Cet article provient du site du syndicat de salariés CFDT
Le 20 février dernier, le Conseil des ministres a adopté l’ordonnance de transposition de la directive européenne du 28 juin 2018, modifiant ainsi la directive 96/71/CE sur le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services. Faisons le point sur les nouvelles dispositions nationales qui en découlent.
Il faudra encore patienter ! Ces nouvelles dispositions ne seront applicables qu’à partir du 30 juillet 2020, sauf pour les chauffeurs du secteur du transport routier (1), qui resteront soumis au-delà de cette date aux règles du détachement en vigueur aujourd’hui dans le Code du travail.
Pour en savoir plus sur la directive Détachement de 2018, vous pouvez lire l’article « Détachement : la nouvelle directive enfin adoptée ».
- Transposition stricte en droit interne par voie d’ordonnance
Comme à son habitude en matière de détachement, la France a été très réactive. À peine l’été passé, la loi sur la formation professionnelle (2) a habilité le gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance dans les 6 mois afin de transposer la directive.
L’ordonnance adoptée en Conseil des ministres ce 20 février dernier devra désormais être ratifiée par le Parlement dans les 3 mois pour lui donner une valeur législative, soit avant le 21 mai 2019.
Cet emballement n’était pourtant pas justifié. Les dispositions issues de l’ordonnance ne seront effectives qu’à compter du 30 juillet 2020. La directive, et c’est assez rare pour être souligné, précise en effet que les dispositions en droit national ne pourront être applicables qu’à compter de cette date. Il n’était donc pas indispensable de procéder par voie d’ordonnance, ce qui aurait permis une concertation plus approfondie avec les partenaires sociaux. Si bien que lors des consultations, la CFDT et les autres organisations syndicales ont dénoncé la méthode choisie.
Lors des différentes consultations avec les partenaires sociaux, le ministère du Travail a précisé que l’objectif de cette ordonnance ne devait pas viser une « sur-transposition » de la directive, mais bel et bien une stricte transposition en droit interne, comme le prévoyait la loi d’habilitation.
- Le contenu de l’ordonnance et la position CFDT
Avec seulement 7 articles, le contenu de l’ordonnance est donc assez succinct, ce qui ne veut pas dire qu’elle soit inutile, loin de là ! Ces nouvelles dispositions, qui répondent à des revendications de longue date de la CFDT et de la CES, sont indispensables au renforcement du cadre du détachement et à la lutte contre la fraude. Elles assurent une meilleure équité de rémunération entre les salariés détachés et locaux, instaurent une durée limitée du détachement, élargissent les règles françaises auxquelles l’employeur étranger doit se soumettre et enfin, clarifient les obligations d’information des entreprises utilisatrices accueillant des intérimaires détachés. Certaines réserves sont toutefois à souligner…
Pour toutes ces raisons, dans le cadre des consultations menées par la Direction générale du travail (DGT) et le ministère du Travail, la CFDT a rendu un avis favorable avec réserves, avis partagé par la plupart des autres organisations syndicales.
- Tour d’horizon des nouvelles dispositions
-Une obligation d’information du détachement de l’entreprise de travail temporaire (ETT) étrangère par l’entreprise utilisatrice. Sont désormais distinguées les obligations des entreprises utilisatrices sises hors de France et exerçant temporairement une activité en France de celles se situant sur le territoire national (3).
Par ailleurs, lorsque l’entreprise utilisatrice est hors de France et détache des salariés en France, elle ne devra plus remettre à l’inspection du travail une déclaration attestant avoir prévenu l’ETT étrangère du détachement ni certifier qu’elle ait bien pris connaissance des règles en la matière. Dorénavant, l’entreprise utilisatrice aura une simple obligation d’information vis-à-vis de l’ETT et des règles applicables. Notons que la liste de ces informations fera l’objet d’un arrêté à venir… En cas de contrôle de l’inspection du travail, elle devra être en capacité de prouver par tout moyen avoir rempli son obligation. C’est donc désormais un contrôle a posteriori (4).
