Cette publication provient du site du syndicat de salariés CFDT.
Les salariés dont le délai de prescription pour agir aux prud’hommes est arrivé, arrive ou arrivera à expiration entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020 « inclus » retrouveront, de manière pleine et entière, leur droit à agir « dans la limite d’un délai de 2 mois ». Les salariés concernés devront donc impérativement veiller à ne pas attendre la rentrée de septembre pour se préoccuper de leur saisine prud’homale. Ordonnances n° 2020-306 du 25.03.2020 et n° 2020-560 du 13.05.2020
- La période de « neutralisation » du délai à agir : valse hésitation sur la date de sortie
Il était initialement convenu que le délai pour agir en justice soit neutralisé jusqu’à « la fin de la période d’état d’urgence sanitaire + 1 mois ». La période d’état d’urgence sanitaire ayant été récemment prolongée jusqu’au 10 juillet 2020(1) celle inhérente à la neutralisation du délai à agir en justice aurait donc dû logiquement s’étendre jusqu’au 10 août suivant.
Il n’en sera pourtant rien car, le 13 mai 2020, soit 2 jours à peine après la prolongation de l’état d’urgence sanitaire, il a été décidé d’abandonner toute référence au concept de « fin d’état d’urgence sanitaire + 1 mois » pour finalement ne retenir qu’une date fixe, détachée de toute relation implicite ou explicite à la fin de l’état d’urgence : « le 23 juin inclus »(2).
En conséquence, les délais pour agir en justice recommenceront à courir dès le lendemain de cette date soit le 24 juin 2020. Peu importe, pour le Gouvernement, qu’à ce moment-là la France soit toujours placée en état d’urgence sanitaire.
Et n’en doutons pas ! Cette précipitation soudaine à (re)faire courir les délais pour agir en justice ne sera pas sans conséquences, car il se trouve que les prescriptions inhérentes aux actions prud’homales qui, par application du référentiel « fin d’état d’urgence sanitaire + 1 mois », n’auraient dû advenir que courant octobre se réaliseront finalement bien plus tôt, au cœur même de l’été…
Ce changement de pied de dernière minute du Gouvernement doit donc nous inciter à la vigilance pour que cet inattendu raccourcissement des délais ne lèse les salariés dans leur droit à agir.
Début et fin de la période de « neutralisation » du délai à agir en justice
Pour mémoire, il faut rappeler que cette période a commencé à courir le 12 mars 2020, puisque l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 l’a faite rétroactivement courir à cette date. Et comme nous l’avons vu, elle ne s’étendra finalement que jusqu’au « 23 juin inclus ».
- La neutralisation des délais à agir en justice en pratique
L’article 2 de l’ordonnance n° 2020-306 modifié par l’article 1er de l’ordonnance n° 2020-560 du 13 mai 2020. Il précise que « tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d’office, application d’un régime particulier, non avenu ou déchéance d’un droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant la période de l’état d’urgence sanitaire sera réputé avoir été fait à temps s’il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois ». Cet article est à mettre en relation avec l’article 2 I de l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 (modifié par l’article 1er de l’ordonnance n° 2020-595 du 20 mai 2020) selon lequel « ces dispositions sont applicables aux procédures devant les juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale ».
Alors, pour bien comprendre la portée de ce texte sur la capacité des salariés à agir en justice, nous nous référerons à deux exemples concrets.
Premier exemple : Un salarié a été licencié le 12 mai 2019. Et comme le délai de prescription est ici d’un an(3), il avait donc normalement jusqu’au 12 mai 2020 pour agir. Oui mais voilà, ce délai a expiré pendant la période courant du 12 mars au « 23 juin inclus ».
Son droit à agir se réactivera donc de manière pleine et entière le 24 juin 2020… mais, attention, « dans limite de deux mois » ! Aussi, pour ne pas être forclos, son recours en justice devra avoir être déposé le 24 août 2020 au plus tard.
Deuxième exemple : Un salarié s’est vu notifier un jugement prud’homal qui le déboute le 4 mars 2020. Et comme le délai de prescription est ici d’1 mois(4), il avait donc normalement jusqu’au 4 avril 2020 pour faire appel. Oui mais voilà, ce délai a expiré pendant la période courant du 12 mars au « 23 juin inclus ». Son droit à appel se réactivera donc de manière pleine et entière le 24 juin 2020 … toujours « dans la limite de deux mois ». Mais comme le délai qui lui est alloué pour faire appel n’est que d’1 mois, il n’aura que jusqu’au 24 juillet 2020 pour agir.
- Une réactivation des délais de prescription à l’évidence trop précoce
Aussi, l’aurons-nous bien compris, le système mis en place a permis de mettre entre parenthèses la période courant du 12 mars au « 23 juin inclus ». Ce faisant, les salariés dont la prescription à agir sera advenue pendant cette période ne seront pas lésés.
Le 24 juin 2020, ils retrouveront leur droit à agir au maximum pendant 2 mois.
Cette disposition, qui permet de faire en sorte qu’aucun salarié ne voie sa capacité à agir annihilée du fait de l’état urgence sanitaire doit bien sûr être vue comme positive. Il n’en reste pas moins que, pour la CFDT, il est fondamentalement anormal que le Gouvernement ait entendu fermer cette parenthèse sans même attendre que, justement, la France ne soit plus soumise au régime de l’état d’urgence sanitaire ni que les tribunaux en général, et les conseils de prud’hommes en particulier retrouvent à nouveau une normalité de fonctionnement.
(1) Art. 1er I de la loi n° 2020-546 du 11.05.20.
(2) Art. 1er ord. 2020-560 du 13.05.20.
(3) Art. L. 1471-1 al. 2 C. trav.
(4) Art. R. 1461-1 al. 1er C. trav.