Cet article provient du site du syndicat de salariés CFDT
Le juge français peut-il à lui seul remettre en cause une situation de détachement sans tenir compte de l’existence de certificats de détachement permettant de justifier le lien de rattachement à l’Etat d’envoi ? Non, répond la Cour de cassation qui, dans cet arrêt, confirme la position du juge européen à ce sujet : un juge national ne peut écarter lui-même la validité de tels certificats. Cass.civ.2, 24.01.19., n°17-20.191.
En matière de détachement, les règles ne sont pas toujours si aisées. Toutefois, la règle de principe établie par la directive européenne et retranscrite en droit français énonce que lorsqu’un salarié est détaché, celui-ci demeure contractuellement lié à son employeur établi dans l’Etat d’origine, c’est-à-dire l’Etat d’envoi.
Qu’en est-il en matière de sécurité sociale ? Les règlements européens de sécurité sociale prévoient que les charges sociales soient payées dans l’Etat d’origine. Aussi, pour justifier de sa situation, le salarié détaché présent dans l’Etat d’accueil doit être en possession d’un certificat de détachement dénommé certificat A1 (ex-certificat E101). Celui-ci atteste de l’affiliation du travailleur détaché au régime de sécurité sociale du pays d’envoi et justifie que l’employeur est bien établi dans cet Etat (hors de France) c’est-à-dire qu’il y exerce habituellement des activités significatives. Ce certificat crée alors une présomption de régularité de l’affiliation du travailleur au régime de sécurité sociale de l’Etat membre où est établie l’entreprise à laquelle il est lié par son contrat de travail. Il permet ainsi de vérifier qu’il n’y a pas de travail dissimulé, par exemple…
- Les faits
Lors d’un contrôle de chantier de construction en France, l’Urssaf constate la présence de plusieurs salariés polonais envoyés par une entreprise polonaise. Saisi de l’affaire, le Tribunal correctionnel a reconnu la société française Batival coupable de prêt de main d’œuvre illicite et de travail dissimulé. Successivement à ce jugement, l’Urssaf a notifié à la société française un redressement de cotisations sociales.
La société Batival s’est alors tournée vers la juridiction de sécurité sociale pour contester cette sanction. Elle a fait valoir devant le juge le fait que les salariés polonais étant toujours liés à l’employeur de l’Etat d’origine par leur contrat de travail, ils demeurent affiliés au régime de sécurité sociale polonais attesté par la remise d’un certificat E101 (aujourd’hui certificat A1).
En appel, les juges rejettent la demande de la société de construction. Ils considèrent que « la juridiction pénale ayant retenue que le lien de subordination avait été transféré (de l’entreprise polonaise à l’entreprise française) et que les salariés étaient liés à la société [française] par un contrat de travail ». De ce fait, les juges d’appel en concluent qu’il ne pouvait par conséquent pas « exister de situation de détachement », tout en écartant la validité des certificats de détachement.
La société Batival n’a toutefois pas ménagé ses efforts et a formé un pourvoi en Cassation.
A ce stade, la question se pose de savoir si le juge peut lui-même remettre en cause la validité ou l’exactitude de certificats de détachement pour reconnaître que le lien de subordination entre les salariés détachés et l’employeur de l’Etat d’envoi n’est plus maintenu,
- Le certificat de détachement s’impose au juge en toutes circonstances !
Dans son arrêt, la Cour de cassation nous rappelle les règles fixées par le droit de l’Union européenne en la matière. Le certificat de détachement s’impose dans tous les cas à l’Etat dans lequel le travailleur est détaché, et donc aux autorités et juridictions françaises. Même si le juge constate que « les conditions de l’activité du travailleur concerné n’entrent manifestement pas dans le champ d’application du règlement » européen (1), il ne peut suspendre les certificats unilatéralement.
Par conséquent, lorsqu’un différend s’élève entre les institutions des Etats portant sur la validité ou l’exactitude de ce certificat, les juridictions doivent suivre la procédure fixée par la Cour de justice de l’Union européenne (2).
La procédure est la suivante :
– si les institutions de l’Etat d’accueil émettent des doutes sur le bien-fondé du certificat A1, elles doivent s’adresser aux caisses de sécurité sociale qui l’ont émis et ces dernières sont les seules habilitées à le retirer ;- lorsqu’il n’y a pas d’accord avec les caisses de sécurité sociale du pays d’envoi, une procédure de règlement des conflits peut être actionnée en saisissant une commission administrative ;- à défaut de conciliation des points de vue, il est possible de former un recours en manquement devant la CJUE.
A noter cependant que la Cour de justice de l’Union européenne a reconnu une limite à la présomption de régularité des certificats : en cas de fraude avérée ou lorsque les recours auprès des institutions émettrices pour retirer ou annuler le certificat n’ont rien donné dans un délai raisonnable, un juge national ou une administration nationale peut écarter ce certificat (3).
Cet arrêt est aussi l’occasion de faire le point sur la transposition de la nouvelle directive détachement adoptée en juillet dernier qui est venue réviser celle de 1996. Lors du Conseil des ministres du 20 février prochain, devrait être adoptée l’ordonnance de transposition de la directive de juillet 2018. Mais attention, il faudra encore que l’ordonnance soit ratifiée par le Parlement pour qu’elle revête une valeur législative !
(1) Règlement n°1408/71.
(2) CJUE, 27.04.17, aff. C-620-15, A-Rosa.
(3) CJUE, 06.02.18, C-359/16, Ömer Altun