L’ANI et la fin des clauses de désignation ont attisé la convoitise d’une multitude d’acteurs pour le marché de l’assurance collective. Certains acteurs, ont rapidement adapté leur offre Interpro et se sont lancés dans une course à l’échalotte pour équiper un maximum d’entreprises, convaincus qu’il suffisait d’appliquer les bonnes recettes du marché de masse de la santé individuelle.
D’autres, plus opportunistes ont suivi la mise en place de certains accords santé sur des branches majeures (Auto, Transport, Syntec…) pour se constituer au fil du temps une gamme d’offres dédiée.
Cinq ans plus tard, qu’en est-il vraiment ? L’une des deux stratégies l’a-t-elle emporté sur l’autre ? Voici quelques éléments de réponse.
Santé collective : un marché constamment chamboulé
La santé collective a connu une explosion des accords en santé, avec à ce jour, plus de 217 accords santé différents contre une trentaine en 2015. Le volume d’entreprises soumises à un accord est passé de 30 % à 85 %. Le gros gâteau de plus d’un million d’entreprises, qui semblait si appétissant pour le marché, s’est finalement transformé en un mille-feuilles réglementaire indigeste, composé d’une multitude de segments de marché.
En parallèle, le taux d’équipement induit par la mise en place de l’ANI a flambé. Ce taux est passé de 30 % à 90 % sur la période, les TPE, c’est-à-dire les entreprises de 1 à 49 salariés, représentant 95 % de la cible. Petit-à-petit, la santé collective a basculé dans un marché de reprise à la concurrence.
Pour couronner le tout, ces bouleversements de marché ont été confrontés à une frénésie d’évolutions réglementaires : Panier de soins, Contrat responsable, 100 % santé, engagement de l’UNOCAM… Ces évolutions imposent aux organismes assureurs de revoir en permanence leurs offres. Cela met les équipes conception sous pression et provoque l’érosion des marges déjà tendues après plusieurs années de dumping tarifaire.
Quels impacts pour les acteurs qui ont misé sur les offres Interpro ?
Le marché adressable des contrats Interpro s’est réduit comme peau de chagrin en à peine 5 ans. Ces contrats standards souvent construits (pour des raisons de simplicité) sur une logique de niveaux de garanties fixes ne sont plus adaptés au marché. Aujourd’hui, seulement 18 % des entreprises ne sont pas soumises à un accord de santé, ce chiffre était de 70 % en 2015. Il suffit qu’un accord de branche comporte une seule garantie un tant soit peu exotique pour empêcher tout vente sur ce segment marché.
C’est pourquoi de nouvelles offres plus modulaires apparaissent, mais l’acte de vente reste encore complexe. Les équipes commerciales ne disposent pas toujours des bons outils pour s’assurer de la conformité de la solution proposée. Côté client, ils ne sont pas forcément prêts à souscrire une solution trop couvrante qui ne répond à leur contrainte budgétaire sous prétexte qu’elle « colle » aux obligations de leur CCN.
Les organismes d’assurance santé qui ont misé sur les offres Interpro ont donc été forcés d’innover dans l’architecture de leurs offres collectives. Pour s’assurer de la conformité de leur produit, ils sont tenus (en principe) d’investir dans des outils de veille conventionnelle et de créer des outils pour faciliter l’acte de vente de leurs équipes commerciales.
Quid des assureurs qui disposent d’une gamme d’offres dédiées ?
Les offres dédiées présentent beaucoup d’avantages à première vue. Elles sont simples à comprendre et simples à vendre. Comme elles ciblent une CCN en particulier, elles s’adressent à une clientèle clairement identifiée. En théorie les garanties qui la composent sont nécessairement conformes aux exigences de l’accord adressé. Le positionnement tarifaire est, quant à lui, également plus facile à optimiser.
Cette approche présente néanmoins certaines limites. Par exemple, combien d’offres dédiées différentes mettre en œuvre pour couvrir un large marché ? Sachant que les 15 plus grosses CCN regroupent 60 % des TPE, cette stratégie impose de sacrifier 40 % du marché au risque de créer des offres non rentables. Maintenir la conformité d’une large gamme génère des coûts fixes de conception importants. De plus, les multiples évolutions réglementaires de ces dernières années n’arrangent rien, elles réduisent la durée de vie des offres. En réaction, certains organismes de complémentaire santé préfèrent abandonner des segments de marché pour ne pas sur-dimensionner leurs équipes techniques, juridiques ou marketing.
Le choix du « tout » offres dédiées CCN montre là ses limites. La multiplication des accords signés sur des secteurs au potentiel insuffisant ne permet pas de rentabiliser la création et la mise à jour d’offres spécifiques à chaque CCN.
Existe-t-il une solution pour sortir de l’ornière ?
Il n’y a pas aujourd’hui de doctrine claire sur le meilleur positionnement à adopter. Tout dépend en réalité de la stratégie de chaque acteur du marché. Faut-il réduire la taille des gammes d’offres dédiées aux quelques CCN à fort potentiel ? Ou bien faut-il redéfinir l’architecture des offres Interpro pour qu’elles s’adaptent mieux à de multiples accords de branches ? Est-il possible de mixer les 2 approches ?
La solution pourrait bien venir directement des équipes chargées de concevoir les offres si tant est qu’on les laisse innover plutôt que de leur imposer un sempiternel travail de reproduction.
Nous aurons l’occasion de revenir sur tous ces points dans une prochaine série d’articles spécifiques.