Retraite par capitalisation : un financement (pour l’heure) introuvable

capitalisation

Alors que ceux d’entre les partenaires sociaux qui participent toujours à la négociation paritaire sur l’avenir des retraites : MEDEF et CPME, côté patronal, et CFDT, CFTC et CFE-CGC, côté salarial, vont enfin entrer dans le vif du sujet de cette discussion, l’éventualité de l’introduction d’une dose de capitalisation dans le financement des pensions de retraite suscite, ces derniers jours, un certain nombre de commentaires.

budget social

On retient de ces débats que même les partisans d’un recours croissant à la capitalisation peinent à convaincre au sujet du coût d’une telle opération.

“Le problème épineux, si ce n’est insoluble, de la transition vers la capitalisation” (Eric Weil)

En début de semaine, Eric Weil, ancien conseiller spécialiste des questions de retraite au ministère du Travail (2021-2022), aujourd’hui conseiller chez Boston Consulting Group, a publié une tribune dans la revue de Terra Nova, “think tank progressiste”, sur le thème de la retraite par capitalisation. Il y développe ce qu’il estime être les bienfaits de ce système de financement des pensions de retraite. Montrant que son “taux de rendement interne” – soit : le “rapport entre les pensions perçues pendant la retraite et les cotisations versées tout au long de la vie active” – est supérieur sur le long terme à celui de la répartition, il en conclut que “la capitalisation est donc, de manière générale, significativement plus performante que la répartition”. Sur le principe, il juge, par conséquent, qu’il serait “de bonne gestion de basculer, au moins pour partie, de la répartition à la capitalisation”, estimant qu’une “saine diversification des risques consisterait, par exemple, à ce qu’un tiers à 50 % des dépenses soit issu de la capitalisation, comme c’est le cas en Suède, aux États-Unis, au Canada, aux Pays-Bas ou au Royaume-Uni”.

Bien qu’étant partisan, sur le fond, d’une forte montée en puissance de la retraite par capitalisation en France, Eric Weil soulève toutefois le problème du coût de la transition de la répartition vers la capitalisation. C’est, selon lui, un “problème épineux, si ce n’est insoluble”, car ce coût est “colossal”, puisque cette transition suppose, pour les actifs, de financer les pensions des retraités actuels tout en constituant une épargne considérable pour le financement de leurs propres pensions futures. “Pour donner un ordre de grandeur, viser une part modeste de capitalisation, représentant à terme seulement 10 % à 15 % des dépenses de retraite pour les salariés du secteur privé, nécessiterait d’injecter environ 20 Md€ de plus chaque année dans le système, en plus des quelques 400 Md€ déjà consacrés aux retraites en France” rapporte l’auteur. “Au terme de 30 à 40 ans […] la facture totale atteindrait entre 300 et 400 Md€” enfonce-t-il le clou.

Partant de ces différents éléments, Eric Weil considère qu’une bascule partielle de la répartition vers la capitalisation menée de manière obligatoire et organisée n’est pas opportune. “Dans le contexte actuel, s’il existe des marges budgétaires, mieux vaut donc les consacrer à ces sujets essentiels qui renforceront notre prospérité à moyen et long terme, plutôt qu’à une coûteuse transition vers un système par capitalisation qui portera ses fruits dans plusieurs décennies seulement” écrit-il en effet. Il n’en appelle pas moins à un maintien de la dynamique en cours de développement progressif de l’épargne retraite volontaire : “A défaut de mettre en place un étage obligatoire de retraite par capitalisation, il serait pertinent – dans la lignée de la loi Pacte de 2019 – de démocratiser largement les plans d’épargne retraite volontaires, au niveau individuel, d’entreprise ou de branche, afin d’amortir, voire de compenser, la baisse attendue du niveau de vie relatif des retraités”.

Le “cocktail de solutions” de Bertrand Martinot

En guise de réponse à cette première prise de position, c’est au tour de Bertrand Martinot, ancien conseiller social de Nicolas Sarkozy et expert associé à l’institut Montaigne sur les questions sociales, d’exprimer, ce jour, et là encore dans la revue de Terra Nova, sa position au sujet des perspectives de la capitalisation en France. On constate, en premier lieu que, pour Bertrand Martinot, la solution proposée par Eric Weil du développement de l’épargne volontaire n’est pas souhaitable, dans la mesure où elle ne permet pas de la démocratiser. “C’est précisément pour que l’ensemble des salariés, y compris les plus modestes, ceux qui n’épargnent pas et n’ont pas accès aux fruits du capital, qu’un système de capitalisation obligatoire, prend tout son sens” estime l’auteur, qui précise qu’un “tel pilier obligatoire […] se substituerait progressivement à hauteur d’environ un tiers au système par répartition actuel” et serait géré par les partenaires sociaux.

Après avoir esquissé la forme que devrait, selon lui, prendre le développement de la retraite par capitalisation en France, Bertrand Martinot s’attaque à “la redoutable question de la transition de notre système à répartition pure vers un système à deux piliers obligatoires”. Il fait état de son “cocktail de solutions” devant permettre de “répartir équitablement la charge” des pensions de retraite entre les différentes catégories de la population. Un “capital d’amorçage”, notamment constitué “du fonds de réserve des retraites et des fonds de réserve de l’AGIRC-ARRCO” et “d’actifs de l’Etat” ou “d’actions” qu’il achèterait, abonderait le fond de capitalisation. En outre, les pouvoirs publics devraient dégrader de nouveau le pilier de répartition, afin de diminuer les dépenses lui étant associées, “de sorte que l’introduction d’une nouvelle cotisation dédiée à la capitalisation ne conduise pas à une surtaxe par rapport aux 28 % de cotisation actuels”. Enfin, l’auteur propose d’attribuer à la capitalisation une “dotation pérenne de l’Etat”, estimée à “4,5 milliards d’euros par an” et pouvant par exemple provenir de “la suppression de l’abattement de 10 % de l’assiette de l’impôt sur le revenu des retraités”.

Bertrand Martinot reconnaît, certes, lui-même que ses préconisations sont plus évidentes à formuler qu’à mettre effectivement en œuvre. Il concède en effet que “la voie de passage vers une capitalisation pour tous est évidemment étroite”. Il reconnaît, en particulier, que les réformes qu’il appelle de ses vœux devraient, selon toute hypothèse, être impopulaires du point de vue “des retraités d’aujourd’hui”. De son point de vue, en revanche, les actifs pourraient tout à fait adhérer à une opération qui viendrait leur donner un nouveau cap politique autant que de “bonnes raisons” d’escompter bénéficier eux-mêmes de pensions confortables à l’avenir. Enfin, toujours d’après l’auteur, les partenaires sociaux seraient susceptibles de s’engager dans le processus, puisqu’ils seraient chargés de la gestion du futur système en capitalisation. En l’état, et comme en témoignent aussi bien l’ampleur de la mobilisation contre la réforme des retraites de 2023 que les résultats électoraux élevés de formations politiques affichant leur opposition à des dégradations des régimes de retraite par répartition, l’enthousiasme de Bertrand Martinot quant aux chances d’acceptation de la réforme par les salariés et leurs syndicats n’apparaît toutefois pas fondé sur des éléments tangibles.

On l’a compris, en somme : pour l’heure, le financement d’une hypothétique transition de la retraite par répartition vers la retraite par capitalisation demeure introuvable.

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