Cet article est issu du site du syndicat de salariés CFDT.
L’affaire ici commentée part de deux postulats. Premier postulat : c’est au règlement intérieur de l’entreprise qu’il appartient de fixer « les règles générales et permanentes relatives à la discipline » et « notamment la nature et l’échelle des sanctions que peut prendre l’employeur ». Second postulat : l’établissement d’un tel règlement intérieur est obligatoire dans toutes les entreprises employant habituellement au moins 50 salariés. Que se passe-t-il alors lorsqu’un employeur assujetti à l’obligation d’établir un règlement intérieur ne s’y conforme pas ? Peut-il malgré tout prononcer une sanction disciplinaire à l’endroit de l’un de ses salariés ?
C’est à cette délicate question qu’un arrêt de la Cour de cassation est venu répondre au tout début du mois de décembre 2020. Cassation sociale, 02.12.20, n° 19-21.292
· Deux sanctions et un réglement !
Un chauffeur routier exerçant pour la société XPO Last Mile France s’est trouvé sanctionné deux fois. Une première fois le 24 février 2014 par une mise à pied pour avoir dépassé son temps de conduite maximal autorisé ; une seconde fois le 19 août 2015 par un avertissement pour n’avoir pas su éviter la panne sèche lors de l’un de ses trajets. Il s’est ainsi retrouvé au conseil de prud’hommes, auprès duquel il a réclamé l’annulation des deux sanctions.
Le salarié avait certes des arguments de fond à faire valoir. Mais c’est finalement sur un préalable, sans lien direct avec les faits commis, que les débats se sont portés : à l’époque, le règlement intérieur était obligatoire dans toutes les entreprises d’au moins 20 salariés (1). Or la société XPO Last Mile France, dont c’était pourtant le cas, n’avait pas daigné s’en doter ! La question qui se posait alors était donc de sanctionner cette omission.
· Jurisprudence antérieure
Dans une affaire de 2010, restée célèbre (2), un salarié de la société Thomson CSF avait été mis à pied pour une durée de 5 jours ouvrés. A différence de la société XPO Last Mile France, la société Thomson CSF avait bien satisfait à l’obligation de se doter d’un règlement intérieur. Elle avait également bien pris soin de faire figurer la mise à pied à l’échelle des sanctions… mais elle n’avait par contre pas jugé utile de la calibrer en temps : 1, 2, 3, 4 (…) jours.
Aussi le salarié sanctionné avait-il fait valoir en justice le fait que le règlement intérieur ne prévoyait pas à proprement parler de mise à pied de 5 jours. En conséquence, sa sanction devait être considérée comme nulle et non avenue. Débouté par les juges du fond, le salarié avait pu obtenir gain de cause devant la Cour de cassation qui, après avoir rappelé qu’« une sanction ne peut être prononcée contre un salarié que si elle est prévue par ce règlement intérieur », avait estimé qu’une mise à pied figurant à l’échelle des sanctions devait impérativement faire apparaître sa durée.
En l’espèce, la mise à pied de 5 jours ne figurait pas au règlement intérieur. Elle ne pouvait donc pas être prononcée…
· Originalité de cette « nouvelle » affaire
Dans l’affaire à l’origine de cet arrêt, la situation, bien que connexe à celle de 2010, n’était pas tout à fait similaire. Nous n’étions plus face à une échelle des sanctions existante mais en partie imprécise, mais bien face au vide – en l’occurrence l’absence de tout règlement intérieur. Les juges du fond ont alors estimé que les conclusions à en tirer devaient être différentes – pour ne pas dire diamétralement opposées – à celles qui avaient prévalu 10 années plus tôt. Faisant implicitement référence à cette affaire, les juges d’appel ont considéré que ce n’est que « lorsque le règlement intérieur fixe la nature et l’échelle des sanctions que l’employeur est privé de la possibilité de prononcer une sanction disciplinaire qui n’est pas prévue par ce règlement » !
· Chronique d’une censure annoncée
De prime abord, l’argumentation développée par les juges du fond pour débouter le salarié pouvait sembler assez déconcertante, puisqu’elle conduisait somme toute à traiter moins sévèrement l’employeur qui remplissait -certes maladroitement- son obligation d’élaborer son règlement intérieur que celui qui s’y soustrayait totalement !
Mais à bien y réfléchir, il semble que l’explication soit à rechercher ailleurs : les juges du fond ont sans doute redouté que, dans une telle situation, l’employeur se trouve totalement empêché de riposter aux fautes éventuellement commises par ses salariés, toutes les sanctions – hormis le licenciement disciplinaire (3) – devenant littéralement imprononçables. A n’en pas douter, c’est donc en tout premier lieu le pragmatisme qui a guidé les juges du fond dans leur décision ; le pragmatisme, mais pas vraiment le respect normalement dû au cadre légal.
· Retour au droit
Ce raisonnement ne pouvait donc que difficilement résister au contrôle des juges du droit. Ainsi, c’est au visa des articles L. 1311-2 et L. 1321-1 du Code du travail que la décision s’est trouvée cassée. Le premier de ces articles précise, rappelons-le, qu’à partir d’un certain seuil -20 salariés à l’époque des faits, 50 aujourd’hui -, l’établissement par l’employeur d’un règlement intérieur est obligatoire, tandis que le second indique très explicitement que « le règlement intérieur (…) fixe (…) les règles générales et permanentes de discipline relatives à la discipline, notamment la nature et l’échelle des sanctions que peut prendre l’employeur ».
« Les sanctions que peut prendre l’employeur » n’ayant pas été déterminées, celui-ci ne pouvait en prononcer aucune = CQFD !
Hormis, comme nous l’avons vu plus haut, le licenciement disciplinaire, qui peut toujours advenir, même s’il ne figure pas au règlement intérieur.
(1) Depuis le 1er janvier 2020, il ne l’est plus qu’au sein des entreprises de 50 salariés et plus. Art. L. 1311-2 C. trav. modifié par l’art. 11 V de la loi n° 2019-486 du 22.05.19.
(2) Cassation sociale 26.10.10, n° 09-42.740.
(3) Le licenciement, entre autre disciplinaire, demeure en tout état de cause prononçable, puisqu’il est prévu par le Code du travail. Article L. 1231-1 du Code du travail : « Le contrat de travail à durée indéterminée peut être rompu à l’initiative de l’employeur ou du salarié ou d’un commun accord dans les conditions prévues par les dispositions du présent titre ».