Sociétés à mission : bilan mitigé 2 ans après la loi Pacte

Cette publication provient du site du syndicat de salariés CFE-CGC.

Deux ans après la loi Pacte, le rapport Rocher publié en octobre dernier en dresse le bilan et les perspectives, notamment sur le volet raison d’être et responsabilité des entreprises.

RAPPEL DES OBJECTIFS DE LA LOI PACTE

La loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises (dite loi Pacte) avait pour objectif premier affiché de rendre les entreprises françaises plus compétitives. Avec deux ambitions : lever les obstacles à leur croissance à toutes les étapes de leur développement, de leur création à leur transmission en passant par le financement ; et replacer les entreprises au centre de la société. 

Les principales mesures législatives ont été la suppression du forfait social de l’épargne salariale pour les entreprises de moins de 250 salariés et, sous certaines conditions, la facilitation de la création d’entreprise, la redéfinition de l’objet social, la simplification de l’épargne retraite et la composition des conseils d’administration.

RAISON D’ÊTRE ET SOCIÉTÉ À MISSION

Avant la loi Pacte, l’entreprise était définie comme toute société qui « doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés ». La loi Pacte a revu l’objet social de l’entreprise, qui n’est plus « l’affaire » des seuls actionnaires. Désormais, le législateur, qui a modifié l’article 1833 du Code civil, stipule que « la société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ».

Mais la loi n’a pas défini juridiquement « l’intérêt social », laissant le soin aux entreprises de le faire elles-mêmes en se dotant d’une « raison d’être ». C’est pourquoi la loi a modifié l’article 1835 du Code civil permettant aux associés de toute société d’inscrire dans les statuts de l’entreprise sa raison d’être. L’idée est de rapprocher les chefs d’entreprise de leur environnement de long terme en définissant le rôle de l’entreprise dans la société au-delà de son activité économique.

La loi a également offert la possibilité à l’entreprise d’inscrire cette « raison d’être » dans ses statuts et d’adopter le statut « d’entreprise à mission » (articles L. 225-35 et L. 225-64 du Code de commerce). Une société à mission est une société qui, sur la base d’un engagement volontaire, inscrit une raison d’être dans ses statuts et charge un organe de suivi de vérifier l’atteinte de ses objectifs et l’adéquation des moyens engagés. Un organisme tiers indépendant (OTI) a pour mission de vérifier les informations correspondantes.

186 SOCIÉTES À MISSION RECENSÉES (JUIN 2021)

La loi Pacte prévoit que les trois premiers rapports annuels d’évaluation présentent des volets relatifs à 23 thématiques que la loi détaille. Ces rapports sont rendus par le comité d’évaluation de la loi Pacte dit « comité Impact », piloté par France Stratégie et auquel participe la CFE-CGC. Le deuxième bilan présente donc les avancées de la loi Pacte, notamment au sujet de la raison d’être des entreprises et des sociétés à missions. Il apparaît que 186 sociétés à mission étaient dénombrées à la fin du premier semestre 2021 par l’Observatoire des entreprises à mission, soit un triplement depuis octobre 2020, une hausse relativement importante du fait de la tenue de nombreuses assemblées générales en décembre.

Par ailleurs, les raisons d’être portent principalement sur des enjeux sociaux, puis sur des problématiques environnementales. Le comité Impact rappelle cependant qu’il est trop tôt pour évaluer quantitativement l’impact financier et extra-financier de l’adoption de cette qualité sur l’activité des entreprises. Une mission sur la gouvernance responsable des entreprises a donc été confiée par Bercy à Bris Rocher, directeur général du groupe Rocher (devenu « entreprise à mission »), afin d’avoir des retours d’expérience au niveau européen ainsi que des recommandations.

PLUSIEURS FREINS À LEVER  

Remis le 19 octobre dernier à Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, et à Olivia Grégoire, Secrétaire d’État chargée de l’Économie sociale, le rapport (consultable ici) propose 14 recommandations basées sur plus de 200 auditions d’acteurs variés (chefs d’entreprises de toute taille, universitaires, conseils…). Il met en évidence plusieurs résultats. Si l‘intérêt pour les nouveaux modèles de gouvernance est manifeste, le basculement n’a pas eu lieu : peu d’ETI ou de grands groupes ont choisi de devenir société à mission. Aujourd’hui, 75 % des sociétés du CAC 40 ont défini leur raison d’être mais peu l’ont inscrite dans leur statuts.

