Responsabilité du donneur d’ordre en cas de sous-traitance : le Conseil constitutionnel se prononce

Le Conseil constitutionnel a rendu sa décision concernant une QPC relative à la prise en charge de l’hébergement, contraire à la dignité humaine, des salariés du cocontractant ou du sous-traitant par le maître d’ouvrage ou le donneur d’ordre. 

 

Les motifs de saisine du Conseil constitutionnel  

Suite à la promulgation de la loi dite « Savary » du 10 juillet 2014, des protestations contre certaines mesures se sont faites entendre. 

Cette loi vise à améliorer la lutte contre la concurrence sociale déloyale, consacrant une partie à la création d’un dispositif de vigilance en matière de salariés détachés entre autres. 

Parmi les contestations, celle de la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI) porte sur deux dispositions ainsi introduites dans le code du travail. L’une d’elles instaure un principe de responsabilité solidaire permettant de poursuivre un donneur d’ordre pour des fraudes relevant d’un de ses sous-traitants ayant recours à des travailleurs détachés. La seconde introduit de nouvelles obligations à la charge des maîtres d’ouvrage en matière d’hébergement collectif, notamment celle de ne pas loger les salariés dans des conditions contraires à la dignité humaine et de faire cesses cette situation dès que l’information leur est transmise. 

La FPI a ainsi saisi le Conseil d’Etat pour contester ces dispositions qu’elle estime inappropriées. Le Conseil d’Etat a alors décidé de transmettre au Conseil constitutionnel, le 23 octobre 2015, une question prioritaire de constitutionnalité portant sur le second alinéa de l’article L. 4231-1 du code du travail. 

Ce dernier précise que « Tout maître d’ouvrage ou tout donneur d’ordre, informé par écrit, par un agent de contrôle mentionné à l’article L. 8271-1-2 du présent code, du fait que des salariés de son cocontractant ou d’une entreprise sous-traitante directe ou indirecte sont soumis à des conditions d’hébergement collectif incompatibles avec la dignité humaine, mentionnées à l’article 225-14 du code pénal, lui enjoint aussitôt, par écrit, de faire cesser sans délai cette situation. « À défaut de régularisation de la situation signalée, le maître d’ouvrage ou le donneur d’ordre est tenu de prendre à sa charge l’hébergement collectif des salariés, dans des conditions respectant les normes prises en application de l’article L. 4111-6 du présent code. » 

Le requérant considère que le fait d’imposer au maître d’ouvrage ou au donner d’ordre de prendre à sa charge l’hébergement collectif des salariés de son cocontractant ou d’une entreprise sous-traitante est disproportionné, crée une rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques et méconnait le principe de responsabilité. 

 

Des dispositions conformes à la Constitution selon les Sages 

Le Conseil constitutionnel par sa décision du 22 janvier 2016 conclut à la conformité à la Constitution de l’alinéa 2 de l’article L. 4231-1 du code du travail. 

Sur la méconnaissance du principe de responsabilité

En se basant sur l’article 4 de la Déclaration de 1789 relatif à l’engagement de la responsabilité d’une personne autre que celle par la faute de laquelle le dommage est arrivé, le Conseil constitutionnel juge que le grief relatif à la méconnaissance de ce principe doit être écarté au motif qu’il n’est pas manifestement disproportionné avec l’objectif de respect de la dignité humaine. 

Le Conseil constitutionnel émet toutefois deux réserves d’interprétation. 

D’abord, la mise en œuvre de la responsabilité du maître d’ouvrage ou du donneur d’ordre doit être nécessairement subordonnée au constat, par les agents de contrôle compétents, d’une infraction aux dispositions de l’article 225-14 du code pénal imputable à l’un de ses cocontractants ou d’une entreprise sous-traitante directe ou indirecte. 

Ensuite, la prise en charge de l’hébergement collectif doit être limitée aux salariés qui sont employés à l’exécution du contrat direct ou de sous-traitance pendant une durée n’excédant pas l’exécution dudit contrat. 

Sur la méconnaissance du principe d’égalité devant les charges publiques

En se basant sur l’article 13 de la Déclaration de 1789 relatif au traitement égal de situations égales et différent pour les situations différentes, les Sages jugent qu’il n’y a pas de rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques : « le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ». 

 

 

 

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