Reconnaissance de la compétence du Conseil de Prud’hommes pour les faux auto-entrepreneurs

Cet article a été initialement publié sur le site du syndicat CFDT.

 

Pour la première fois, la Cour de cassation a reconnu que lorsqu’il existe un lien de subordination entre la société et l’auto-entrepreneur dans l’accomplissement de ses missions, le conseil de prud’homme est compétent. Sans surprise, elle juge donc que lorsqu’il existe un lien de subordination entre la société et l’auto-entrepreneur, le contrat de mission doit être requalifié en contrat de travail. Cass.soc.06.05.15, n°13-27.355. 

 

  • Faits

Dans cette affaire, un auto-entrepreneur exerçait une activité commerciale au service d’une société. Cette dernière a par la suite été placée sous liquidation judiciaire. L’auto entrepreneur a alors saisi la juridiction prud’homale aux fins de faire requalifier sa relation avec la société en relation salariale. Le conseil de prud’homme s’est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce. 

Selon la procédure du contredit (1), la cour d’appel a confirmé que les juges prud’homaux sont incompétents, et a renvoyé l’affaire devant le tribunal de commerce. Elle retient qu’il s’agit d’un litige purement commercial, faute d’un lien de subordination permanent, critère central du contrat de travail. Elle précise que « l’intéressé avait refusé d’assister à une foire-exposition (…) et qu’un tel refus ainsi que les factures de services adressées à la société établissaient qu’il n’était aucun cas lié à un contrat de travail ». 

La Cour de cassation a, quant à elle, donné torts aux juges du fond au motif qu’« en statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que l’intéressé avait travaillé dans le respect d’un planning quotidien précis établi par la société, qu’il était venu assister à des entretiens individuels et à des réunions commerciales, que la société (…) lui avait assigné des objectifs de chiffres d’affaires annuel et qu’il lui était imposé, en des termes critiques, de passer les ventes selon une procédure déterminée sous peine que celles-ci soient refusées, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences de ses propres constations »

Autrement dit, via la question de compétence qui lui était soumise, la Cour de cassation a jugé que la cour d’appel, qui disposait d’un faisceau d’indices démontrant un lien de subordination entre la société et l’auto-entrepreneur, n’a pas tiré les conséquences de ses propres constatations. Le contrat de mission doit être assimilé à un contrat de travail. La juridiction prud’homale est donc compétente en la matière. 

 

  • Une présomption simple de non-salariat

La loi de modernisation de l’économie (2), créant le statut d’auto-entrepreneur, a pris soin d’exclure ces derniers du champ du salariat, en établissant à leur égard une présomption de non-salariat(3). Cette présomption est simple, aussi elle peut être renversée. L’existence d’un contrat de travail peut être établie dès lors qu’est prouvé un lien de subordination. 

 

  • La preuve du lien de subordination justifie la requalification en contrat de travail

La qualification retenue par les parties : « contrat de mission » est inopérant si les juges estiment que les critères du contrat de travail sont réunis. 

Remarque: L’article L. 1221-3 du Code du travail ne donne pas une définition précise du contrat de travail. La jurisprudence a donc précisé les critères qui doivent être réunis : l’accomplissement d’un travail pour autrui, en contrepartie d’une rémunération, avec l’existence d’un lien de subordination entre les parties. 

Le contrat de mission d’un auto-entrepreneur est un contrat par lequel l’une des parties s’engage, à faire quelque chose pour l’autre, moyennant un prix convenu entre elles. A la différence du salarié, l’auto-entrepreneur exerce son activité en toute indépendance et n’a aucun lien de subordination avec son client. 

Aussi, le critère déterminant pour voir appliquer le droit du travail aux travailleurs indépendants (notamment auto-entrepreneurs) est celui de la preuve d’un lien de subordination juridique. 

Cette notion de lien de subordination est assez floue. La jurisprudence est donc venue préciser qu’elle peut être rapportée par un faisceau d’indices, reposant sur les circonstances matérielles dans laquelle s’exécute la prestation. 

Ce qui est important pour les juges, sera notamment la marge de main-d’œuvre de l’auto-entrepreneur dans l’accomplissement de sa tâche (ex: directives strictes, un pouvoir de contrôle du donneur d’ordre dans l’accomplissement de la tâche et de sanction en cas de réalisation non conforme). 

En l’espèce, la Cour de cassation précise que la cour d’appel avait constaté que l’intéressé avait travaillé : 

– dans le respect d’un planning quotidien précis établi par la société, 

– qu’il était venu assister à des entretiens individuels et à des réunions commerciales, 

– que la société lui avait assigné des objectifs de chiffres d’affaires annuels, 

– et qu’il lui était imposé de passer les ventes selon une procédure déterminée sous peine que celle-ci soit refusée. 

Par conséquent, il y avait clairement un faisceau d’indices permettant de prouver le lien de subordination et ainsi requalifier le contrat de mission en contrat de travail. 

Il est important de signaler que les conséquences de cette requalification sont lourdes : sanctions financières (rappel de salaires, rappel de congés payés, indemnités de licenciement…) et pénales (travail dissimulé par dissimulation d’emploi). 

 

  • Une solution logique

La solution de la Cour de cassation est sans surprise. Lorsque les critères du contrat de travail sont réunis, le contrat de mission doit être requalifié en contrat de travail. Les règles du droit du travail s’imposent et le conseil des Prud’hommes est alors compétent. L’évidence de cette solution peut notamment expliquer que cet arrêt ne soit pas publié. 

Remarque: Pour d’autres statuts, la Cour de cassation s’est déjà prononcée sur la requalification de contrats d’entreprise en contrats de travail lorsqu’il existe un lien de subordination entre les parties (4) 

 


(1) Le contredit est une voie de recours, ouverte à l’encontre d’une décision rendue sur un déclinatoire de compétence. Art. 80 et suivants du Code de procédure civile. 

(2) Loi n°2008-776 du 04.08.08 relative à la modernisation de l’économie. 

(3) Art. L. 8881-6 du Code du travail. 

(4) Cass.soc.10.12.02, n°00-44646, il s’agissait d’une porteuse de presse 

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