Lutte “pour le climat” et contre les “féminicides” : la CGT n’est pas tout à fait où on l’attend en cette rentrée de septembre 2019. Longtemps guidée par les grilles d’analyse marxiste et salariale dans ses choix de revendications et de combats, la CGT apparaît clairement aujourd’hui ne plus vouloir compter sur une telle boussole intellectuelle.
Heureusement pour la centrale de Philippe Martinez, la réforme des retraites devrait constituer une belle opportunité de se refaire une petite santé morale à peu de frais.
Philippe Martinez thunbergisé
Interrogé à la toute fin du mois d’août sur BFM TV à propos de divers sujets, Philippe Martinez en est venu à s’exprimer sur la question du climat. Il en a profité pour se situer dans le sillon, médiatiquement fertile, des défenseurs du climat et de leur guide suprême, Greta Thunberg.
Il a d’abord affirmé que la CGT “n’oppose pas le social et le climat” et est “très attachée à la défense de la planète et de l’environnement”. Croyant tenir-là un bon mot, M. Martinez a ainsi justifié cette sensibilité climatique de la CGT : “Fin du mois et fin du monde, ça va de pair !” Force est, certes, de constater que la première tend à se produire – et qui s’en plaindra ? – plus souvent que la seconde… Quoi qu’il en soit, partant de ces mots d’ordre plus ou moins certains et tenant à cultiver son image de syndicaliste contestataire, Philippe Martinez s’est félicité du fait que la CGT “va s’associer, évidemment, aux grèves pour le climat du 20 et du 27 septembre”.
Ceux qui, se fiant au passé marxiste de la CGT, escomptaient une analyse un peu plus poussée des raisons infrastructurelles qui, d’après Philippe Martinez, conduisent au dérèglement climatique qu’il dénonce, en seront pour leur frais. Aujourd’hui, à la CGT, pour ce qui concerne le débat sur le climat, les slogans télégéniques et sans lendemain, à la mode Thunberg, ont remplacé les analyses de fond portant sur le développement du capitalisme et de l’impérialisme et sur ses conséquences sur l’exploitation des ressources planétaires.
La CGT mobilisée sur les “féminicides”
On savait Philippe Martinez prêt à bondir sur tous les combats dits “sociétaux”, de la promotion de l’immigration de masse à celle des défilés des fiertés. On ne s’étonnera dès lors guère de voir la CGT se saisir du sujet des “féminicides”. S’il est indiscutable que ce sujet mérite l’attention publique, il n’en demeure pas moins curieux de voir la CGT s’en emparer.
Certes, la centrale de Philippe Martinez ne ménage pas ses efforts pour démontrer que cet enjeu concerne la structuration du marché du travail, revendiquant l’instauration de nouveaux congés payés pour les victimes de violence conjugale ou dénonçant le fait que le patronat est “exonéré de tout rôle” dans cette affaire. Ces propos masquent toutefois difficilement le fait que cet enjeu du féminicide est difficile à définir comme un enjeu relevant véritablement de l’organisation du marché du travail et donc des prérogatives syndicales. En réalité, la CGT s’engage dans ce débat comme elle le fait dans tous les débats “sociétaux”, c’est-à-dire, sur le fond, sans raison valable mais avec la volonté de s’ériger, formellement, en bon relais de la bonne pensée supposément de gauche.
En l’occurrence, puisqu’il est question de morts brutales et tragiques, une CGT plus attentive aux enjeux spécifiquement relatifs au monde du travail pourrait par exemple s’intéresser de bien plus près qu’elle ne le fait aujourd’hui aux accidents mortels du travail, qui concernent essentiellement des ouvriers – eux qui, mais on l’a peut-être oublié du côté de Montreuil, formaient, autrefois, l’essentiel de sa clientèle.
Le salut par la réforme des retraites
Voguant de causes politico-administratives en causes sociétales, la CGT semble avoir tout à fait renoncé à toute prétention d’analyse et de compréhension globales du fonctionnement du monde contemporain. En particulier, elle semble avoir abandonné ses grilles d’analyse à la fois marxiste et salariale – au sens défini par Bernard Friot – d’analyse et de compréhension du marché du travail.
Heureusement pour ceux à qui cette évolution ne convient guère, le gouvernement a eu la bonne idée de réformer les retraites. S’exprimant au sujet de cette réforme, Philippe Martinez est alors contraint d’en revenir à des réflexions de fond. Ainsi, récemment, au micro de France Info, il a non seulement réaffirmé l’attachement de la CGT à la “répartition” mais il a également estimé que “tout changer [au système], c’est favoriser la capitalisation”. D’après lui, les problèmes des régimes de retraite devraient être réglés par un recours à davantage de “rentrées de cotisations sociales”. Bien en jambes, le patron de la CGT, peu connu pour son euroscepticisme, s’est même permis une critique en règle contre les implications budgétaires d’un système universel en points : “Le jour où Bruxelles va tirer l’oreille au ministre de l’Économie pour lui dire de réduire les dépenses publiques, c’est Bruxelles qui va décider de baisser le point, donc le système par points est injuste”.
Ainsi donc, pour la CGT, la réforme des retraites apparaît comme une planche de salut, qui contraint ses dirigeants à s’en retourner aux fondamentaux de l’action et de la réflexion syndicales.