Cet article provient du site du syndicat CFDT.
La cour d’appel administrative de Paris rappelle que le comité d’entreprise doit se prononcer à bulletin secret, lorsqu’il est consulté sur le licenciement de certains salariés protégés, sous peine de rendre irrégulière la décision de l’administration sur le licenciement. Un vote à main levée entraîne donc l’annulation de l’autorisation de licenciement, et ce même si le vote a été unanimement défavorable au licenciement. Bien que la jurisprudence du Conseil d’Etat soit plus souple en la matière, les juges du fond affirment ici que le vote à bulletin secret est indispensable pour empêcher d’éventuelles pressions. CAA de Paris du 27.03.17, n°15PA04769.
Au-delà de l’obligation de demander l’autorisation préalable de l’inspection du travail pour licencier un salarié protégé, l’employeur peut être également contraint de demander son avis au comité d’entreprise. A défaut de consultation ou en cas d’irrégularités graves, la rupture ne peut pas être autorisée par l’administration.
Selon l’article L.2421-3 du Code du travail, le comité d’entreprise est obligatoirement consulté dans le cas d’un projet de licenciement d’un délégué du personnel ou d’un membre du CE ou du CHSCT. Cet avis doit être obtenu avant la saisine de l’inspection du travail et la décision de rupture.
En outre, l’article R.2421-9 du Code travail ajoute que cet avis doit être donné après audition du salarié et lors d’un vote au scrutin secret. C’est cette dernière obligation qui va être l’enjeu de l’arrêt commenté ici.
Il faut noter que l’avis est ensuite retranscrit dans le procès-verbal de la réunion et transmis à l’inspecteur du travail dont dépend l’établissement qui emploie l’intéressé.
- Les faits
En l’espèce, un délégué du personnel et représentant au sein du CE conteste devant le juge administratif la décision du ministre du Travail d’autoriser son licenciement, au motif que le vote du CE s’est fait à main levée et non à bulletin secret. Pour lui, la procédure est irrégulière et l’autorisation de licenciement doit être annulée.
Le tribunal administratif, considérant que l’absence de vote à bulletin secret n’avait pas compromis le sens du vote, a donné raison à l’employeur.
Le salarié protégé a alors fait appel du jugement.
- Le vote doit être à bulletin secret afin d’empêcher d’éventuelles pressions
Les juges de la cour d’appel administrative de Paris, contrairement aux juges de première instance, rappellent que le vote à bulletin secret est une obligation prévue par le Code du travail qui ne peut faire l’objet de souplesse.
Ils motivent leur décision par le fait que la finalité du caractère secret du bulletin «est de protéger le salarié dont le projet de licenciement est soumis à l’avis du CE et les membres du CE des pressions directes ou indirectes, qui pourraient être exercées sur eux ou des effets d’entraînement propres à tout groupe humain».
Aussi, le fait, pour les membres du CE, de voter à main levée constitue une irrégularité « de nature à entraîner l’annulation de la décision du Ministre» autorisant le licenciement, «sans qu’y fasse obstacle la circonstance que six membres du CE ont émis, à l’unanimité, un vote en défaveur du licenciement».
Pour la CFDT, il est indispensable que dans ces circonstances (à savoir, donner son avis sur le projet de licenciement d’un salarié protégé), le comité d’entreprise se prononce à bulletin secret. Cette obligation est en effet essentielle pour empêcher d’éventuelles pressions sur les membres du comité d’entreprise et plus particulièrement les membres pouvant être issus d’un syndicat minoritaire. En outre au-delà des tensions pouvant déjà exister au sein du CE, le bulletin secret permet de garantir la confidentialité du vote, notamment lorsqu’il s’agit de se prononcer sur le licenciement d’un de leurs propres membres.
- Une solution audacieuse, moins souple que la jurisprudence du Conseil d’Etat
La Cour de cassation considère depuis longtemps, l’obligation de voter à bulletin secret comme une disposition d’ordre public. L’employeur ne peut donc y déroger, sous peine de délit d’entrave, même s’il obtient l’accord des membres du comité pour voter à main levée (2).
Le Conseil d’Etat fait, quant à lui, preuve de plus de souplesse en la matière. Il juge que l’absence de vote secret ne vicie pas la procédure s’il est établi que cette omission n’a pas eu d’influence sur le sens du vote (3). C’est le cas en l’espèce, puisqu’il a été voté unanimement contre le licenciement du salarié protégé.
Par cet arrêt, la cour d’appel administrative de Paris ne suit pas la jurisprudence du Conseil d’Etat et s’aligne sur celle de la Cour de cassation.
Faut-il dès lors présager d’un éventuel revirement de jurisprudence du Conseil d’Etat ? Affaire à suivre…
(1) Art. L.2421-1 et suivants C.trav.
(2) Cass.crim.18.10.83, n° 83-90.419.
(3) CE.22.03.91, n° 84280.