Cet article provient du site du syndicat de salariés CFDT.
Un conseil supérieur de la prud’homie a été convoqué le 20 novembre dernier. A l’occasion de cette réunion, une nouvelle procédure dite « accélérée au fond » a été présentée par la Chancellerie. Si la CFDT n’a pas formulé d’objection particulière à propos de l’émergence de ce nouveau concept, elle a par contre sérieusement dénoncé ses modalités de mise en œuvre, qui risquent d’être génératrices d’un nouvel éloignement des justiciables salariés de la juridiction prud’homale.
Les débats du CSP du 20 novembre 2019 se sont articulés autour de deux temps : l’introduction au sein de la partie réglementaire du Code du travail du concept de « procédure accélérée au fond » et les questions diverses (que la CFDT a fortement contribué à alimenter).
- L’introduction au sein de la partie réglementaire du Code du travail du concept de « procédure accélérée au fond »
– La Chancellerie a présenté le projet de décret porteur d’une telle évolution.
Ce projet ne faisait que poursuivre la réforme de la procédure dite du « en la forme de référés », déjà amorcée par la loi de réforme et de programmation de la justice votée au 1er trimestre de cette année(1).
Concrètement, ce projet de décret avait pour principale ambition de remplacer, dans la partie règlementaire du Code du travail, la formulation « en la forme des référés » par celle de « procédure accélérée au fond ».
Une telle évolution était nécessaire, car la formulation actuelle « en la forme des référés » pouvait se révéler trompeuse. On peut en effet comprendre que par ce type de procédure, le conseil de prud’hommes est conduit à statuer en « référé » alors qu’en droit, il n’en est rien !
Le projet de décret vise donc à clarifier les choses.
Pour ce faire, il porte modification :
– de l’article R. 1457-3 du Code du travail, précisant les règles procédurales applicables à la procédure dite du « en la forme des référé » ;
– des articles R. 2145-5, R. 4624-45 et R. 4624-45-2 du Code du travail, déclinant la mise en œuvre de cette procédure aux litiges inhérents au refus de congé de formation économique sociale et syndicale (CFESS), à la contestation des avis d’aptitude / inaptitude rendus par les médecins du travail et à l’indisponibilité (ou à la récusation) des médecins inspecteurs du travail.
Par-delà les aspects purement prud’homaux, la Chancellerie a remplacé toutes les procédures dites de « en la forme des référés » existantes, ou d’appellation approchante (dans des matières très diverses), par une seule et même procédure dite de « procédure accélérée au fond ». C’est donc aussi un souci d’harmonisation de tous les textes relatifs à la procédure civile qui l’a animée.
Enfin, et pour revenir à ce projet de décret, la Chancellerie a insisté sur le fait que cette évolution de la formulation n’aura en pratique que peu d’incidences : le caractère oral de la procédure demeurera, la composition de la formation ayant à connaître de ce type de procédure et le caractère exécutoire par provision des décisions rendues également.
– La CFDT est intervenue pour faire connaître son positionnement.
Le passage de « en la forme des référés » à la « procédure accélérée au fond » nous convient. Ce nouveau type de dénomination est effectivement moins sujet à confusion et ne change rien au fond du droit.
Mais nous avons pris la parole pour préciser que pour nous, l’essentiel était ailleurs. Car à bien y regarder, le projet de texte est aussi porteur de dangerosité s’agissant de la saisine du conseil de prud’hommes.
Explications. Sous l’empire du « en la forme des référés », le conseil peut être saisi par le conseil de prud’hommes soit par voie de requête, soit par voie d’assignation. L’actuel article R. 1457-1 du Code du travail renvoie à l’article R. 1455-9 de ce même Code qui autorise ces 2 types de saisine. Or, tel ne sera plus le cas sous celui l’empire de la « procédure accélérée au fond ». L’article R. 1457-1 réécrit du Code du travail ne renvoie en effet plus à l’article R. 1455-9 de ce même code mais aux 1°,2°, 3° et 6° du Code de procédure civile qui ne traitent que de l’assignation.
