Télétravail : quid des tickets-restaurant ?

Cette publication provient du site du syndicat de salariés CFDT.

Alors que le télétravail se généralise depuis plusieurs mois maintenant, les questions portant sur les droits des salariés dans cette situation particulière affluent. Le conflit au sein du groupe SFR, qui a décidé de supprimer les tickets-restaurant des salariés en télétravail, constitue une illustration parfaite des tensions générées par un télétravail massif et imposé. Voici les éclairages et réponses apportés sur le sujet par le service juridique de la CFDT. 

Les télétravailleurs ont-ils droit aux titres-restaurant ?

Selon nous : oui ! 

La réponse à la question de savoir si les salariés conservent le bénéfice des titres-restaurant lorsqu’ils télétravaillent est aujourd’hui relativement claire et ce, pour plusieurs raisons. 

D’abord, parce qu’aucune disposition légale ou règlementaire n’exclut expressément ces travailleurs du bénéfice des titres-restaurant. La seule condition posée par le Code du travail pour en bénéficier est que le repas soit compris dans l’horaire de travail journalier, sans préciser si ce travail doit s’effectuer dans ou en dehors de l’entreprise (1). 

Ensuite parce que l’Urssaf y est également favorable. Le télétravailleur est un salarié à part entière, qui bénéficie des mêmes droits individuels et collectifs que ses collègues travaillant au sein de l’entreprise, que ce soit en termes de rémunération, de politique d’évaluation, de formation professionnelle ou d’avantages sociaux (titres-restaurant, chèques vacances…). Si les salariés de l’entreprise bénéficient des titres-restaurant, il en est donc de même pour les télétravailleurs à domicile, nomades ou en bureau satellite (2). 

Toutefois, il existe certaines limites. 

– Il doit exister un lien de salariat entre l’employeur et le bénéficiaire des titres-restaurant, 

– Le salarié n’a droit qu’à un seul titre-restaurant par jour de travail, et à condition que les temps de repas soient compris dans l’horaire de travail journalier. 

– Les salariés absents (congés, maladie, etc) n’y ont pas droit pour leurs jours d’absence. 

Enfin, mais surtout, les télétravailleurs bénéficient du principe d’égalité de traitement vis-à-vis des autres salariés de l’entreprise ! 

Et ce principe est d’ordre public. Les télétravailleurs doivent pouvoir bénéficier des mêmes droits et avantages légaux et conventionnels que ceux applicables aux salariés en situation comparable travaillant dans les locaux de l’entreprise. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ce principe fait l’objet de nombreuses dispositions ! 

Prévu initialement par l’ANI de 2005 (3), il a été repris par le Code du travail, qui précise que le télétravailleur a les mêmes droits que le salarié exécutant son travail dans les locaux de l’entreprise (4), pour enfin être réaffirmé dans l’ANI du 26 novembre 2020 sur le télétravail (5). 

Ainsi, si les salariés travaillant dans les locaux de l’entreprise bénéficient des titres-restaurant, les télétravailleurs doivent aussi en recevoir, si leurs conditions de travail sont équivalentes. 

L’employeur peut-il conditionner l’attribution des titres-restaurant ?

Oui, il le peut ! Car si le principe d’égalité de traitement s’applique pleinement aux télétravailleurs, il faut bien avoir à l’esprit que l’attribution de titres-restaurant n’est pas une obligation légale pour l’employeur. Rien ne l’empêche donc d’en subordonner l’attribution à certains critères, à condition qu’ils soient objectifs, c’est-à-dire qu’ils s’appliquent autant aux télétravailleurs qu’aux salariés travaillant dans l’entreprise. 

Les tribunaux ont par exemple admis que l’employeur puisse prévoir une tarification différente en fonction de l’éloignement du lieu de travail par rapport au domicile des salariés (6). 

En revanche, il est interdit de définir des critères d’attribution reposant sur des catégories professionnelles : cadres/non-cadres, sédentaires/itinérants, etc. 