POUR LA CFDT, LA DÉCLARATION PRÉVUE EN AMONT DU DÉTACHEMENT ÉTAIT PLUS CONTRAIGNANTE ET DISSUADAIT DAVANTAGE DE LA FRAUDE. D’AUTANT QUE CE TYPE DE DÉTACHEMENT PEUT CONSTITUER UN DÉTACHEMENT EN CASCADE, ET DONC FAVORISER LA FRAUDE PAR DILUTION DE LA RESPONSABILITÉ DE L’EMPLOYEUR.
Au contraire, la Direction générale du travail (DGT) considère que cette obligation d’information est plus contraignante car, en cas de contrôle, l’entreprise en question devra prouver qu’elle a bien informé l’entreprise d’intérim, et non simplement remettre une attestation. Mais ceci ne pourra se vérifier qu’en cas de contrôle…
Enfin, pour les entreprises utilisatrices en France, est créée une nouvelle obligation d’information de l’ETT étrangère sur les règles relatives à la rémunération pendant la mise à disposition sur le territoire national (5).
-Le noyau dur de règles impératives françaises étoffé. Le noyau dur de règles impératives françaises applicables au salarié détaché est étoffé et inclut désormais la mention du principe d’égalité de traitement entre les salariés détachés et locaux d’une même branche (6).
Le noyau dur se compose des règles légales et conventionnelles applicables dans la branche d’activité concernée qui s’imposent à l’employeur envoyant des salariés dans le pays d’accueil.
Conformément à la directive, est inséré dans le noyau dur le terme « rémunération » (et non plus celui du salaire minimum), ainsi que le remboursement des frais professionnels au salarié détaché dans le cadre de sa mission selon la loi française (logement, transport, repas).
Alors que la directive prévoit que le noyau dur précise les conditions d’hébergement, l’ordonnance ne le prévoit pas expressément. En réponse à un courrier que la CFDT a adressé à la DGT, celle-ci nous a indiqué oralement que les informations seraient précisées sur le site du ministère. Etant donné qu’il ne s’agissait pas de dispositions nouvelles, elle n’estimait pas nécessaire de les faire figurer dans l’ordonnance. Or pour la CFDT, lesdites dispositions figurent au sein de la partie réglementaire, et non législative, comme l’y oblige la directive.
-La limitation de la durée du détachement et des règles applicables. La durée du détachement maximale est limitée à 12 mois, avec un possible allongement jusqu’à 18 mois. Pour cela, l’employeur devra effectuer une déclaration motivée auprès de l’administration, préalablement à l’expiration des 12 mois. Un décret devra en préciser les conditions (7).
Au-delà des 12 mois (ou des 18 mois), tout le Code du travail doit s’appliquer au salarié détaché, sauf les dispositions relatives à la conclusion, à l’exécution, au transfert et à la rupture du contrat de travail, à sa modification pour motif économique, à la mobilité volontaire sécurisée, au CDD, au contrat de mission à l’exportation, au contrat de chantier ou d’opération, ainsi qu’aux chèques et titres simplifiés de travail.
Pour la CFDT, la justification de prolongation du détachement de 12 à 18 mois reste trop vague. Aucune précision n’est apportée sur le point de savoir quel contrôle sera effectué par les autorités quant à la justification de prolongation établie par l’employeur de l’état d’envoi. Suite au passage du projet de texte devant le Conseil d’État, le décret ne devra pas seulement prévoir le délai pour faire la demande de prolongation de la durée du détachement, mais, plus largement, il devra en fixer les conditions, ce qui est sans nul doute préférable… Par ailleurs, la DGT a précisé aux partenaires sociaux qu’une instruction sera publiée sur ce point.
Enfin, en cas de remplacement d’un salarié détaché par un autre salarié détaché sur le même poste de travail, la durée maximale sera atteinte lorsque la durée cumulée sur le même poste est égale à 12 mois. Cette durée devra s’apprécier en tenant compte des périodes de détachement déjà accomplies avant le 30 juillet 2020.
CETTE PRÉCISION, AJOUTÉE À LA DERNIÈRE MINUTE DANS L’ORDONNANCE, EST TRÈS POSITIVE !