Le rapport identifie plusieurs freins à cela :

  • Les entreprises ne voient pas les bénéfices de la démarche alors qu’elles identifient bien les risques. Inscrire la raison d’être dans les statuts oblige à prendre des mesures concrètes sous peine de s’exposer à des actions en responsabilité si ces obligations ne sont pas respectées.
     
  • La démarche peut laisser penser à des affichages « de vertu » et non à une démarche authentique et engagée.
     
  • L’application des mesures de la loi Pacte souffre de la méconnaissance de la prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux. Par exemple, 58 % des chefs d’entreprises interrogés (dont une grande majorité de TPE) n’ont jamais entendu parler de RSE.

Or, la formalisation d’une raison d’être et la qualité de société à mission donnent un cadre juridique à la culture d’entreprise, permettent d’unifier la société autour d’un fil rouge et fédèrent salariés, actionnaires et parties prenantes de la société. À titre d’exemple, 75 % des sociétés du CAC 40 ont défini une raison d’être mais seuls 6 groupes l’ont intégrée dans leur statuts (Atos, Carrefour, Danone, Engie, Orange et Worldline). Sur les 120 plus grosses entreprises cotées en France, seule Danone a franchi le pas en devenant société à mission.

Le rapport Rocher formule par ailleurs 14 recommandations organisées en 3 grandes séries d’objectifs :

  • Essaimer, car plusieurs leviers peuvent être activés pour une appropriation la plus large possible des nouveaux dispositifs issus de la loi Pacte.
     
  • Crédibiliser, face au risque perçu de purpose washing, les dispositifs de raison d’être et de société à mission.
     
  •  Lever les freins au développement du fonds de pérennité ; consacrer l’obligation de prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux au niveau européen et inciter toute société européenne à se doter d’une raison d’être ; progresser vers une comptabilité intégrée.

Le rapport propose également, à destination des entreprises, un guide de bonnes pratiques sur les modalités de prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux dans le processus de décision des organes sociaux des sociétés. Il préconise aussi que l’Etat poursuive l’effort engagé pour que les entreprises dont il est actionnaire, ainsi que les établissements publics, adoptent une raison d’être.

LE POINT DE VUE DE LA CFE-CGC

Contrairement à ce que disent, sans le justifier, certains acteurs représentant les dirigeants d’entreprises, la CFE-CGC n’identifie pas de risque associé à préciser la mission de l’entreprise, que ce soit en termes de compétitivité ou d’attractivité pour les investisseurs. Nous estimons que la modification de l’objet social doit s’imposer à toutes les entreprises, les obligeant à définir une raison d’être.

Si la CFE-CGC souhaite que l’entreprise soit pleinement « gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité », il faut lui en donner les moyens, en particulier en associant davantage les salariés à sa gouvernance, et en lui allouant un tiers des postes d’administrateurs. Les salariés sont en effet la partie constituante de l’entreprise la plus intéressée à sa pérennité sur le long terme. Il est aussi important, dans une logique RSE globale, que les intérêts des parties prenantes à l’entreprise que sont ses clients, ses fournisseurs et les collectivités territoriales d’implantation, puissent être intégrés à la stratégie de l’entreprise. La CFE-CGC propose l’institution d’un Conseil de RSE représentant les parties prenantes et qui puisse transmettre au conseil d’administration ses vœux et recommandations.

Pour accompagner cet alignement de la gestion de l’entreprise avec une économie durable et respectueuse des parties prenantes, la CFE-CGC préconise que les financements (en particulier ceux accordés avec la garantie de l’État et/ou par Bpifrance) ne soient pas seulement accordés au regard de critères financiers, mais en prenant en considération les critères sociaux et environnementaux, sur la base du respect d’un cahier des charges établi par des représentants des parties prenantes (dont les partenaires sociaux).

L’autre pendant est de changer notre regard d’analyse des résultats et de la « valeur » des entreprises, et de sortir du seul prisme financier. C’est pourquoi il est impératif d’élargir la vision de l’entreprise en intégrant une comptabilité extra-financière en lien avec ses ressources humaines et naturelles, et avec l’économie réelle.

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