Attention ! Un accord d’entreprise, ou à défaut, de branche, voire une charte sur le télétravail, peut aussi prévoir des dispositions spécifiques sur ce point. En tout état de cause, ces textes doivent respecter le principe d’égalité de traitement. En d’autres termes, si le texte prévoit des critères d’attribution, c’est à la condition qu’ils soient objectifs

Dans cette période de crise sanitaire, avec un recours au télétravail généralisé et imposé, certaines pratiques d’entreprise sont venues semer le doute quant à ces questions. On peut alors distinguer deux types de situation. 

  1. Certains employeurs, tenus de placer une partie seulement de leurs salariés en télétravail, ont décidé de supprimer les titres-restaurant à l’égard de ces seuls salariés ;
  2. D’autres, contraints de placer l’ensemble de leurs salariés en télétravail, ont purement et simplement décidé de les supprimer à l’égard de tous les salariés.

Si la réponse est relativement simple pour la première hypothèse, les choses sont un peu moins stabilisées pour la seconde. 

L’employeur peut-il ne supprimer les titres-restaurant qu’à l’égard des seuls télétravailleurs ?

Non ! 

Et pour une raison très simple, que l’on vient d’exposer : dès lors que les salariés travaillant dans les locaux de l’entreprise bénéficient des titres restaurant, les salariés qui sont placés en télétravail doivent continuer d’en bénéficier si leur journée de travail est interrompue par une pause-déjeuner et ce, quelles que soient les circonstances et le nombre de salariés placés en télétravail. C’est le principe d’égalité de traitement

L’employeur peut-il supprimer les titres-restaurant pour l’ensemble des salariés (télétravailleurs et non-télétravailleurs) ?

La question est tout autre, lorsque l’employeur, qui a placé l’ensemble des salariés en télétravail, prend la décision de supprimer cet avantage pour tous. Les salariés étant alors tous logés à la même enseigne, la question de l’inégalité de traitement ne se pose plus… La réponse est donc moins catégorique. 

-Une mesure a priori possible juridiquement…. 

On l’a dit, l’attribution de titres-restaurants ne résultant pas d’une obligation légale, l’employeur, qui en a décidé le bénéfice, peut donc tout aussi bien prendre la décision de le supprimer. Mais selon nous, les choses ne sont pas forcément aussi simples… 

D’abord, si l’on admet que l’employeur puisse supprimer cet avantage, il ne peut le faire que dans un cadre contraint, et encore moins du jour au lendemain, car tout va dépendre de la manière dont les titres restaurant ont été mis en place dans l’entreprise. 

Si l’avantage a été accordé librement par l’employeur en dehors de tout cadre lui imposant de le faire (tel qu’un accord collectif, une charte, une note de service, un contrat de travail, etc), et dès lors que cet avantage peut être considéré comme un usage, l’employeur doit, pour y mettre un terme : 

– informer le CSE, s’il existe ; 

– informer individuellement chaque salarié concerné (par lettre simple ou recommandée) ; 

– respecter un délai de prévenance suffisant pour laisser place à la négociation. 

Faute d’avoir suivi cette procédure, l’usage (et donc ici l’attribution des titres-restaurant) continue de s’appliquer, les salariés pouvant en réclamer le maintien et saisir le conseil de prud’hommes dans le cas contraire. 

Pour rappel, pour être qualifié d’usage, un avantage doit être tout à la fois : 

général, c’est-à-dire accordé à tout le personnel ou au moins à une catégorie du personnel ; 

constant, c’est-à-dire attribué régulièrement (ex : une prime versée depuis plusieurs années) ; 

fixe, ce qui implique qu’il soit déterminé selon des règles précises (ex : une prime dont le mode de calcul est défini et fixé à l’avance avec des critères objectifs). 

– Si l‘avantage est mentionné dans le contrat de travail du salarié, il change de nature et devient un élément du contrat de travail. L’employeur qui souhaite le supprimer ne pourra le faire qu’avec l’accord (écrit) du salarié

– Enfin, si l’avantage trouve sa source dans un accord collectif, et que les conditions d’attribution sont remplies, l’employeur ne pourra pas faire fi de ce texte en décidant seul de le supprimer. Il devra pour cela réviser ou dénoncer l’accord collectif, ce qui implique le respect de procédures spécifiques. 

