Cet article a été initialement publié sur le site du syndicat : la CFDT
La Cour de cassation revient sur la « présomption de préjudice » qu’elle retenait à propos de certains manquements de l’employeur, en considérant que l’existence d’un préjudice et l’évaluation de celui-ci relèvent du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond. Ainsi, le salarié qui invoque un manquement de l’employeur (en l’occurrence la non délivrance des bulletins de paie) doit prouver que cela lui a causé un préjudice. Cass. soc. 13.04.16 n° 14-28.293
- Faits, procédure, problématique.
De longue date, la Haute cour admet que certains manquements graves de l’employeur causent nécessairement un préjudice au salarié, sans qu’il n’ait à le justifier. Tel est le cas, notamment, en cas d’inobservation de la procédure de licenciement (1) et en cas de stipulation dans le contrat de travail d’une clause de non-concurrence nulle (2). A ce titre, certains auteurs ont parlé de « présomptions de préjudice » ou de « préjudices de principe ».
Dans cette affaire, un salarié a saisi le conseil de prud’hommes aux fins de remise, sous astreinte, de certificats de travail et de bulletins de paie, lesquels lui furent remis par l’employeur lors de l’audience de conciliation. Il a demandé la condamnation de l’employeur au paiement de dommages-intérêts, en réparation de cette remise tardive.
La juridiction du travail ne lui donnant pas gain de cause, le salarié a décidé de former un pourvoi.
Il a fait valoir, conformément à une jurisprudence constante de la chambre sociale, qu’un tel retard dans la délivrance des documents lui avait nécessairement causé un préjudice qu’il appartenait au juge de réparer (3).
La question soumise aux magistrats étaient donc la suivante: la remise tardive à un salarié de bulletins de paie est-elle toujours un manquement de l’employeur qui lui cause nécessairement un préjudice indemnisable ?
- Du préjudice présumé au préjudice prouvé.
Les magistrats du Quai de l’Horloge reviennent sur leur position, en considérant que « l’existence d’un préjudice et l’évaluation de celui-ci relèvent du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond ». Or, les conseillers prud’hommes ont constaté que le salarié n’apportait aucun élément pour justifier le préjudice allégué.
Dès lors, se pose une question centrale : l’arrêt rendu par la Cour de cassation marque-t-il l’abandon définitif de la fameuse « présomption de préjudice » ou s’applique-t-il uniquement au cas d’espèce ?
Dans la première hypothèse, le salarié qui invoquerait un manquement de l’employeur, aussi grave soit-il, devrait prouver cumulativement l’existence d’une faute, d’un lien de causalité et d’un préjudice. Cette situation regrettable, sinon dramatique, est à craindre : les termes très généraux de l’arrêt et le fait qu’il soit publié au rapport annuel de la Cour de cassation, laissent craindre une généralisation de cette jurisprudence.
Il est, malgré tout, nécessaire de nuancer la portée de cet arrêt.
En effet, la Haute juridiction se prononce sur un manquement particulier de l’employeur : la délivrance tardive du bulletin de paie. Même s’il est une condition quasi indispensable pour accéder au logement et au crédit, on peut légitimement penser qu’une telle faute de l’employeur ne cause pas au salarié un préjudice aussi évident qu’en l’absence d’organisation des élections professionnelles(4). On imagine mal la chambre sociale, dans pareil cas, écarter la « présomption de préjudice » alors que l’employeur s’est rendu coupable d’un délit d’entrave…
En toute hypothèse, cette jurisprudence ne remet pas en cause l’obligation de l’employeur de délivrer un bulletin de paie au salarié (remis en main propre, envoyé par voie postale ou, depuis la loi du 12 mai 2009, par voie électronique). Ainsi, le défaut de remise du bulletin de paie peut constituer une faute suffisamment grave pour justifier la résiliation du contrat de travail sans que le salarié ait à respecter un préavis(5).