Dans le cadre des « procédures accélérées au fond », seule la voie de l’assignation serait donc praticable, avec les frais d’huissier et des délais que cela suppose. Et avec, au final, les renoncements à agir des salariés que l’on peut assez facilement imaginer !
Nous avons donc vigoureusement dénoncé cette inacceptable évolution du mode de saisine :
– En raison des coûts induits alors que, dans certains cas de figure, les salariés qui souhaiteront agir via une « procédure accélérée au fond » connaitront d’une situation professionnelle, d’une situation de santé et d’une situation financière particulièrement dégradée.
Nous pensons ici aux salariés qui se trouvent contraints à contester un avis d’inaptitude qui, en attendant leur éventuel reclassement, ne sont plus payés pendant un mois ; qui risquent in fine de perdre leur emploi ; qui, par définition, se trouvent diminués sur le plan santé et qui, au demeurant, doivent en sus des (nouveaux) frais inhérents à l’assignation doivent également assumer faire face à ceux inhérents au recours au médecin inspecteur du travail.
Mais nous pouvons également penser aux salariés aux prises à un refus de congés (autres que les congés payés) du type, par exemple, CFESS, congés pour évènements familiaux, congés de proche-aidant, congé de représentation, congé pour catastrophe naturelle. Nous pouvons assez facilement imaginer que sur de tels litiges, la nécessité pour les salariés de devoir désormais s’acquitter de frais d’huissier sera de nature à les dissuader à agir.
– En raison des délais induits alors que dans la plupart des cas de figure les délais pour agir sont particulièrement contraints.
Nous pensons une nouvelle fois à la procédure en contestation des avis d’aptitude / inaptitude qui se trouve enserrée dans un délai de 15 jours.
Or, dans un délai aussi court, on va demander au salarié de préparer l’assignation, la transmettre à l’huissier et la signifier à l’employeur… Autant de salariés qui ne feront plus valoir leurs droits !
Pour toutes ces raisons, la CFDT a rendu un avis défavorable à ce projet de décret.
- Les questions diverses
Trois principales questions diverses ont été soulevées par la CFDT. Certaines ont eu droit à des réponses satisfaisantes de la part de l’administration. D’autres, non.
– 1) Le contentieux des élections professionnelles (et de la désignation) et la représentation des parties par avocat. Lors du CSP précédent, nous avions été consultés sur un projet de décret réformant la procédure civile. A cette occasion, nous avions demandé à la Chancellerie si en matière de contentieux des élections professionnelles (et de la désignation), la représentation des parties par avocat serait obligatoire à compter du 1er janvier 2020 ; étant précisé que nous étions bien sûr fermement opposés à une telle évolution. Cette question avait alors été remise à l’expertise par la Chancellerie. Nous l’avons donc une nouvelle fois relancée et nous avons cette fois obtenu la conformation que ce type de contentieux resterait hors champs de la représentation obligatoire par avocat. C’est est assurément une excellente nouvelle !
– 2) L’accès à la formation initiale des conseillers prud’hommes nouvellement désignés. Nous avons souhaité savoir quand les conseillers prud’hommes issus de la dernière vague de désignation complémentaire (2) pourraient commencer à se former. La chancellerie nous a précisé les codes d’accès la session de e. learning qui venaient tout juste de leur être expédiés.
– 3) L’évolution des textes relatifs aux défenseurs syndicaux et à l’indemnisation des conseillers prud’hommes. Nous nous sommes alarmés de n’avoir aucune nouvelle sur ces 2 sujets, à propos desquels l’administration avait pourtant pris des engagements de longue date.
S’agissant des défenseurs syndicaux, le ministère du Travail nous a rappelé une nouvelle fois être en recherche active d’un support législatif adapté.
S’agissant de l’indemnisation des conseillers prud’hommes, le ministère de la Justice nous a affirmé être toujours être en attente des arbitrages du cabinet. Ce qui, pour un groupe de travail qui a terminé s’est travaux en 2018, commence à devenir un petit peu (trop) long…
(1) Loi n° 2019-222 du 23.03.2019 dite de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.
(2) Arrêté du 30.10.19 portant nomination complémentaire de conseillers prud’hommes pour le mandat prud’homal 2018-2021.