Attention ! De nombreux accords collectifs conclus avant la crise n’ont pas prévu de dispositions spécifiques concernant le recours au télétravail en cas de circonstances exceptionnelles. 

C’est précisément sur le fondement d’un tel accord (signé en 2018) que l’entreprise SFR s’est appuyée pour décider de supprimer les titres-restaurant à ses 2000 salariés placés en télétravail en raison de la crise sanitaire. Cet accord prévoyait la possibilité de télétravailler 1 jour par semaine et la suppression des titres-restaurant pour ces jours télétravaillés. 

Ce qui, entre parenthèses, est déjà en soi contestable, dans la mesure où il est acté que les télétravailleurs bénéficient des mêmes droits que les salariés sur site et où l’accord en question ne fixait autre critère (autre que le fait de travailler à domicile) pour justifier cette différence de traitement…. 

Or, depuis quelques mois la situation est différente et si, dans cette affaire, l’accord prévoyait la suppression des titres-restaurant en cas de télétravail, non seulement, il ne visait qu’un jour par semaine, mais surtout, le télétravail reposait alors sur le volontariat des salariés, ce qui n’est plus du tout le cas aujourd’hui. 

C’est pourquoi les équipes CFDT ont décidé de porter cette affaire devant les tribunaux. Ce qui est une excellente initiative, d’autant que SFR est loin d’être la seule entreprise concernée par cette question. Espérons que de ce contentieux ressortira une décision favorable aux salariés… 

-… mais une mesure contestable 

Une telle décision de l’employeur, si elle apparaît juridiquement possible bien qu’encadrée, est contestable à plusieurs titres. 

  • Elle va à l’encontre des recommandations de l’Urssaf, qui considère que le télétravailleur doit conserver le bénéfice des titres-restaurant s’il en bénéficiait avant la mise en place du télétravail.
  • Pour certains, une fois mis en place, le titre-restaurant devient un élément du salaire sur lequel l’employeur ne peut plus revenir seul.

Enfin, au-delà de ces considérations d’ordre juridique, supprimer des titres-restaurant apparaît comme une double peine pour des salariés déjà contraints à télétravailler, parfois 5 jours sur 5, souvent dans des conditions dégradées, et désormais tenus de prendre en charge intégralement leur déjeuner. 

Cette démarche de l’employeur démontre clairement la volonté de certaines entreprises de faire des économies « sur le dos des salariés ». Ce qui est d’autant plus regrettable et grave pour les bas salaires, pour qui les titres-restaurant constituent une aide directe non négligeable. 

 

(1) Art. R.3262-7 du CT ; Cass.soc.20.02.13, n°10-30028. 

(2) Les conditions de travail du télétravailleur doivent être équivalentes à celles des travailleurs exerçant leur activité dans les locaux de l’entreprise, pour l’attribution de titres-restaurant : une journée organisée en deux vacations entrecoupées d’une pause réservée à la prise d’un repas. 

(3) ANI du 19 juillet 2005, art.4. 

(4) Art L.1222-9, III C.trav. 

(5) ANI du 26 novembre 2020 pour une mise en œuvre réussie du télétravail , art. 3-1 : « Les dispositions légales et conventionnelles applicables aux relations de travail s’appliquent aux salariés en télétravail. Ces derniers ont les mêmes droits légaux et conventionnels que le salarié qui exécute son travail dans les locaux de l’entreprise. […] ». 

(6) Cass.soc.22.01.92, n°88-40938. Pour les juges, cette pratique n’est pas discriminatoire, puisqu’il s’agissait de faire bénéficier d’une meilleure prise en charge de leurs frais de repas, les salariés qui se trouvaient dans l’impossibilité de regagner leur domicile. La même année, la cour d’appel a également admis que l’employeur puisse n’attribuer des titres-restaurant qu’aux salariés domiciliés en dehors de la commune où est située l’entreprise (CA Montpellier, 22 oct. 1992). 

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