Réforme du RSI ou improvisation aux limites de la légalité?

Le gouvernement se targue d’une réforme du RSI tout à fait radicale, puisque ce régime devrait disparaître corps et âmes dans le grand bain acide du régime général. Mais en lisant le texte proposé par le gouvernement, les premières questions se posent sur la solidité juridique de cet édifice.

Officiellement, le gouvernement met un terme à l’existence juridique du RSI le 1er janvier 2018. Dans la pratique, la situation risque d’être un peu plus compliquée. D’abord, parce que l’absorption du régime devrait suivre des étapes progressives (avec un rythme différent pour la maladie et la retraite). Ensuite et surtout parce que le texte inscrit dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale semble pour le mieux bâclé, pour le pire juridiquement suicidaire. Il ne devrait donc pas, bien au contraire, décourager les militants de la “libération” vis-à-vis de la sécurité sociale. 

Une obligation d’affiliation qui soulève des questions

D&E a relevé l’étonnant amendement du rapporteur général du PLFSS, Olivier Véran, qui instaure une obligation d’affiliation au régime de sécurité sociale pour les travailleurs indépendants. Le fait que cette disposition n’ait pas été intégrée dès le départ dans le texte du PLFSS montre quelles en sont les incertitudes. Dans la pratique, les pouvoirs publics (et singulièrement la direction de la sécurité sociale) ont concentré leur attention sur le processus technique d’absorption. La conformité juridique, peut-être tenue pour acquise dès le départ, paraît moins aboutie… 

Il faudra un peu de recul pour mesurer les dégâts d’une rédaction mal assurée. Mais beaucoup de libérés devraient y trouver de quoi nourrir leurs espoirs d’évasion loin du régime obligatoire. Encore faudra-t-il être un peu patient pour disposer d’une vue d’ensemble à froid, et un peu rigoureux dans les analyses produits devant les juges pour ne pas tomber dans tous les panneaux habituels.  

La réforme du RSI par un texte flou

Les amateurs de lectures juridiques se plongeront avec perplexité dans la rédaction de l’article 11 de la prochaine loi de financement de la sécurité sociale. Il s’agit d’un très long article à tiroirs sur la validité duquel quelques parlementaires saugrenus feraient bien de s’interroger: ne fallait-il pas une loi spécifique pour opérer ce transfert vers le régime général?  

La clarté de la loi y aurait sans doute gagné.  

Toujours est-il que l’article 11 commence par modifier les dispositions du code de la sécurité sociale applicables aux travailleurs salariés. Il leur ajoute sans explication précise les travailleurs indépendants, quelquefois appelés “travailleurs non-salariés”. 

D’ailleurs, le livre VI de la sécurité sociale devient désormais le livre applicable aux “travailleurs non-salariés”. Il contient les dispositions applicables au nouveau Conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants. 

Ce flou entre “indépendants” et “non-salariés” vaudra peut-être au gouvernement quelques retombées futures désagréables. Il illustre en tout cas l’impréparation manifeste des équipes techniques qui ont rédigé le texte, et qui ne semblent pas maîtriser les soubassements sémantiques de leur projet.  

L’imbroglio des dates d’entrée en vigueur

Le summum de la complexité et de la confusion est atteint avec les dispositions légales qui fixent le calendrier de mise en oeuvre de la réforme. Entre ce qui commence le 1er janvier 2018, le 1er avril 2018, le 1er janvier 2019, le 1er juillet 2019, le 1er janvier 2020 (le calendrier comporte des échéances jusqu’en 2023), on s’y perd. 

Nous avons la faiblesse de penser que nous ne serons pas les seuls. Nous donnons ci-contre l’illustration de ces rédactions alambiquées où plusieurs rédacteurs se sont vraisemblablement donné le mot pour rédiger… 

Que cette réforme soit complexe, chacun peut le comprendre. Simplement, la dissection des opérations sur plusieurs dates différentes multiplie les risques d’illégalité dans les décisions prises “sur le terrain”. Le moindre retard dans les opérations transforme la réforme en imbroglio où plus personne ne comprend rien.  

Bref, tout ceci donne le sentiment de ne pas être sous contrôle, dans la mesure où le flottement entre travailleurs non-salariés et travailleurs indépendants se double d’un montage “architectonique” d’une complexité périlleuse. Tout se passe comme si les pouvoirs publics avaient agrégé plusieurs points de vue techniques sans intelligence clairvoyante unique pour en faire une synthèse opérationnelle.  

Mais de quel transfert s’agit-il?

Au demeurant, l’adossement du RSI ravira juridiquement les “libérés” puisque son contenu, son substrat assurantiel en quelque sorte, n’est pas précisé par la loi.  

Si le texte dit bien que les travailleurs indépendants (ou non-salariés, selon l’humour du jour) sont désormais traités comme des salariés, si le texte dit bien que, “à compter du 1er janvier 2018, la caisse nationale du régime social des indépendants et les caisses de base du régime social des indépendants prennent la dénomination, respectivement, de caisse nationale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants et de caisses locales déléguées pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants”, il reste une fois de plus muet sur la vie d’ensemble du régime.  

