Requalification d’un CDD en CDI : les importantes précisions de la Cour de cassation

Cet article a été initialement publié sur le site du syndicat : CFDT

 

Le conseil de prud’hommes peut, en référé, ordonner le maintien du contrat de travail jusqu’au prononcé de la décision sur le fond statuant sur une demande de requalification d’un CDD en CDI. L’employeur ne peut pas accéder à la demande de requalification du CDD en CDI pour ensuite licencier le salarié sans porter atteinte à son droit d’agir en justice. Cass.soc, 16 mars 2016, n°14-23589. 

Le Code du travail offre la possibilité au salarié en contrat à durée déterminée de saisir les juges afin d’obtenir la requalification en contrat à durée indéterminée lorsqu’il considère que ce ou ces contrats ne remplissent pas les conditions légales. Le Code du travail prévoit même que dans une telle situation, le dossier est porté directement devant le bureau de jugement, qui doit statuer dans un délai d’un mois suivant la saisine(1). L’objectif de cette procédure « rapide », sans phase de conciliation, est de permettre l’effectivité de la requalification en CDI, lorsque le salarié est toujours en emploi. 

Pour autant, force est de constater que l’encombrement de la justice prud’homale ne permet pas, dans la quasi-totalité des cas, le rendu du jugement sous ce délai d’un mois. Ainsi, bien souvent, lorsque le jugement est prononcé, le salarié n’est plus en poste, la requalification en CDI n’est pas effective et ne peut donc se traduire que par le versement de dommages et intérêts. 

Se pose alors la question de savoir comment faire, en dehors de cette procédure rapide, pour que le salarié qui demande une requalification de son CDD en CDI conserve son emploi.  

Un salarié astucieux, suivi par des conseillers prud’hommes courageux, a peut-être trouvé la solution ! 

Ce dernier enchaînait les CDD, sur un même poste et pour le même employeur, depuis juillet 2009. Le dernier contrat signé devait prendre fin le 31 décembre 2012. 

Avant cette date, il avait saisi le conseil de prud’hommes au fond afin d’obtenir la requalification de ces contrats en CDI. 

Le référé pour obtenir le maintien du contrat jusqu’au prononcé de la décision de justice au fond : une solution ?  

Il a en parallèle saisi le conseil en référé afin d’obtenir le maintien du contrat de travail jusqu’à la décision d’intervenir au fond, ce qu’il a obtenu par une ordonnance rendue avant la fin de son contrat de travail. 

Voilà ici un bon moyen, inédit, pour assurer la continuité du contrat de travail, sous réserve bien évidemment, d’être suivi par les juges du fond. 

Mais l’affaire ne s’arrête pas là ! L’employeur, lui aussi, a cru bon pouvoir user d’astuces pour contourner l’ordonnance de référé. 

En effet, trois mois plus tard, il informe le salarié qu’il accède à sa demande de requalification des CDD en CDI, en même temps qu’il le convoque à un entretien préalable au licenciement ! Puis le licencie pour insuffisance professionnelle. 

Le salarié ajoute alors à sa demande initiale une demande tendant à la nullité de son licenciement et à sa réintégration, pour violation du droit d’agir en justice. 

Il est débouté par la cour d’appel, qui considère que l’employeur, en transformant le CDD en CDI, a épuisé les effets de l’ordonnance de référé et que par conséquent, les droits fondamentaux du salarié n’ont pas été violés. 

Elle rejette par conséquent la demande de réintégration dans la mesure où, selon elle, aucun droit fondamental n’a été atteint. 

La Cour de cassation, alors saisie du pourvoi, a dû répondre aux questions suivantes. 

  • L’employeur peut-il contourner l’ordonnance de référé en requalifiant lui-même le contrat en CDI, puis prononcer un licenciement sans porter atteinte au droit d’agir en justice ?

Sur le fondement des articles L.1121-1(2) du Code du travail et 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et après avoir rappelé le principe selon lequel « est nul comme portant atteinte à une liberté fondamentale le licenciement intervenu en raison d’une action en justice introduite par le salarié », la Cour de cassation casse l’arrêt de la cour d’appel. 

Elle précise que « l’employeur n’avait pas, en licenciant le salarié le 19 avril 2013, respecté les dispositions de l’ordonnance de référé qui prescrivaient la poursuite du contrat de travail jusqu’à l’intervention de la décision au fond du conseil de prud’hommes ». 

La Cour ajoute que la cour d’appel aurait donc dû rechercher « si l’employeur avait utilisé son pouvoir de licencier en rétorsion à l’action en justice du salarié »

Si tel est le cas, le licenciement est frappé de nullité car portant atteinte à un droit fondamental du salarié, celui d’agir en justice. 

Voici une belle décision de la Cour de cassation, qui sauvegarde le droit d’agir en justice, mais qui protège aussi les salariés qui oseraient tenter de sortir de la précarité en usant de ce droit, via la saisine des juges, pour obtenir le maintien de leur contrat dans l’attente d’une décision sur la requalification du CDD en CDI. 

Cette décision pourra, on l’espère, encourager plus d’un défenseur syndical à user de la voie du référé dans pareille situation, mais aussi venir appuyer les conseillers prud’hommes référistes dans leur prise de décision. 

 

Ajouter aux articles favoris
Please login to bookmark Close
0 Shares:
Vous pourriez aussi aimer

L’EIOPA accueille son nouveau directeur exécutif

Le conseil d'administration de l'Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (AEAPP ou EIOPA en anglais) vient de nommer son nouveau directeur exécutif. C'est Damian Jaworski qui est nommé à ce poste. Il doit encore être confirmé par le Parlement européen avant de prendre ses fonctions le 1er avril 2026. D'après le ...
Lire plus

L’Insee nous dit tout sur les seniors en perte d’autonomie à l’horizon 2070

La courbe démographique en France ne cesse de marquer le vieillissement de la population, entrainant par la même occasion l'augmentation du nombre de seniors en situation de perte d'autonomie. L'Insee et la Drees publient une étude commune qui montre que cette croissance sera forte jusqu'aux années 2045-2050 avant une stagnation à l'horizon des années 2070. ...

L’examen du PLFSS 2026 reporté au lundi 27 octobre

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026 (PLFSS 2026) devait être examiné en commission des affaires sociales à partir du jeudi 23 octobre 2025. Mais une lettre rectificative concernant l'insertion de la suspension de la réforme des retraites dans le texte impose de revenir à zéro. Le tout nouveau PLFSS 2026 doit donc être réexaminé en conseil des ministres et redéposé à l'Assemblée nationale. Conséquence directe : tout le processus est à...