A l’automne dernier, nous avions évoqué la négociation dans les transports routiers d’un accord sur la structure des rémunérations dans la branche, qui avait consisté à contourner les ordonnances Travail en intégrant dans les minima hiérarchiques des éléments relevant jusqu’alors de primes. Signé le 4 octobre par les partenaires sociaux, officiellement accepté par l’Etat dans la foulée, l’accord n’a, pourtant, toujours pas été étendu.
Un accord anti-ordonnances
Pour rappel, l’accord sur les rémunérations des transports routiers signé le 4 octobre dernier prévoit que les minima hiérarchiques, négociés au niveau de la branche, comprennent désormais plusieurs primes dont l’importance est capitale dans la profession : primes de repas, d’hébergement et d’ancienneté, voire, dans certains cas, le 13ème mois. Par le moyen de cet accord original, les partenaires sociaux de la profession contournaient clairement l’esprit des ordonnances Travail – selon lequel seuls les minima salariaux devaient encore être négociés au niveau de la branche. Afin, toutefois, de ne pas le claironner trop fort, ils s’en défendaient bien évidemment, permettant aux pouvoirs publics d’accepter l’accord en se ménageant une porte de sortie à peu près honorable. Malgré cette précaution paritaire, il faut croire que les services de l’Etat ne s’y sont pas trompés quant à la portée de l’accord.
Une extension qui se fait attendre
Afin de battre le fer tant qu’il était chaud, les représentants patronaux et salariaux ont rapidement déposé le texte auprès des services du ministère du Travail en vue de son extension. Après tout, de leur point de vue, cette extension ne faisait guère de doutes dans la mesure où les représentants du ministère avaient signé l’accord. Mais les procédures étant ce qu’elles sont, seule l’extension de l’accord devait garantir qu’il fût opposable à l’ensemble des entreprises de la branche. Or, près de huit mois après la signature de l’accord, il s’avère que son extension se fait toujours attendre. Huit mois ! Pour un accord préalablement signé par les dirigeants du ministère. Le délai apparaît important et laisse penser que l’exécutif n’a peut-être pas dit son dernier mot dans ce dossier de la structure des rémunérations des salariés des transports routiers.
Divergences d’interprétation
Les représentants des salariés de la branche commencent, évidemment, à s’inquiéter quelque peu de ce délai d’extension. Cités par l’Officiel des Transporteurs, une publication professionnelle, Patrice Clos, secrétaire général de FO Transports, commence à évoquer une possible mobilisation des salariés de la branche : “Faudra-t-il que FO-UNCP appelle à entrer dans la danse ?”, tandis que Thierry Douine, président de la CFTC Transports assure que le “retard” pris par le ministère du Travail “pourrait vite énerver la profession”. Du côté de la représentation patronale, on se veut moins pessimiste. Toujours citée par l’Officiel des Transporteurs, Nancy Noël, directrice des affaires juridiques et sociales à l’Union TLF, juge que le délai ne correspond pour l’heure qu’à “une coutume que nous ne pouvons que déplorer”. Il faut dire que le patronat du secteur n’a guère intérêt au lancement d’une grève…
Quelle crédilibité pour la parole de l’Etat ?
Pour l’heure, il est difficile de prédire l’attitude que les pouvoirs publics vont finalement adopter dans cette affaire. Il serait concevable que l’extension de l’accord n’ait jamais lieu : ne constituerait-il pas un précédent dangereux pour le gouvernement ? Ceci étant dit, dans le cas où l’accord du 4 octobre devait ne pas être étendu, c’est la crédibilité de la parole de l’Etat qui serait gravement remise en cause. Pour le gouvernement, qui est engagé sur de multiples et complexes fronts sociaux, une telle perte de crédibilité constituerait un handicap important. Par exemple, alors que la promesse de l’exécutif de ne pas vouloir oeuvrer à la privatisation de la SNCF convainc de plus en plus difficilement, un non respect aussi évident de la parole donnée il y a quelques mois à peine aux partenaires sociaux du transport routier ne pourrait qu’être perçu comme un bien mauvais signal dans le cadre de la réforme ferroviaire.