Dans la pratique, le texte n’accorde pas de personnalité juridique ou morale à cette caisse nationale déléguée nouvelle. On peut comprendre la gêne du législateur sur ce point. On voit mal comment on pourrait dans le même temps intégrer les travailleurs indépendants au régime général en supprimant le RSI et confier leur gestion à une entité indépendante. La caisse déléguée ne peut être autonome.  

La loi crée donc un article L 612-2 du Code de la sécurité sociale qui dispose ceci: 

Art. L. 612-2. – Le conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants est un organisme de droit privé doté de la personnalité morale. 

 

Là encore, les amateurs de “libération” ne manqueront pas de gloser sur cette rédaction. L’ancien article L 611-3 créant le RSI avait en effet précisé que celui-ci était un organisme de droit privé chargé “d’une mission de service public”. Cette mention disparaît dans la nouvelle rédaction.  

Au regard de la jurisprudence européenne sur les services sociaux d’intérêt général, qui permettent à un régime de sécurité sociale d’échapper à la fameuse directive assurance de 1992, la rédaction soumise à l’Assemblée n’est pas à l’équerre.  

Bref, le législateur vient de remplacer un régime en bonne et due forme, avec une personnalité juridique, un champ de compétences et un métier assurantiel, par un animal bicéphale. D’un côté, un organe faitier doté de la personnalité juridique, mais sans troupes pour faire la guerre. De l’autre, une troupe de mercenaires appelés caisses primaires de sécurité sociale, distinctes de l’organisme faitier.  

Les puristes y retrouveront le même montage qu’entre l’UNEDIC et Pôle Emploi. À cette différence près que Pôle Emploi (jusqu’à la réforme Macron) n’inscrivait pas dans un budget encadré par la loi les sommes dont l’UNEDIC ordonnait la collecte.  

Une articulation incompréhensible, un statut douteux

Résumons.  

Les compétences du RSI seront en partie dévolues à un conseil de la protection sociale, organisme de droit privé sans mission de service public. Mais le régime lui-même est intégré légalement à la sécurité sociale, dont les caisses nationales sont des établissement public à caractère administratif.  

Il est encore trop tôt pour mesurer l’ampleur des dégâts et des difficultés juridiques que ce montage baroque va créer. Mais, à coup sûr, les contentieux devraient fleurir avec d’autant plus de prospérité qu’aucune disposition du texte n’explique clairement que les travailleurs indépendants relèvent désormais du régime général.  

Le texte explique certes que le régime général est compétent pour les travailleurs, qu’ils soient salariés ou non. Il explique aussi que le 1er janvier 2020 sonnera le glas des organismes de gestion du régime. Ne subsistera ce jour-là que le régime général et le conseil de protection social faitier qui définira les règles du jeu.  

Mais alors cela signifie que le régime général est gestionnaire délégué d’un régime spécifique? Sur ce point, la loi maintient le doute, l’ambiguïté, et c’est sur ce point qu’il faut appesantir la réflexion.  

La réforme du RSI au risque de la réglementation européenne

Tout l’enjeu est en effet de savoir si cet embrouillamini français flou et compliqué tient la route face aux règles européennes. Soyons francs: on a un gros doute. Et même un très gros.  

Rappelons que l’Union laisse les États-membres libres d’organiser des systèmes obligatoires de protection sociale en interne. Elle a simplement mis en place un règlement de coordination entre ces systèmes pour les rendre compatibles avec la libre circulation des personnes en son sein.  

Le règlement de coordination prévoit explicitement qu’un système de sécurité sociale peut être mis en place pour les travailleurs indépendants. C’est sur ce point que butent régulièrement les “libérés”.  

Toute la question qui va se poser désormais est de savoir si un État peut prévoir une intégration obligatoire dans un régime unique et donc solidaire entre des travailleurs salariés, qui bénéficient de cotisations de leur employeur, et les indépendants qui ne bénéficient pas de ces mêmes cotisations. Dans le cas français, cette intégration se fait de façon complexe, avec des règles de cotisations et de prestations différentes, avec un “conseil” spécifique doté d’une personnalité juridique, mais un gestionnaire commun. 

On voit ici les prises que ce système offrira à la contestation. Comment parler de solidarité et d’égalité de traitement dans un univers aussi mouvant? De quel droit un État oblige-t-il des travailleurs indépendants à participer à un système aussi obscur? Ces indépendants seront en effet obligés de partager le fardeau du régime général sans que ce partage n’ait de justification technique: cotisations différentes, prestations différentes, décideurs différents. 

Sauf à considérer que le législateur français a maquillé derrière une fausse solidarité une délégation de gestion qui aurait dû passer par un appel d’offres.  

Prendre le temps du recul

Répétons-le: il est encore trop tôt pour mesurer l’ampleur des dégâts. Un recul de quelques mois sera nécessaire pour reprendre le dossier à froid. Toujours est-il qu’une certitude émerge: l’Union accepte d’ordinaire les systèmes obligatoires et monopolistiques de sécurité sociale à condition qu’ils soient solidaires. Et, dans le cas du nouveau système des indépendants, cette solidarité a un bien étrange visage qui est loin, très loin, d’avoir clos tous les commentaires. 

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