au fort taux de disparition des auto-entreprises ne correspond pas une migration vers le régime général. Afin d’éviter les pertes sèches de rentrées sociales et fiscales que représente l’informalisation du travail, les pouvoirs publics n’ont d’autre choix que d’assouplir le régime d’entrée dans l’économie formelle. 

A l’inverse, ils peuvent se permettre plus de rudesse vis-à-vis d’Uber et de ses conducteurs – quand bien même, d’ailleurs, seraient-ils micro-entrepreneurs… Systématiquement décrié comme un vecteur de l’atomisation des collectifs de travail – et de disparition de leurs droits sociaux – Uber fonctionne pourtant avant tout comme un outil de centralisation d’une activité particulière de transport de personnes. Autrement dit, pour l’Etat, Uber est une proie bénite : intégrer l’ensemble des conducteurs au régime social et fiscal du salariat peut se faire par la seule soumission à ce régime de l’application centralisatrice. Dans ces conditions, les dirigeants des administrations sociales et fiscales n’ont pas grand chose à perdre à tenter de passer en force, comme ils l’ont fait. 

La bataille de l’argent liquide

Dans le cadre de ces différentes configurations du rapport de force entre les pouvoirs publics et les travailleurs indépendants, la forme de la monnaie utilisée pour rémunérer ces derniers constitue un enjeu considérable. Là encore, l’Etat plébiscite Uber, dont le fonctionnement repose uniquement sur des flux financiers dématérialisés, c’est-à-dire contrôlables. Au contraire, les micro-entrepreneurs du bâtiment, du commerce, de l’enseignement ou des services à la personne, peuvent opter pour des formes de rémunération bien plus liquides et, de ce fait, incontrôlables. Les dénonciations multiples de l’ubérisation des relations de travail ne sauraient faire oublier qu’elle est loin d’être une garantie du maintien ou du développement du travail indépendant. 

En définitive, la seule condition du travail indépendant demeure l’argent liquide. C’est d’ailleurs sans doute pour cette raison que, quelle que soit leur couleur politique, les gouvernements pourraient bien n’avoir guère de difficultés à s’accommoder de sa disparition, là où ils se satisfont tout à fait de réglementer l’activité de sociétés comme Uber. 

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