Société en faillite : la CJUE privilégie le transfert des salariés

Cet article provient du site du syndicat CFDT.

Le 22 juin dernier, la Cour de justice de l’Union européenne est venue préciser son interprétation des dispositions de la directive européenne sur le transfert qui visent à garantir le maintien des droits des salariés en cas de transfert d’entreprise. Plus précisément, l’affaire concernait un dispositif visant à éviter la liquidation d’une société par la reprise de celle-ci, permettant ainsi le redémarrage rapide de ses unités viables juste après le prononcé de sa faillite. Dans une telle situation, la Cour de justice décide que le maintien des contrats de travail des salariés concernés doit être garanti. CJUE, 22.06.17, aff. C-126/16. 

  • Les faits

La présente affaire concerne une société de garderie d’enfants implantée aux Pays-Bas, Estro Groep, qui comptait près de 380 établissements sur l’ensemble du territoire néerlandais et employait environ 3 600 salariés. 

En 2013, la situation financière d’Estro Groep a menacé l’ensemble du groupe d’une mise en faillite. Pour y faire face, la direction du groupe a eu recours à un dispositif existant aux Pays-Bas : le «pre-pack». L’objectif de ce pre-pack consistait, via la participation de la société sœur de l’actionnaire principal d’Estro Greop à la constitution d’une nouvelle société nommée Smallsteps, à reprendre le redémarrage de 243 centres sur les 380, le maintien de l’emploi pour près de 2 500 salariés sur un total de 3 600 environ et la continuité du service dans tous les établissements au mois de juillet 2014. 

Le 5 juillet 2014, un pre-pack a été signé entre le curateur (équivalent à l’administrateur en droit français) et Smallsteps, aux termes duquel cette dernière a acheté environ 250 établissements et s’est engagée à offrir un emploi à près de 2 600 salariés d’Estro Greop au jour du prononcé de la faillite. 

Le 7 juillet 2014, le curateur a licencié tous les salariés d’Estro Greop. Seuls 2 600 salariés parmi les 3 600 se sont vu offrir un nouveau contrat de travail par la nouvelle société Smallsteps ! 

Une organisation syndicale néerlandaise (la FNV), ainsi que 4 anciens salariés, ont saisi le tribunal des Pays-Bas centraux pour contester le pre-pack et faire constater que la directive 2001/23 relative au transfert aurait dû s’appliquer et garantir le transfert des droits et obligations des salariés ainsi que le maintien de leurs contrats de travail vers la nouvelle société

Le tribunal s’est alors tourné vers la Cour de justice pour lui adresser une question préjudicielle et lui demander si la directive 2001/23 relative au transfert qui vise à protéger les travailleurs et maintenir leurs droits en cas de transfert d’entreprise, devait bien s’appliquer au pre-pack conclu entre Estro Groep et Smallsteps. 

  • Le principe du maintien des droits des salariés en cas de transfert

L’article 3 de la directive transfert énonce que «les droits et les obligations qui résultent pour le cédant d’un contrat de travail ou d’une relation de travail existant à la date du transfert sont, du fait de ce transfert, transférés au cessionnaire»(1). Cet article pose ainsi le principe du maintien des droits des salariés et de leurs conditions contractuelles en cas de transfert d’entreprise.  

En outre, l’article 4 de la directive 2001/23 protège les salariés contre tout licenciement effectué par le cédant ou par le cessionnaire sur la seule base dudit transfert (2). 

  • L’exception à la règle du maintien des droits des salariés en cas de faillite

La directive pose toutefois une exception au maintien des droits des salariés et à l’interdiction de licencier. Ainsi, le régime de protection offert par la directive ne s’appliquent-ils pas «au transfert d’une entreprise, d’un établissement ou d’une partie d’entreprise ou d’établissement lorsque le cédant fait l’objet d’uneprocédure de faillite ou d’une procédure d’insolvabilité analogue ouverte en vue de la liquidation des biens du cédant et se trouvant sous le contrôle d’une autorité publique compétente» (3). 

  • L’interprétation stricte de la CJUE

La Cour de justice rappelle tout d’abord qu’elle interprète strictement la dérogation posée par la directive à l’article 5§1 (4) s’agissant de l’inapplication du régime de protection des travailleurs en cas de faillite.Ce qui signifique que pour pouvoir déroger au régime de protection des travailleurs, il faut satisfaire, de manière cumulative, aux conditions telles définies par la directive : 

1) tout d’abord, le cédant doit faire l’objet d’une procédure de faillite ou d’une procédure d’insolvabilité analogue ;2) ensuite, cette procédure doit être ouverte aux fins de la liquidation des biens du cédant ;3) enfin, la procédure doit se trouver sous le contrôle d’une autorité publique compétente. 

– Pour ce qui concerne la première condition, la Cour de justice considère que le dispositif de pre-packest, certes, préparé avant la déclaration de faillite, mais est mis en œuvre après celle-ci. Dès lors, «une telle opération, impliquant effectivement la faillite, est, partant, susceptible de relever de la notion de procédure de faillite» (5) au sens de la directive. 

– S’agissant de la seconde condition, qui exige que la procédure de faillite soit ouverte aux fins de la liquidation des biens du cédant, la CJUE considère que celle-ci n’est pas remplie. Elle constate en ce sens qu’une telle opération de pre-pack «vise à préparer la cession de l’entreprise dans ses moindres détails afin de permettre le redémarrage rapide des unités viables de l’entreprise après le prononcé de la faillite, dans le souci d’éviter ainsi la rupture qui résulterait de la cession brutale des activités de cette entreprise à la date du prononcé de la faillite, de manière à préserver la valeur de ladite entreprise et l’emploi» (6). 

Par conséquent, la Cour de justice considère qu’une telle opération ne vise pas en définitive la liquidation de l’entreprise. L’objectif économique et social poursuivi par l’entreprise ne saurait dès lors «ni expliquer, ni justifier que, lorsque l’entreprise concernée fait l’objet d’un transfert total ou partiel, ses travailleurs soient privés des droits que leur reconnaît la directive 2001/23» (7). 

– Enfin, s’agissant de la troisième et dernière condition selon laquelle la procédure de faillite doit se trouver sous le contrôle de l’autorité publique, celle-ci n’est pas non plus satisfaite. En effet, l’opération de pre-packqui précède la déclaration de faillite, n’a pas de fondement dans la législation néerlandaise mais est le résultat de la pratique. Cette opération est donc gérée non pas sous le contrôle du tribunal, mais par la direction de l’entreprise qui mène les négociations et adopte les décisions préparant la vente de l’entreprise en faillite. 

La CJUE conclut en définitive que dans une telle situation où le transfert d’une entreprise intervient à la suite d’une déclaration de faillite dans le contexte d’un pre-pack, préparé antérieurement à celle-ci et mise en œuvre immédiatement après le prononcé de la faillite, la protection des travailleurs garantie par la directive transfert doit être maintenue

Une telle solution est pour nous logique, dans la mesure où l’opération consistait à éviter la liquidation de la société en procédant immédiatement après le prononcé de sa faillite à la reprise de ses entités viables et à la poursuite du service dans celles-ci. Il était donc tout à fait cohérent d’écarter la dérogation prévue par la directive et de maintenir la garantie des droits des salariés prévue par celle-ci. 


(1) Art. 3§1 de la Directive 2001/23. 

(2) Art. 4§1 de la Directive 2001/23. 

(3) Art. 5§1 de la Directive 2001/23. 

(4) Point 41 de l’arrêt. 

(5) Point 46 de l’arrêt. 

(6) Point 49 de l’arrêt. 

(7) Point 50 de l’arrêt. 

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