C’est officiel : le Parlement européen vient d’adopter, mardi dernier, une réforme du travail détaché qui vise à renforcer les protections dont bénéficient les travailleurs. S’il est entendu de saluer la réforme en question, il n’en demeure pas moins que, dans le contexte politique actuel de l’Europe, il est difficile de ne pas y voir une volonté des dirigeants européistes de se refaire une virginité à peu de frais.
Le nouveau travail détaché
C’est à une large majorité de 456 voix – 147 députés ont voté contre la réforme et 49 se sont abstenus – que les députés européens ont voté la réforme du travail détaché. Les Etats membres de l’UE sont censés la mettre en oeuvre d’ici deux ans.
En débat depuis deux ans, la réforme repose sur le principe général “à travail égal, salaire égal”. Fixant à 12 mois la durée maximale du détachement – avec une prolongation possible de 6 mois – et imposant une inscription préalable d’au moins 3 mois à la Sécurité sociale du pays d’origine, le texte prévoit que les règles du pays d’accueil en matière de rémunération doivent s’appliquer aux travailleurs détachés. Ceci inclut les éléments du salaire négociés au niveau de la branche – comme les primes de panier ou la prime de risque dans le BTP. En outre, les frais de déplacement ne peuvent plus être soustraits du salaire et les conditions d’hébergement du travail détaché se doivent désormais d’être “décentes et conformes aux règles nationales”. Enfin, la réforme prévoit une coopération entre les Etats en matière de lutte contre la fraude au détachement.
La jubilation européiste
Qui s’en étonnera ? Les tenants de l’européisme se félicitent de ce vote. Ainsi, Elisabeth Morin-Chartier, la rapporteur du texte, a affirmé qu’il permettait d’aller vers une “Europe plus sociale, avec une concurrence plus saine entre les entreprises et de meilleurs droits pour les travailleurs”. “En votant en faveur de cet accord, le Parlement européen permet aux travailleurs d’avoir de meilleures conditions de travail tout en assurant une protection nécessaire pour les entreprises”. Le travailleur européen peut légitimement s’attendre à des lendemains qui chantent.
Bien que promouvant, au niveau national, une politique plutôt restrictive en matière de droit du travail français – sans pourtant le simplifier, soit dit en passant… – Muriel Pénicaud, la ministre du Travail, s’est montrée très enthousiaste vis-à-vis de la réforme. “L’Europe sociale progresse et protège nos concitoyens, elle est capable de se doter de règles communes. C’est une étape importante, et la France veillera à mettre en œuvre au plus vite ces nouvelles règles. Le dialogue entre tous les pays de l’Union a été présent tout au long de la négociation ; il doit se poursuivre, pour garantir l’équité sociale et lutter contre les fraudes et les détournements, préjudiciables à tous, travailleurs, entreprises et gouvernements” a-t-elle en effet déclaré dans un communiqué. Décidément, l’Europe sociale est à l’honneur cette semaine.
Tant va la cruche à l’eau…
Les esprits moins portés à la célébration de l’Union Européenne noteront probablement que le vote du texte n’a pas eu lieu dans n’importe quel contexte. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les mauvais signaux se multiplient ces derniers mois pour les partisans de l’Union Européenne. Entre le Brexit, la Grèce – dont on n’entend plus parler mais dont le peuple continue à subir la rude politique d’austérité imposée par ses “partenaires” européens – les raidissements polonais et hongrois et l’éclatante déroute des européistes italiens, les cabris bruxellois n’avaient plus grand chose à se mettre sous la dent ces derniers temps. La réforme du travail détaché vient combler cette disette.
Hélas pour nos défenseurs de l’Union Européenne, étant donné le niveau d’exaspération des peuples européens à l’encontre de la construction européenne telle qu’elle s’est faite depuis une quarantaine d’années, il apparaît très improbable que l’adoption, bien tardive, d’un – fort mince – vernis social suffira à contenter les masses. Construite depuis des décennies pour le grand capital et les conglomérats, l’Union Européenne aura bien du mal à faire oublier ses origines.