-De nouvelles sanctions administratives et la prise en compte de la bonne foi de l’auteur. De nouvelles amendes administratives sont créées en cas de manquement aux règles, y compris pour l’entreprise utilisatrice :
– une amende pour l’employeur étranger en cas de manquement de l’obligation de déclaration motivée à l’administration préalablement à l’expiration des 12 mois pour demander l’allongement à 18 mois (4 000 € par salarié détaché, voire 8 000 € en cas de récidive dans un délai de 2 ans) (8) ;
– une amende pour l’entreprise utilisatrice en cas d’absence d’information de l’ETT étrangère sur les règles relatives à la rémunération, voire en cas de non-respect de ces règles (9).
Il est également prévu que la bonne foi de l’auteur pourra être prise en compte au moment du prononcé de la sanction, ou encore lors de la fixation du montant de l’amende (10). Le gouvernement justifie ce principe par la volonté de la directive de prendre en compte, au moment du prononcé de la sanction, le plausible caractère erroné des informations portant sur les règles relatives au détachement qui seraient publiées sur le site internet national.
Pour la CFDT, il est surtout important :
– que le gouvernement mette à jour régulièrement le site national officiel (celui du ministère du Travail) ;
– que l’ensemble des conventions collectives soient accessibles aux salariés détachés et à leurs employeurs.
- Encore du chemin à parcourir…
Il est vrai qu’un certain nombre de revendications de la CES qui visaient à préciser les conditions du détachement pour éviter les abus n’ont pas été intégrées dans la nouvelle directive de 2018. Par exemple, l’obligation d’avoir embauché un salarié au moins 3 mois avant qu’il ne puisse être détaché. À ce sujet, le gouvernement français nous a annoncé qu’il comptait imposer une telle obligation avec le Règlement européen de coordination des systèmes de sécurité sociale (Règlement n°883/2004, en cours de révision).
La transposition en droit français aurait pu aller au-delà de ce que prévoyait la nouvelle directive, notamment en matière de frais de transport depuis le pays d’origine. En effet, pour rappel, la directive fixe un minimum et rien n’interdit aux États membres d’aller au-delà, comme l’a déjà fait la France (au sujet du noyau dur par exemple), à condition toutefois de ne pas entraver les libertés garanties par le droit de l’Union européenne : la liberté de circulation des travailleurs et la liberté de prestation de services, par exemple.
En outre, compte tenu du contenu de la loi d’habilitation, il n’était pas possible d’intégrer au sein de l’ordonnance des éléments non prévus par la directive. Mais pour la CFDT, rien n’empêche la France d’introduire par la suite de nouvelles dispositions via d’autres véhicules législatifs !
Rappelons que la France fait de la lutte contre la fraude au détachement une priorité. Depuis 2014, de nombreuses dispositions ont été adoptées en ce sens. Encore en 2018, avec la loi formation professionnelle, une dizaine d’articles concernent ce sujet. À ce propos, le ministère a informé les partenaires sociaux que les décrets d’application devraient paraître courant mars.
La lutte contre les fraudes au détachement n’est donc pas près de s’épuiser, que ce soit en France ou au sein de l’Union… À cet égard, il est important de préciser que l’accord interinstitutionnel qui se dégage au niveau européen sur la future Autorité européenne du Travail devrait donner à cette instance des moyens de lutter contre les abus en matière de détachement, dans le cadre d’une coopération renforcée entre les inspections du travail (ou équivalents) des différents États membres.
(1) Art. L.1321 Code des transports.
(2) Art. 93 de la loi n° 2018-771 du 5.09.18 sur la liberté de choisir son avenir professionnel.
(3) Art. L.1262-2 C.trav.
(4) Art. L.1262-2-1 IV C.trav.
(5) Art. L.1262-2-1 V C.trav.
(6) Art. L.1262-4 C.trav.
(7) Art. L.1264-2 C.trav in fine.
(8) Art. L.1264-1 C.trav.
(9) Art. L.1264-2 C.trav.
(10) Art. L.1264-3 C.trav.