Tabuteau, l’homme qui défend la sécu et aime l’industrie pharmaceutique

Didier Tabuteau, comme le professeur Grimaldi, aime se confondre en sorties tonitruantes sur les vertus de la sécurité sociale. En janvier 2017, il s’est par exemple fendu d’une tribune avec Martin Hirsch, patron de l’Assistance Publique, sur les vertus de la sécurité sociale universelle, sans organisme complémentaire. Mais… la prise de position, comme celle de Grimaldi d’ailleurs, mérite une étude un peu plus approfondie. 

 

Tabuteau et ses rengaines sur la sécurité sociale

Sa tribune de janvier 2017 est pleine de remarques d’une humanisme touchant. Comme dans le cas de Grimaldi, la rhétorique fait finalement appel à la fameuse solidarité, qu’on adore: 

 

Une telle réforme écarterait tout risque de remise en cause ou de grignotage de notre système de solidarité face à la maladie 

 

 

Et voilà, on a compris, la sécurité sociale, c’est la solidarité. Cette idée baroque, qui ne correspond à rien d’autre qu’à une antienne religieuse proche de l’Ave Maria après une relation adultérine, est le point Godwin du débat sur la santé publique. Quand on est à cours d’arguments pour expliquer que la nationalisation, malgré le harcèlement moral à l’hôpital public, malgré le climat social détestable qui y règne, malgré la dégradation des soins, c’est le nirvana, on explique que cette mesure est imposée par la solidarité. 

 

Tabuteau, l’homme de Kouchner?

Officiellement, Didier Tabuteau est conseiller d’Etat (un corps qui a fondé la sécurité sociale), responsable de la chaire Santé à Sciences Po et responsable de l’institut universitaire Droit et Santé. Cela fait beaucoup pour un seul homme, mais supposons. 

Accessoirement, ces occupations actuelles cachent un curriculum vitae un tout petit plus compliqué encore… Ainsi, en 1992, Didier Tabuteau devient directeur de cabinet de Bernard Kouchner, alors ministre de la Santé. Ensuite, il devient le premier directeur général de l’Agence du Médicament, créée en 1993. Il occupe ce poste pendant 4 ans… 

Ces pages de sa biographie lui valent aujourd’hui le titre de Kouchner boy

 

Tabuteau et le Mediator

En tant que directeur général de l’Agence du Médicament entre 1993 et 1997, Didier Tabuteau, qui nous joue du pipeau sur la sécurité sociale, a quand même eu à connaître d’un dossier épineux: celui du Médiator. Dans un très sérieux rapport sénatorial rédigé par Marie-Thérèse Hermange en 2011, on lira ces phrases étonnantes sur l’autorisation de mise sur le marché de ce médicament (AMM) qui a tué plusieurs milliers de malades: 

Lors de la validation de la 8ème tranche le 1er février 1991, l’indication relative au diabète a été maintenue. 

Puis la commission d’AMM, réunie le 3 février 1995, a estimé que le bénéfice thérapeutique n’était pas établi pour cette indication, faute d’études suffisantes. Pourtant, pour des raisons qui échappent à votre mission commune d’information, l’AMM n’a pas été modifiée en ce qui concerne l’indication relative au diabète, dans l’attente d’une nouvelle étude de l’entreprise. 

Le renouvellement d’AMM de 1997

Lors du renouvellement d’AMM en 1997, la firme a déposé un projet de nouvelle notice, dont rendent compte les échanges de l’entreprise avec la direction de l’évaluation de l’Afssaps. Alors qu’une première lettre indiquait, le 16 avril 1997, que la démonstration d’efficacité était insuffisante pour le diabète, un deuxième courrier, daté du 4 août 1997, informe de la possibilité de maintenir l’indication relative au diabète. La décision de 1995 a ainsi été annulée « de façon incompréhensible » selon les inspecteurs de l’Igas, en l’absence de réunion de la commission d’AMM. 

 

Le Sénat pointe donc qu’en février 1995, la commission d’autorisation de mise sur le marché du Médiator estime que les bénéfices du Médiator ne sont pas établis, mais l’Agence du Médicament ne modifie pas les conditions de l’autorisation délivrée à ce médicament, “pour des raisons qui échappent” aux sénateurs. 

Il semblerait logique d’interroger le directeur de l’époque sur cette ténébreuse affaire, ce fameux Tabuteau qui dénonce le rôle toxique des complémentaires santé et vante les bienfaits de la sécurité sociale. 

 

La justice protège-t-elle le conseiller d’Etat Tabuteau?

Là où l’embarras vient, c’est évidemment dans la façon dont l’enquête sur le Mediator est menée. On retrouvera, dans le précieux Figaro Santé, quelques questions qui tombent sous le sens: 

 

Il est le grand absent. À la fois de l’enquête Igas (Inspection générale des affaires sociales) et de l’information judiciaire. Toujours au centre du terrain, Didier Tabuteau, premier directeur de l’Agence du médicament, n’a pourtant jamais été inquiété. Pourquoi? Le 8 février 2012, à 9 h 43, Anne Castot, alors chef du service de la gestion des risques et de l’information sur les médicaments, appelle une amie de l’Agence. Cette dernière lâche: «Dis donc, j’ai appris aussi des trucs sur Didier Tabuteau, ce n’est pas quelqu’un d’une virginité totale.» 

