Cet article est initialement paru sur le site du syndicat de salariés CFDT
Le fait que l’employeur refuse de négocier le protocole d’accord préélectoral (PAP) avec un syndicat dit « intéressé » justifie à lui seul l’annulation des élections. C’est ce que précise, pour la première fois, la Cour de cassation dans un arrêt publié. Cass.soc.28.02.18, n°17-60112.
- Qui est invité à négocier le PAP ?
En vue de la préparation des élections, l’employeur a l’obligation d’informer et d’inviter à la table des négociations du PAP les syndicats dits « intéressés ».
Depuis la loi du 20 août 2008, le Code du travail (1) fixe une liste :
– les organisations syndicales qui satisfont aux critères de respect des valeurs républicaines et d’indépendance, légalement constituées depuis au moins 2 ans et dont le champ professionnel et géographique couvre l’entreprise ou l’établissement concernés ;
– les organisations syndicales reconnues représentatives dans l’entreprise ou l’établissement, celles ayant constitué une section syndicale dans l’entreprise ou l’établissement, ainsi que les syndicats affiliés à une organisation syndicale représentative aux niveaux national et interprofessionnel.
C’est dans le premier cas qu’un doute sur le respect des conditions légales peut exister du fait que ces organisations syndicales sont le plus souvent méconnues de l’employeur. Ce qui explique que l’invitation à négocier se fasse pour ces organisations par tout moyen, et non par courrier, comme pour les autres organisations syndicales.
Depuis les ordonnances dites « Macron », dans les entreprises entre 11 et 20 salariés, il existe une dérogation aux règles énoncées ci-dessus. L’employeur doit inviter les organisations syndicales mentionnées à la seule condition qu’au moins un salarié se soit porté candidat aux élections dans un délai de 30 jours à compter de l’information de la mise en place du CSE. Le Conseil Constitutionnel, saisi dans le cadre de son contrôle a priori de la loi relative à la ratification des ordonnances, affirme (contrairement à ce qu’avait pu laisser entendre la DGT) que cette dérogation ne conduit pas à la non organisation des élections mais « seulement » à la non invitation des organisations syndicales à la négociation du PAP.
- Faits, procédure
Dans cette affaire, un employeur informe et invite les organisations syndicales à négocier le PAP en vue des prochaines élections des délégués du personnel dans l’entreprise. Un syndicat dit « intéressé » manifeste alors sa volonté de participer aux négociations.
L’employeur lui en refuse toutefois l’accès au motif que celui-ci ne répond pas aux conditions légales. Ce qui veut dire qu’il ne satisfait pas aux critères de respect des valeurs républicaines et d’indépendance et/ou qu’il n’est pas légalement constitué depuis au moins 2 ans et/ou que son champ professionnel et géographique ne couvre pas l’entreprise ou l’établissement concernés. Les faits cités dans l’arrêt ne précisent pas de quelles conditions légales il s’agit.
Le syndicat décide de saisir le tribunal d’instance et demande l’annulation pure et simple des élections.
Les juges du fond reconnaissent que le syndicat avait bien la qualité de syndicat « intéressé » et aurait donc dû, à ce titre, négocier le PAP avec l’employeur. Toutefois, les juges n’annulent pas les électionsau motif que le syndicat aurait dû prouver que les modalités du scrutin qui ont été fixées unilatéralement par l’employeur avaient exercé une influence sur les résultats des élections professionnelles (ou sur la qualité du syndicat représentatif). Les juges rappellent expressément le principe selon lequel seule la violation des principes généraux du droit électoral justifie l’annulation des élections, qu’à défaut les irrégularités ne peuvent constituer une cause d’annulation du scrutin que s’il est démontré qu’elles ont exercées une influence sur le résultat des élections ou ont été déterminantes de la qualité représentative des organisations syndicales dans ce périmètre.
En outre, le syndicat aurait pu, comme le soulignent les juges de 1ère instance, saisir le tribunal pour fixer les modalités d’organisation de l’élection.
Le syndicat n’ayant pas obtenu l’annulation des élections décide de saisir la Cour de cassation.
- Une nouvelle cause d’annulation de plein droit des élections
La Cour de cassation n’a pas suivi les juges du fond. Elle renvoie à l’article du Code du travail qui fixe la liste des personnes devant être invitées à négocier le PAP et précise que « l’employeur est tenu de rechercher avec toutes les organisations syndicales intéressés (…) un accord sur la répartition du personnel dans les collèges électoraux et des sièges entre les différentes catégories, ainsi que sur les modalités d’organisation et de déroulement des opérations électorales, et que son refus de négocier avec une organisation syndicale intéressée (…) entraîne en lui-même l’annulation des élections ».
Pour la première fois, la Haute Cour juge donc que le fait de refuser l’accès à un syndicat dit « intéressé » à négocier le PAP est à lui seul une cause d’annulation des élections – sans qu’il soit nécessaire de prouver que cela a eu un impact sur le scrutin. La Cour de cassation n’a d’ailleurs pas renvoyé l’affaire devant le tribunal d’instance et a prononcé elle-même l’annulation des élections.
- Consécration de la position commune de 2008
En prenant cette décision, la Cour de cassation donne du poids à la loi de 2008 (issue de la position commune signée par la CFDT), qui fixe la liste des syndicats qui sont légitimes à négocier le PAP et à acquérir leur représentativité.
En outre, cette solution s’inscrit dans la continuité d’une jurisprudence selon laquelle l’employeur ne peut juger seul de la représentativité d’une organisation syndicale et doit inviter tous les syndicats intéressés, sous peine d’annulation des élections (2).
Les employeurs ont donc tout intérêt à réfléchir à deux fois avant de refuser l’accès des négociations du PAP à une organisation syndicale potentiellement « intéressée ». En cas de doute sur la légitimité du syndicat à négocier le PAP, l’employeur a alors tout intérêt à saisir la justice avant les élections. On peut se demander si cette action en justice aura un impact sur les 90 jours (maximum) qui doivent normalement séparer la date d’information de la mise en place des élections de la date du 1er tour des élections.