L’homme, aujourd’hui membre du Conseil d’État, est un «Kouchner boy». Il était son directeur de cabinet au ministère de la Santé avant de devenir le premier directeur de l’Agence du médicament, de 1993 à 1997. Il était donc en poste à des dates clés de l’histoire du Mediator: quand la molécule de Servier est mise sous enquête et quand les anorexigènes sont retirés du marché. En octobre 1995, Didier Tabuteau signe la fin du Mediator dans les préparations magistrales – celles réalisées à la demande par le pharmacien en mélangeant plusieurs molécules. Mais, pour une raison incompréhensible, le médicament reste en vente dans les officines. Mediapart avait montré (le 16 avril 2011) que le 23 octobre 1995 Didier Tabuteau avait écrit au directeur général de la santé, Jean-François Girard. Sa note montre très clairement que l’Agence du médicament est alors tout à fait consciente des propriétés anorexigènes du Mediator. (…)

Le rapport de l’Igas rendu public le 15 janvier 2011 fait – opportunément? – l’impasse sur la période Tabuteau à l’Agence. Pour résumer, l’Igas a bâti toute sa démonstration sur une seule faute originelle: la dissimulation par Servier de la nature amphétaminique du Mediator. (…) 

La grande habileté de Xavier Bertrand, ministre de la Santé au moment où éclate le scandale, en 2010, a été de choisir Aquilino Morelle comme inspecteur Igas pour la mission. L’ancienne plume de Lionel Jospin est un vieil ami de Didier Tabuteau. Ensemble, ils ont écrit un ouvrage intitulé La Santé publique, sorti en juillet 2010. Tous deux enseignent à Sciences Po au sein de la chaire santé, dont le responsable

n’est autre que Didier Tabuteau. Or, le rapport Igas servira de trame à l’information judiciaire. 

 

 

Je te tiens, tu me tiens par la barbichette. C’est ainsi que la justice, comme l’administration, protège le conseiller d’Etat Tabuteau. Pourtant, on peut imaginer que quelques questions seraient intéressantes à poser sur les “raisons qui échappent” pour lesquelles Tabuteau a maintenu l’autorisation de mise sur le marché d’un médicament qui posait question. 

 

Tabuteau et l’industrie pharmaceutique

Tout ceci pose évidemment la question des relations particulières entre la technostructure et la haute d’administration de la santé. Didier Tabuteau, ancien directeur de cabinet de Kouchner, est cité plusieurs fois dans les récits du lobbying pharmaceutique. 

Ainsi, le Journal du Dimanche, en 2013, écrit-il à propos de Cahuzac; 

Daniel Vial met à profit cette période pour se constituer un carnet d’adresses phénoménal pour un fils d’agriculteurs provençaux.(…) Il a prospéré dans l’univers de la pharmacie par hasard, poursuit encore Tesson, ce n’était pas son milieu, mais dans les années 1990, il était très lié avec les acteurs clés du secteur, Cahuzac, mais aussi Didier Tabuteau, et surtout Bernard Kouchner.” Didier Tabuteau a été le directeur adjoint de cabinet de Claude Évin (1988-1991), directeur de cabinet de Kouchner de (1991-1993 puis de 2000 à 2001) et directeur de l’agence du médicament (1993-1997). Marque d’estime, Bernard Kouchner a remis la Légion d’honneur à Daniel Vial en 2001. 

 

Amusant non? 

Dans le Nouvel Obs de l’époque, on trouve aussi cette enquête

Son job, c’était de repérer les jeunes pousses prometteuses. Il les invitait chez lui, autour d’un café ou dans un restaurant étoilé. Parlait de son goût pour l’art contemporain, de ses amitiés avec Adjani, Rampling ou Rostropovitch. Dissertait sur l’économie de la santé, mais sans jamais aborder frontalement un dossier. Ce dandy bronzé, au regard voilé par un léger strabisme, a toujours eu l’air de ne pas y toucher. Voilà comment il s’est lié avec tant de hauts fonctionnaires à la réputation sans tache, dont Didier Tabuteau, le fondateur de l’Agence du Médicament, ou encore Noël Renaudin, l’ex-président du Comité économique des Produits de Santé, chargé, à partir de 1995, de fixer le prix des produits pharmaceutiques, mission jusque-là dévolue aux services du ministre. 

 

 

La chaire Santé de Sciences-Po et l’industrie pharmaceutique

Depuis ces années sulfureuses, Didier Tabuteau dit qu’il s’est rangé des voitures. Voici ce qu’il a déclaré à la mission parlementaire du Sénat sur le Mediator, dont nous citons le rapport d’information ci-dessus: 

je dirige la chaire « Santé » à Sciences Po, laquelle bénéficie du mécénat de sociétés comme Ipsen, Sanofi-Aventis, Abbott France 

 

Voilà qui va mieux en le disant. 

Didier Tabuteau aime la sécurité sociale, mais il aime aussi l’industrie pharmaceutique… 

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